Foucault. En gros, les domaines des activités humaines

«En gros, les domaines des activités humaines peuvent être divisés en ces quatre catégories: —travail ou production économique; —sexualité, famille, c’est-à-dire reproduction de la société; —langage, parole; —activités ludiques, comme jeux et fêtes […]. Dans toutes les sociétés, il y a des personnes qui ont des comportements différents des autres, échappant aux règles communément définies dans ces quatre domaines, bref, ce qu’on appelle des individus marginaux.»
Dits et Ecrits, p.997

Barbara Cassin. L’urgence est l’apprentissage du jugement, de la critique

Publié dans Libération, « Événement », p. 9

«A partir de maintenant, je pense qu’il y a deux points à travailler. L’éducation en prison. Et l’apprentissage de la critique du Net et des réseaux sociaux. Quand on parle avec des jeunes, on voit qu’il est de plus en plus difficile de savoir où est le réel, dans le Net, dans les jeux vidéo… il y a un rapport complexe à la fiction.

Je suis persuadée que Coulibaly, jusqu’au bout, ne savait pas vraiment où était le réel. L’éducation devrait être un apprentissage du jugement, du distinguo, de la critique, du goût.

Il y a une faille monumentale dans le système éducatif. On fait beaucoup de la maternelle au lycée mais, à un moment, c’est bloqué. C’est insupportable parce qu’on dit « la République vous appartient »… tu parles ! On arrive à peu près à amener une bonne partie de chaque génération jusqu’au bac. Et ensuite, ils sont lâchés, les portes se ferment et elles se ferment de manière inégale. Si la tradition familiale n’est pas là, l’ascenseur social ne fonctionne pas. Quand Coulibaly a commencé à déconner, ça a été fini pour lui. Quant aux frères Kouachi, ils ont à un moment été élevés dans une institution très respectable dans le Limousin, on ne peut pas dire qu’on n’ait rien fait pour eux, mais il y a un moment où ça s’est arrêté. Ils ont fait de la prison, ont découvert l’islam radical*. Les autres portes étaient fermées.

Si j’avais des recommandations à faire, ce serait de travailler la pluralité des langues. Il faut proposer un apprentissage précoce des langues. Il faudrait que les élèves aient au moins vu une ligne d’arabe, ou de chinois, au tableau de la classe, et je pense que ça n’est pas le cas.

Je travaille sur la traduction, sur la différence des langues. Le prochain ouvrage collectif que je veux faire est d’ailleurs un dictionnaire sur les intraduisibles des trois monothéismes. Je sais que le travail sur la diversité des langues permet d’appréhender une diversité qui n’est pas une diversité clôturée, mais d’emblée en communication. Ce qu’on appelle la traduction, c’est le passage d’une langue à l’autre, c’est mettre des ponts entre les singularités. Il faut aussi s’appuyer sur les bilingues. Quand il y a plusieurs langues, on passe de l’une à l’autre, il y a des points d’achoppements, on les travaille, c’est ça qui est intéressant. Et c’est en réfléchissant là-dessus qu’on trouve les analogies qui permettent de communiquer. Il n’y a pas seulement un universel, mais des singularités – non pas communautaires et closes, mais en interaction.

Qu’est-ce que l’école peut proposer à un adolescent qui cherche du sens ? Il faut lui apprendre à lire les textes, à les interpréter, comparer, réfléchir, juger. Lire des textes en différentes langues aussi. Nous sommes face à deux dangers symétriques. D’un côté, les communautarismes isolés, des entités closes. De l’autre, un universel non complexe, comme celui des droits de l’homme. C’est entre ces deux dangers qu’il faut éduquer le jugement.

Il ne s’agit pas de faire de l’instruction civique, c’est généralement très ennuyeux. Il faut lire des textes, apprendre la critique, l’éducation au goût, en s’appuyant sur ce qui intéresse les élèves. On peut faire des choses magnifiques en partant de Star Wars.

Y a-t-il des modèles à proposer aux adolescents ? Je ne sais pas. Avant, les romans d’éducation passaient par le voyage, la comparaison, l’immersion dans d’autres mondes. Et il y avait les grandes figures, les hommes illustres. Moi, je ne proposerais pas des personnages comme modèles, mais des phrases. Comme la première phrase, de la Métaphysique d’Aristote : « Tous les hommes désirent naturellement savoir. » Pour moi, les modèles, ce sont des phrases qui donnent à réfléchir.»

Recueilli par Natalie Levisalles

* les paroles de Daniel Cohn-Bendit, cofondateur d’EE-LV :
Libération, 8 janvier recueillies Par MATTHIEU ECOIFFIER

«Avec Wolinski, Cabu, c’est l’une des dernières formes de l’esprit de Mai 68 qui a été assassinée. L’attentat semble perpétré par des personnes appartenant à des réseaux islamistes. Il y a un islamofascisme, ça existe. Ces personnes sont des fascistes, il ne faut pas tourner autour du pot. Comme il y a eu un fascisme venu de la civilisation occidentale, il y a un fascisme venu de la civilisation de l’islam. Ce n’est pas l’islam, mais ceux qui commettent ces attentats s’y réfèrent, comme le fascisme nazi se référait à l’Europe chrétienne, à une certaine idée de l’Occident. On a toujours dit : « Le fascisme ne passera pas. »

«C’est dur, mais il faut être aussi rationnel que possible, ne pas tout mélanger. Ce qui est attaqué, c’est le droit à la critique radicale de toutes les religions. Charlie, c’est la radicalité anticléricale, c’est pour ça qu’ils ont été tués. Ce qu’on veut défendre, c’est le droit à cette radicalité.

«Ce n’est pas parce qu’il y a un islamofascisme qu’on ne doit pas discuter de comment on interprète le bouquin de Zemmour ou de pourquoi il y a une telle ruée médiatique sur celui de Houellebecq. Il faut qu’on soit radicalement clairs et qu’on soutienne à fond la pensée libertaire de Charlie. L’héritage de Cabu, c’est que, dans les moments difficiles, il ne faut pas s’arrêter de penser.»

L’imprimerie à l’école, cœur de la pédagogie Freinet

« Freinet, est un matérialiste. Il ne dit pas, faites ceci, faites cela, mais mettez l’imprimerie dans votre classe et vous verrez ce qu’il advient. »

Dans le département Arts plastiques, créé au sein du Centre universitaire expérimental de Vincennes, s’instaure dans les années 70 un courant artistique «de terrain» qu’on peut qualifier rétrospectivement d’«activiste», représentant une des modalités de l’art contextuel contemporain, avec deux médiums do it yourself de création-édition-diffusion d’images et de texte-image: la linogravure —sur une ligne Freinet de «l’imprimerie à l’école»— et la sérigraphie, —médium d’agit-prop en mai 68, pratiqué selon une nouvelle forme d’«imprimerie à l’école», celle de l’atelier populaire des Beaux-arts de Paris et de l’Ecole supérieure des arts décoratifs, rue d’Ulm.


La linogravure, composante image indissociable du «texte libre» imprimé

La technique Freinet, du nom de son fondateur, Célestin Freinet, instituteur de classe primaire dans les villages d’Alpes Maritimes de Bar-sur-Loup (1920-1928), puis de Vence (1928-1940, 1945-1966), est une « méthode nouvelle d’éducation populaire basée sur l’expression libre par l’imprimerie à l’école » (1924): « Il s’agit [dit Freinet] de laisser les enfants émettre leurs propres hypothèses, faire leurs propres découvertes, [par la promenade de  type anthropologie participative], éventuellement constater et admettre leurs échecs mais aussi parvenir à de belles réussites dont ils peuvent se sentir les vrais auteurs » par l’effet même de «la transcription majestueuse [du texte libre] en caractère imprimé, son illustration [linogravure] et sa diffusion [revue d’école]».

page2 (1) cochon2 (2)
L’image gravée sur linoléum (1) est associée à une composition typographique sur une même page (2), de format livret,

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pour être imprimée sur la petite presse typographique Lino. Les pages imprimées, éditées en nombre composent des revues d’écoles qui sont diffusées et échangées dans le réseau d’écoles Freinet.
Le  film L’École buissonnière de Jean Le Chanois, 1949, est une fiction documentaire de l’aventure pédagogique de Célestin Freinet,  https://www.youtube.com/watch?v=PhXA9Hg18lU.
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Un cadre philosophique possible: le « devenir enfant »

Pour ré-examiner le cœur de la pédagogie ou technique Freinet —«l’imprimerie à l’école»— qui s’adressait à de jeunes élèves de classe unique à la campagne, et que nous-même jeunes profs à Vincennes pratiquions sous forme de re-enactment en 1974, avec les étudiants, il semble opportun de lui rendre un cadre philosophique seventies: le concept guattaro-deleuzien du devenir-enfant (développé dans Mille plateaux, paru en 1980).

Liane Mozère, sociologue guattarienne, dans son article «Devenir-enfant», http://leportique.revues.org/1375, place ce concept, titre de son article, sur l’axe de l’éducation des jeunes enfants,—ce qui lui donne un cachet assez Freinet— en ouverture du narrative qui constitue son article, c’est-à-dire l’histoire de sa vie intellectuelle et sensible sur cinquante ans:

« Devenir appartient donc aussi bien au passé qu’à l’avenir. Le devenir, et le devenir-enfant en particulier, n’est ni imitation, ni identification. Devenir-enfant est un enfant qui coexiste en nous, maintenu en vie par cette coexistence et qui est à tout jamais séparé et étranger à l’enfant ‘tari’. […] [Car], la triangulation œdipienne trans­forme en effet l’enfant des adultes, des pédagogues, des psycho­logues et des spécialistes de l’enfance en un être ‘tari qui fait d’autant mieux l’enfant qu’aucun flux d’enfance n’émane plus de lui’ [Mille plateaux]. […] Il s’agit au con­traire, d’une part, de mettre au jour et en résonance le dehors que constituent les mondes que les jeunes enfants ne cessent de par­courir, et de l’autre, d’appréhender, de manière fine, la manière dont leur désir se déploie.»

Le devenir-enfant est intimement lié au concept de bloc-enfance.

René Schérer, —philosophe, participant avec Deleuze au département de philosophie inclus dans l’Unité de Formation Arts (UFR Arts)—, est cité largement par Liane Mozère pour expliquer ce qu’est le bloc-enfance ou bloc:

«‘Le bloc est l’enfance préservée, résistante, émergeant, comme l’iceberg, de la mer profonde ; l’enfance rayonnante comme un cristal —cristal du temps elle-même— et, contre toute corrosion et menace, faisant bloc’. L’enfance, comme il le dit ailleurs, non ‘comme souvenir, mais en devenir, précisément, dans l’orientation créatrice’. Rappelant avec Thomas de Quincey que pour Levana, la déesse tutélaire latine de l’éducation, il ne s’agit pas de pédagogie ‘avec ses alphabets et les grammaires’… mais de ‘ce vaste système de forces centrales qui est caché dans le sein profond de la vie humaine et qui travaille incessamment les enfants, leur enseignant tour à tour la passion, la lutte, la tentation l’énergie de la résistance’. René Schérer convoque également Goethe écrivant dans l’Élégie à Marienbad: ‘Où que tu sois, sois tout entier comme un enfant/Alors tu seras tout, tu seras invin­cible’». René Schérer, Enfantines*, Anthropos, 2002)

En écho on trouve, cité encore par Liane Mozère un autre philosophe deleuzien, François Zourabichvili:

«On adoptera […] le point de vue théorique de l’enfant, non par enfantillage, mais parce que tel est le bon sens dans lequel il faut considérer la vie humaine… Spinoza conteste d’ailleurs l’idée de l’homme ‘fait’ qui est, à ses yeux une chimère, c’est lui ce faux adulte, cet incorrigible rêveur qui méritera tout au long du Traité théologico-politique l’épithète puerilis, ultime avatar de l’infans adultus». François Zourabichvili, Enfance et royaume. Le conservatisme paradoxal de Spinoza, PUF, 2002.

Deleuze, en appelle à Nietzche, pour installer la potentialité artistique du concept devenir-enfant dans son Abécédaire, DVD 1, à 2:04:30–> «c’est une autre tâche de devenir enfant par l’écriture, arriver à une enfance du monde, restaurer une enfance du monde, ça, c’est une tâche de la littérature, Nietzche le savait.»

Au fil de son narrative, Liane Mozère dit encore:
«ce parcours [le sien] après tout n’aurait d’intérêt si, cinquante après, ce tropisme, ou ce bloc d’enfance n’avait fonctionné à la manière d’une machine désirante, soudain emballée.»

A Vincennes, nous reprenions à notre compte cette espèce d’énergie créatrice éditoriale propre à la pratique de «l’imprimerie à l’école» de la classe Freinet, orientée contexte social et politique —le dehors— (voir les reproductions des revues Freinet), mais urbain, avec nos ateliers de linogravure et de sérigraphie, dans un geste d’utopie concrète précaire, post soixante huitard et pro-chinois,  amarré à la grève des loyers des résidents des foyers Sonacotra de Montreuil et d’autres banlieues, à des grèves ouvrières, à des mouvements de collégiens d’établissements proches ou moins proches et vers lesquels nous nous déplacions, comme à des mouvements internationaux touchant les pays qualifiés de Tiers-Monde (Afrique, Antilles, Asie) avec les étudiants étrangers du département d’arts (nigérians, guinéens, iraniens, cambodgiens…).


La pédagogie Freinet, cœur possible du mouvement de l’éducation nouvelle au 20e siècle ?

On peut noter qu’un lien non dit existe entre Guattari et Freinet, par l’intermédiaire du frère de Jean Oury, Fernand, pédagogue brièvement «freinétique» et grand ami du Félix époque auberge de jeunesse et praticien de l’éducation populaire ouvrière en banlieue parisienne. François Dosse, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Biographie croisée.

Fernand Deligny est l’autre lien précieux entre Freinet, Guattari-Deleuze et les frères Oury.

La page Wikipédia consacrée à la pédagogie Freinet >http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9dagogie_Freinet, a la qualité d’être rhizomatique. A partir de là, on en a déjà un récit très circonstancié (voir aussi «le temps des instituteurs»).
On peut dériver par liens wikipédiatiques sur les pédagogues novateurs européens et américain au 20e siècle, à l’ère de l’après première guerre, de l’entre-deux guerres et de la seconde guerre puis de l’après-guerre: à partir de la page Freinet, on part vers Adolphe Ferrière, puis vers Genève, foyer de méthodes d’éducation nouvelle. Jean Starobinski fut élève de l’école de Claparède à Genève.

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Ovide Decroly
, Pierre Bovet, Beatrice Ensor, Edouard Claparède, Paul Geheeb et Adolphe Ferrière, lors d’une conférence de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle

De lien en lien des pages wikipédia, on retrouve toute une généalogie de pédagogues, de Rousseau à Pestalozzi à Maria Montessori à John Dewey… Pour nombre de ces pédagogues, le matériel éducatif est concret, très sensoriel, artistique (Fröbel, Montessori). Un tableau récapitulatif succinct de ce que fut l’éducation nouvelle —tableau repris ici d’une page wikipédia— peut être un point de départ  pour une analyse de ses diverses figures.**


Fernand Oury
sort du mouvement Freinet (1961) et déplace la scène pédagogique campagnarde initiale en ville.  Il invente la pédagogie institutionnelle, déclinée en psychothérapie institutionnelle***, prolongée en analyse institutionnelle qui se déploie à la fac de Vincennes en sciences de l’éducation et en sociologie, notamment avec toutes les ruptures que cela occasionnera.

*Enfantines, est le titre de la collection des revues rééditées de l’école Freinet. Une reproduction figure sur ce site à explorer:  «le temps des instituteurs»
** Pour lancer une recherche >http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article1106)
*** On note avec amusement (dans la page wikipédia citée sur Fernand Oury), que la psychothérapie institutionnelle de Tosquelles, née dans les années de guerre à Saint-Alban, en Lozère aurait une origine dans la pédagogie de terrain de type Freinet menée par l’instituteur local.

Pintade rôtie

pintade
Super recette [donnée par Nicole], pour son ouverture vers une substitution de ses éléments constitutifs: remplacer la pintade par des blancs de poulet et les pommes de terre par des endives.
Faite ce jour, 11,5/20