avril 2011

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La salade féta de la Ménagerie de verre, rue Léchevin, Paris 11e, mardi 12 avril 2011.


Rösti, sauce mozarella tomate, roquette + tomate cerise, Plain Palais, Genève, mercredi 20 avril 2011. Peu avant midi ce même jour, entendu à France culture, à propos des révolutions arabes: «un grand optimisme anthropologique», après toute une ère de «socialisation erronée».


Egocentrisme. Musée national étrusque de la villa Giulia. © jlb

 

Ceci est un ajout de ce 28 mars 2012 qui «corrige» le discours Rifkin salutairement, c’est pourquoi je le glisse en ouverture de la thématique rifkinienne.

Marcela Iacub. «Témoin de rien», supplément de Libération, 24.03.2012.

«On dit d’une œuvre – ou d’une vie – qu’elle est ratée quand les belles ambitions qu’elle s’était fixées n’ont pas abouti. Cela la différencie des œuvres nulles dont le résultat est aussi pauvre que les intentions initiales de leur auteur. C’est pourquoi le ratage, au lieu d’être décrié, mériterait d’être salué par la qualité et l’importance des problèmes qu’il fait émerger, même si leur résolution est bancale. Peut-être dans une culture moins paternaliste que la nôtre apprécierait-on davantage le raté que le réussi, car on tiendrait ceux qui savent aussi bien soulever des beaux problèmes que les résoudre avec génie pour des prétentieux et des dominateurs. Pour des gens qui, au lieu d’inviter les autres à réfléchir, chercheraient à imposer leur pensée, à être admirés et obéis.

Dans un tel monde, on aimerait énormément le film 38 Témoins de Lucas Belvaux, dont l’ambition est de réexaminer une vieille question que les moralistes ont rendue pauvre et ennuyeuse : pourquoi les êtres humains sont si souvent indifférents aux souffrances les plus terribles de leurs semblables ? Pour ce faire, Belvaux met en scène une intrigue très astucieuse. Une jeune fille est sauvagement assassinée au milieu de la nuit, au Havre, dans une rue pleine d’immeubles habités. Quand la police arrive, aucun des témoins potentiels n’admet être au courant de quoi que ce soit. Mais l’un d’entre eux finit par avouer qu’il a entendu les cris de la victime et qu’il est allé voir la scène par la fenêtre. Or, l’important, ce n’est pas ce qu’il a vu, car il n’a pu percevoir aucun indice susceptible d’identifier le meurtrier. Ce dont il a été témoin, ce sont les cris de la jeune femme, des cris si déchirants et si puissants que le voisinage ne pouvait pas ne pas les avoir entendus. A ses yeux, il était impossible de ne pas interpréter ces hurlements désespérés comme l’appel à l’aide de quelqu’un à qui l’on était en train d’arracher la vie et qui ne voulait pas mourir. Or, même s’il ne risquait rien pour sa sécurité personnelle s’il téléphonait à la police ou s’il se mettait à crier par la fenêtre, cet homme préféra de ne rien faire et se rendormir.

Voilà la curieuse énigme que Belvaux tente d’examiner avec beaucoup de finesse dans ce faux polar. Ainsi ne tombe-t-il pas dans la facilité d’attribuer cette attitude à ces deux passions symétriques et inversées que sont l’indifférence et le sadisme, comme l’ont fait tant d’autres avant lui. Non seulement ce témoin n’a pas joui de la souffrance de la jeune fille, mais il semble avoir souffert autant qu’elle. Et ce dont le témoin témoigne, c’est qu’il est beaucoup plus lourd – du point de vue psychique – de supporter les cris que de venir en aide à quelqu’un qui souffre. Ainsi, ce n’est pas la lâcheté voire la paresse qui peuvent expliquer le fait de ne pas porter secours mais, au contraire, une sorte de courage, un effort que l’on exerce sur soi bien plus coûteux.

Loin d’avoir pour racine l’indifférence, l’abstention de secours s’expliquerait par l’empathie naturelle qu’éprouve la majorité des personnes pour la souffrance d’autrui. Car l’empathie efface les frontières entre nous et les autres. Leur souffrance devient ainsi la nôtre tout comme leur peur. Et au lieu de vouloir les secourir, nous cherchons, dans ces moments ultimes, à être secourus. Comme si ces attitudes, qui semblent montrer à quel point nous sommes capables de manquer aux autres, étaient celles dans lesquelles nous sommes, en vérité, dans la plus parfaite identification avec eux. Et réussir à se rendormir en dépit de ces cris signifie qu’on est sauvé, que ce n’est pas nous qui souffrons et qui mourons. Comme si dans ces moments limites, la question n’était pas «que dois-je faire pour l’autre ?» mais «comment réussir à ne pas être cet autre, à me sortir de ma fusion avec lui ?» C’est pourquoi, contrairement à ce que prétendent les moralistes, nous serions peut-être plus altruistes si la souffrance des autres nous était plus étrangère. Si, au lieu de nous identifier à nos semblables, nous les prenions pour des êtres aussi différents de nous qu’un éléphant, un arbre ou un cygne.

Mais une fois ce beau paradoxe soulevé, Lucas Belvaux ne sait pas quoi en faire. Ainsi transforme-t-il son témoin en pauvre pécheur repenti, dont le seul but est d’expier ses fautes grâce à l’épée bienveillante de la justice pénale. Qui plus est, il se bat contre la volonté du procureur de taire cette «méchanceté collective» car, si elle était connue, elle porterait atteinte à l’ordre public. Comme si après avoir soulevé un problème si singulier qui nous confronte aux plus étranges bizarreries de l’âme humaine, Belvaux le bradait en faisant appel à des châtiments généralisés. Comme si le fait d’exprimer une hypothèse novatrice était si angoissant pour le réalisateur belge qu’il se sentait obligé de la neutraliser pour se faire pardonner.

Il n’empêche que ce film mérite d’être vu en prenant soin de quitter la salle lorsque vous le verrez chavirer, rater, crier son désespoir comme la jeune fille assassinée. Inutile d’avertir la police. Elle arrivera trop tard pour porter secours à trente-huit témoins.»

Le texte rifkinien

«C’est à Parme, en 1996, que l’équipe du biologiste Giacomo Rizzolatti révolutionne les neurosciences et les sciences humaines en identifiant les « neurones miroirs » de notre cerveau, grâce auxquels nous réagissons en écho à des comportements de nos proches, ressentons leurs gestes, leurs paroles et leurs émotions comme s’ils étaient les nôtres, sans même raisonner. Appelés « neurones de l’empathie »*, ils nous révèlent combien notre pensée s’élabore de façon affective, passionnelle et mimétique. En réalité, le biologique et le cognitif, le corps et l’esprit fonctionnent de concert.
Ces découvertes, aux implications philosophiques et psychologiques nombreuses, enrichissent les travaux des équipes du neurologue de l’Iowa Antonio Damasio (L’Erreur de Descartes, Odile Jacob, 1995). Elles nous apprennent qu’un choix, fût-il rationnel, ne se fait jamais sans émotion. Le cerveau qui calcule et décide reste celui qui rit, pleure et aime.
LES MOTIFS DE L’ALTRUISME. Une expérience sur la douleur, publiée dans Science en février 2004, a été menée auprès de seize couples. En apprenant que son compagnon subissait une décharge électrique, chaque femme a éprouvé de véritables sensations de souffrance physique, et ce sans même le voir, juste en regardant un compteur.
Les sceptiques et les utilitaristes affirment que nous nous montrons secourables non pour aider l’autre, mais pour exhiber un comportement honorable ou apaiser notre détresse face à la douleur. Nous serions foncièrement égoïstes. Au début des années 1990, le psychologue américain Daniel Batson a mené plusieurs tests pour évaluer la véritable motivation d’un acte d’entraide. Il a rendu dangereux le fait d’aider quelqu’un: si les altruistes agissaient par égoïsme secret, ils auraient hésité à se montrer généreux. Or non… Beaucoup de gens s’engagent même si cela leur complique la vie. Comment expliquer sinon que des gens sauvent des inconnus au péril de leur vie, ou l’attitude des Justes qui ont caché des Juifs pendant la guerre?
L’HUMAIN, UN ÊTRE SOCIAL. En 2006, un chercheur de l’Institut Max Planck, Felix Warneken, a mené des expériences pour tester l’empathie chez des enfants de 18 mois. Il s’agissait pour eux d’aider un adulte en difficulté. Si, par exemple, en empilant des livres ou en accrochant du linge, un adulte laisse tout tomber par terre, en affichant un air dépité, les enfants accourent spontanément pour l’assister. D’autres études menées à l’université Yale en 2008 indiquent que des bébés de moins de 1 an sont capables de distinguer un comportement fraternel et bienveillant chez leurs proches, et de le reproduire. L’empathie semble ancrée chez l’animal humain, en vérité social et grégaire.
RÉPARER POUR APAISER. Martin Hoffman, psychologue à l’université de New York, engage les enfants difficiles et violents, à se mettre à la place de leur victime. En attirant leur attention sur sa détresse, en leur demandant par exemple d’imaginer ce qu’ils éprouveraient à sa place, les agresseurs découvrent la portée de leurs actes. C’est ce que Martin Hoffman appelle l’«apprentissage par induction». Car une réaction empathique se voit presque toujours suivie d’un acte d’apaisement. De fait, dès qu’un parent induit chez un enfant un comportement empathique après un affrontement, il éprouve un sentiment de détresse, suivi d’une envie de «réparer». Quant aux enfants, ils se construisent ainsi un riche répertoire d’expériences empathiques qui leur apprennent plus tard à déjouer l’agressivité.»
Frédéric Joignot in Le Monde Magazine, 16 avril 2011, p. 38. Encadré de l’entretien avec Jeremy Rifkin titré «Une empathie nouvelle gagne l’humanité».

* «la «sympathie» entre les hommes fut une des notions-clés des Lumières. Elle remet en cause la vieille idée chrétienne de «chute», considérant l’homme marqué par le péché, attiré par le Mal. En 1759, Adam Smith reconnaît, dans sa Théorie des sentiments moraux, une «sympathie» pour les autres propre à chaque homme —de pathos, «souffrance». David Hume, voit dans cet élan de sympathie une qualité remarquable présente chez tous les enfants. Le terme d’«empathie» est forgé en 1872, par le philosophe allemand Robert Vischer pour décrire le sentiment esthétique. Comment expliquer que nous aimons une œuvre d’art, si ce n’est en projetant notre propre sensibilité sur la création d’autrui? La notion est reprise au début du 20e siècle par le psychiatre allemand Wilhem Wundt puis par l’Américain E. B. Titchener, pères de la psychologie moderne. Tous deux montrent  comment l’introspection chez l’individu moderne passe par la reconnaissance de l’autre.» ndbp p. 40

Relire Rousseau: «L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt.» Relire l’article précédent en interrogeant le terme «être social» (dans quelle société) et le terme «œuvre d’art» (quelles œuvres d’art?). C’est vrai que les réseaux sociaux dans le cas des révolutions arabes en cours se révèlent une forme de société induisant ces formes «naturelles» d’empathie, comme citée plus haut la situation sociale de guerre anti-nazie.

Mots clés :

«Il y a toujours un moment où la science de certains faits n’étant pas encore réduite en concepts, ces faits n’étant pas même groupés organiquement, on plante sur ces masses de faits le jalon d’ignorance : « Divers ». C’est là qu’il faut pénétrer. On est sûr que c’est là qu’il y a des vérités à trouver : d’abord parce qu’on sait qu’on ne sait pas, et parce qu’on a le sens vif de la quantité de faits.» Les techniques du corps. Marcel Mauss

Récit étrange par Hu Fan, curator, galeriste pékinois, écrivain et critique d’art, d’un vernissage d’exposition réel ou imaginé, dans la Maison Wittgenstein à Vienne, devenu Institut culturel de la Bulgarie :

«After being in Vienna for over two months, I paid a visit to the Wittgenstein House.

At the side of the street, I saw the familiar shape of the building I had seen numerous times in photographs. Its narrow windows were particularly eye-catching, and its outlines seemed alarmingly clean as it stood in the twilight.

I approached the building and noticed a huge and noisy crowd already at the entrance. They were huddled around the front lobby, their hands clutching champagne glasses as they greeted and chattered incessantly with one another. Against the vertical iron grills of the door and windows, the whole scene looked a little like it was set in the common area of a prison. I opened the door and my ears were assaulted by the buzzing conversations; I deliberately let my touch linger on the legendary solid and unyielding stainless steel doorknobs, and felt its cold calmness.

Suite > http://e-flux.com/journal/view/216

Pendant ce temps, Ai Weiwei > http://jlggb.net/blog2/?p=4770

http://www.liberation.fr/monde/01012330605-libye-l-otan-refute-toute-impasse

Vidéo amateur tournée à Deraa, à l’intérieur de la mosquée al-Omari, transformée en hôpital de campagne.
La démocratie est arabe.



Nicole de Lamargé. Fushia et turquoise. Dior