Nous sommes tous des artistes contemporains…

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Don DeLillo reçu par Laurent Goumarre, Le Rendez-vous, France Culture, 27 décembre 2010

Mathieu Lindon a lu Point Oméga, Don DeLillo, (Libération 2 septembre 2010)
«Nous sommes tous des artistes contemporains. C’est une sorte d’au-delà du postmodernisme que propose Point Oméga, le dernier et bref roman de Don DeLillo […] Un jeune cinéaste veut faire un film sur un intellectuel que le gouvernement Busch a recruté pour l’aider dans la conception de la guerre en Irak, puis que les républicains ont lâché parce qu’il ne faisait plus l’affaire. Le jeune cinéaste veut qu’il raconte face à une caméra en plan fixe, devant un mur. « Une conversation sur un lit de mort Voilà ce que vous voulez la fatuité, la vanité de l’intellectuel […] Vous voulez filmer un homme qui s’effondre », dit le vieil homme au jeune sans avoir encore accepté ou refusé la proposition. Si le cinéaste s’intéresse tant à l’intellectuel, c’est que cet Elster a écrit un article intitulé « Redditions », dont la première phrase était « Un gouvernement est une entreprise criminelle ». « La vraie vie n’est pas réductible à des mots prononcés ou écrits, par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes, des moment infinitésimaux » estime Elster à l’ouverture du premier chapitre. Nous sommes tous des artistes contemporains et vivre sa vie réclame un talent qui n’est pas donné à tout le monde.
Mais avant le premier chapitre, il y en a un autre, intitulé « Anonymat » et un chapitre « Anonymat 2 », situé le lendemain dans le même lieu, clôt le livre. Ce lieu est le Museum of Modern Art de New York. Dans une salle obscure, sur un écran de trois mètres sur cinq, est diffusé le film Psychose d’Hitchcock, en une projection tellement ralentie qu’elle dure 24 heures. Don DeLillo précise dans une note finale que 24 Hour Psycho, œuvre vidéo de Douglas Gordon, fut installé au Moma l’été 2006. C’est comme si chaque image, chaque mouvement devenait indépendant des autres. « C’était comme les briques d’un mur, qu’on peut dénombrer distinctement, pas comme le vol d’une flèche ou d’un oiseau. Là encore, ce n’était ni semblable à autre chose, ni différent. » Comment attraper la réalité à travers Psychose? « Tout le monde se rappelle le nom du tueur, Norman Bates, mais personne ne se souvient du nom de la victime. Antony Perkins est Norman Bates, Janet Leigh est Janet Leigh. » Des spectateurs passent durant la projection, qu’on retrouvera. « Lumière et son, totalité sans paroles, la suggestion au-delà du film, l’étrange réalité criante qui respire et mange là-bas, cette chose qui n’est pas du cinéma. » Cette littérature qui ne serait pas de la littérature à laquelle aspire Don DeLillo.
L’intrigue du roman se déroule dans la maison d’Elster, en plein désert américain, dans un huis clos pas si clos où le jeune cinéaste et le vieil universitaire sont vite rejoints par la fille du propriétaire. De qui est-il question? De l’Irak, de la guerre, mais aussi du temps qui passe ou pas, du « temps pur », et de la « terreur habituelle ». Et de l’art, du cinéma, de la littérature. « Pour Elster, le coucher du soleil était une invention humaine, l’arrangement perceptuel auquel nous procédions pour que la lumière et l’espace se muent en éléments d’émerveillement. » Elster pour qui le verbatim des mots qu’il prononce dans son sommeil en dirait plus long sur lui que la plus longue biographie et serait « littérature ». Elster, cet « outsider privilégié » qui a « échangé la « Division des opérations spéciales » du Pentagone « contre de l’espace et du temps. Deux choses qu’il semblait absorber par tous les pores ». Tandis que Jessie, la fille, aime les vieux films à la télévision, y « guette le moment où un homme va allumer la cigarette d’une femme ». « On dirait qu’ils ne font que ça, dans les vieux films, les hommes et les femmes. »
Enfant, Jessie avait une particularité que raconte son père, « elle remuait un peu les lèvres en répétant intérieurement ce que je disais ou ce que sa mère disait. […] Entre le mouvement de ses lèvres et celui des miennes s’opérait une quasi-synchronisation. […] Les yeux fixés sur ma bouche, observant mes lèvres, remuant les siennes. » Et la spectatrice d’un moment de 24 Hour Psycho, à la fin du roman: « Je lisais ce que disaient les gens sur leurs lèvres, dit-elle. Je guettais leurs lèvres et je savais ce qu’ils disaient avant qu’ils l’aient dit. Je n’écoutais pas, je regardais seulement. C’était ça le truc. Je pouvais bloquer le son à volonté, pendant qu’ils disaient ce qu’ils disaient. » Le truc, c’est aussi de trouver « le point oméga », notion héritée de Teilhard de Chardin et qui est un « paroxysme », un « bond hors de notre biologie ». Il s’agit de révolutionner la communication, entre les êtres mais pas seulement. « Puis nous partîmes faire le plein en ville, et nous fûmes bientôt en route parmi les zones de faille et entre des amoncellements de rochers tourmentés, l’histoire qui défile par la vitre, les montagnes qui se forment, les mers qui reculent. »» Mathieu Lindon


Don DeLillo••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••Mathieu Lindon