Psy

Vous consultez actuellement les archives pour le thème Psy.

Critique. De l’ennui au désespoir, les nuances du pessimisme par l’historien des idées Jean-Marie Paul. Par Robert Maggiori, Libération du jour.

«Chamfort disait : le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste attend qu’il change, le réaliste, lui, règle les voiles. Le premier «se trompe en voyant la vie plus noire qu’elle n’est», le deuxième «en la voyant plus rose». Il ne faudrait pas grand-chose pour que l’un se révèle un rabat-joie, et l’autre un jocrisse. Pourtant, le pessimisme fait tout pour avoir de la prestance, s’habille en noir et prend des tons prophétiques. Mais il lui manque quelque chose pour être une vraie vertu (ou un vrai défaut) : il s’arrête aux portes du désespoir ou de la dépression. Le définir s’avère malaisé, car il est moins une position fixe qu’une disposition de l’âme, une inclination à ne retenir de la réalité que les aspects négatifs, à penser, mais pas systématiquement, que le mal l’emporte sur le bien, que le monde est gouverné par une force impitoyable, ou que l’existence humaine est flétrie par le malheur et la douleur. Aussi est-ce dans les œuvres, picturales, musicales, littéraires, philosophiques qu’on en saisit au mieux les expressions. C’est l’optique que prend dans Du pessimisme l’historien des idées Jean-Marie Paul, qui concentre son étude sur le «pic» qu’a représenté le XIXe siècle («nous n’en sommes pas descendus depuis»).On ne sait s’il faut qualifier de pessimistes le cynisme, le stoïcisme ou le scepticisme antiques. Si elles apprennent à faire face, en créant l’«impassibilité en notre for intérieur», les philosophies grecques ont en tout cas exprimé l’idée d’une «inexorable adversité» sur laquelle les hommes désespèrent d’avoir prise. Cependant, seul Hégésias de Cyrène se montra vraiment pessimiste, qui, posant que le plaisir était le but de la vie humaine mais le pensant inaccessible, montra que seule la mort, tranquillité absolue, était désirable. À Rome, on citerait Lucain, le neveu de Sénèque. En Inde, ont toujours existé «une pensée et une religiosité profondément pessimistes». Le pessimisme n’est donc pas apparu avec le christianisme, «comme on a pu le prétendre à la suite de Feuerbach et de Nietzsche, en opposant la joie de vivre païenne, dionysiaque, et une culture de la souffrance à nous infligée par le Christ». Dans sa forme moderne (le terme est lancé par Coleridge en 1795), il naît en Allemagne, dans la période qui suit celles, enthousiastes, des Lumières et de la Révolution, lorsque, paradoxalement, prenait force la «religion du progrès». Au début fut le «pessimisme métaphysique» de Schopenhauer. À partir de lui, Jean-Marie Paul «écoute» les voix (Byron, Leopardi, Poe, Baudelaire, Dostoïevski, Ibsen, Kierkegaard…) dont le chœur exprime, du spleen à la mélancolie, de l’ennui au désespoir, du désenchantement au nihilisme, les mille nuances du «noir sentiment». Le XXe siècle des génocides et des totalitarismes le rendra tragique. Et aujourd’hui ? Peut-être est-on à l’«âge du hochet», ouvert par l’«usage de la haute technologie à des fins infantiles», mais il y a la «crise». L’optimiste pense qu’elle prendra fin bientôt, le pessimiste qu’on n’en sortira jamais. Et le réaliste… ne sait que penser.
Jean-Marie Paul, Du pessimisme, Encre marine, 284 pp., 35 €.


daté du 3 février 2013

Aby Warburg. Introduction à Mnémosyne, http://www.inha.fr/spip.php?article4196

«Introduire consciemment une distance entre soi-même et le monde extérieur, c’est ce que l’on peut sans doute désigner comme l’acte fondateur de la civilisation humaine; si l’espace ainsi ouvert devient le substrat d’une création artistique, alors les conditions sont réunies pour que cette conscience d’une distance devienne une fonction sociale permanente qui, rythmée par le va-et-vient pendulaire entre matière et Sophrosyne, dessine ce mouvement cyclique entre une cosmologie de l’image et une cosmologie du signe dont la capacité ou l’impuissance à orienter l’esprit ne signifie rien de moins que le destin de la culture humaine. L’artiste, balançant ainsi entre une conception religieuse et une conception mathématique du monde, trouve alors un secours singulier dans la mémoire, tant collective qu’individuelle : non pas qu’elle lui ouvre purement et simplement un espace de pensée, mais elle renforce aux pôles opposés du comportement psychique la tendance à la quiétude contemplative ou à la fureur orgiaque. L’inaliénable patrimoine héréditaire se trouve mobilisé sur le mode mnémonique, non pas cependant comme une force essentiellement protectrice : la violence déchaînée des passions et des terreurs du croyant bouleversé par l’expérience du mystère religieux se répercute dans l’œuvre d’art et en marque le style, de même que, de son côté, la science comptabilisante conserve et transmet la structure rythmique dans laquelle les monstres de l’imagination deviennent des maîtres de vie et des architectes de l’avenir. Pour éclairer les phases critiques de ce processus, il y aurait encore beaucoup à tirer de la connaissance de la fonction polaire qui fait osciller la création artistique entre l’imagination et la raison; on n’a pas pleinement exploité, en particulier, l’immense matériau documentaire qu’offrent à cet égard les images formées par l’homme. Entre l’action imaginaire et la contemplation conceptuelle prend place cette exploration tâtonnante de l’objet, suivie de sa réflexion plastique ou picturale, qu’on appelle l’acte artistique. Cette dualité d’une fonction qu’on peut décrire comme anti-chaotique – parce que la forme distingue et expose la réalité individuelle dans toute la netteté de ses contours – et de la fureur que la vue de l’idole créée et son culte suscitent dans le spectateur, cette dualité résulte de ces embarras de l’esprit qui devraient constituer l’objet véritable d’une science de la culture orientée vers l’histoire psychologique illustrée de l’espace qui sépare l’impulsion de l’action. Le processus de démonisation du vieux fonds héréditaire d’engrammes phobiques intègre dans sa langue gestuelle tout l’éventail des émotions humaines, depuis la prostration méditative jusqu’au cannibalisme sanguinaire, conférant même aux manifestations les plus ordinaires de la motricité humaine – la lutte, la marche, la course, la danse, la préhension – cette marge inquiétante que l’homme cultivé de la Renaissance, élevé sous la férule de l’Eglise médiévale, considérait comme une région interdite, où seuls peuvent évoluer les esprits impies livrés sans retenue à leur élan naturel.

L’Atlas de « Mnémosyne », avec son matériel iconographique, veut illustrer ce processus que l’on pourrait décrire comme une tentative pour assimiler, à travers la représentation du mouvement vivant, un fonds de valeurs expressives préformées. « Mnémosyne », comme le révèlent les reproductions du présent Atlas, ne veut d’abord être qu’un inventaire des formes reçues de l’Antiquité qui ont marqué le style des œuvres de la Renaissance dans leur manière de représenter le mouvement vivant.

full
La bibliothèque Warburg, en ellipse, à Hambourg, Denkraum, (espace de pensée) et le Denkbild (image de pensée): l’Atlas Mnémosyne, feuillets d’album d’images disposées devant les livres.

Cette approche comparative devrait – particulièrement en l’absence de travaux préalables qui eussent rassemblé et systématisé les matériaux – se limiter à l’analyse de l’œuvre de quelques grands types d’artistes, et chercher en revanche à comprendre, par une réflexion socio- psychologique plus approfondie, la fonction significative que remplissent dans la technique spirituelle ces valeurs expressives conservées par la mémoire.
Dès 1905, l’auteur avait été conforté dans ses tentatives par la lecture du texte d’Osthoff sur la fonction supplétive dans la langue indo-germanique; il y était démontré, en résumé, que certains adjectifs ou certains verbes peuvent, dans leurs formes comparatives ou conjuguées, subir un changement de radical, sans que l’idée de l’identité énergétique de la qualité ou de l’action exprimées en souffrît; au contraire, bien que l’identité formelle du vocable de base eût de fait disparu, l’introduction de l’élément étranger ne faisait qu’intensifier la signification primitive.
On retrouve mutatis mutandis, un processus analogue dans le domaine de la langue gestuelle qui structure les œuvres d’art, quand on voit par exemple une Ménade grecque apparaître sous les traits de la Salomé dansante de la Bible, ou quand Ghirlandaio, pour représenter une servante apportant son panier de fruits, emprunte très délibérément le geste d’une Victoire figurée sur un arc de triomphe romain.
C’est dans la région des transes orgiaques collectives qu’il faut rechercher la frappe qui a imprimé dans la mémoire les formes expressives des émotions les plus profondes, pour autant qu’elles peuvent se traduire gestuellement, avec une intensité telles que ces engrammes d’une expérience passionnée survivent comme un patrimoine héréditaire gravé dans la mémoire, et déterminent exemplairement les contours que retrouve la main de l’artiste, quand les valeurs suprêmes du langage gestuel cherchent à prendre forme et à paraître au grand jour par la voie de la création artistique.»

«Échantillonner le chaos. Aby Warburg et l’atlas photographique de la Grande Guerre»:
http://etudesphotographiques.revues.org/index3173.html

Extraits
«Or il était déjà question, dans ces analyses, de tout ce qui faisait, parallèlement, le cœur de la problématique warburgienne: à savoir une «psychologie historique» capable de discerner la raison (Warburg eût dit: les astra) des «pouvoirs de l’imagination» (les monstra) en temps de guerre, jusqu’à cette «mémoire collective» dont Marc Bloch évoquait le concept, non pas à partir de Warburg qu’il ignorait sans doute, mais de son compatriote et ami Maurice Halbwachs. Le parallélisme des attitudes de Marc Bloch et d’Aby Warburg face à la guerre a déjà fait l’objet d’une analyse serrée de la part d’Ulrich Raulff. Elle mériterait, un jour, d’être prolongée sur le terrain plus fondamental de la méthode, par exemple sur la question du comparatisme culturel et sur la teneur historique des images dont Marc Bloch partageait l’intérêt – sans jamais, il faut bien le dire, l’avoir développé systématiquement – avec l’école d’Aby Warburg.

L’auteur de Mnémosyne n’a, certes, jamais connu le fracas des bombes et l’horreur quotidienne des tranchées dont témoignent tant de «carnets de guerre» de cette époque (voir fig. 12-14). Mais il s’est, corps et âme, exposé à la guerre: dès le début du conflit, il a entièrement réorganisé le fonctionnement de sa recherche, de sa bibliothèque, en vue de comprendre la grande «psychomachie» des monstra et des astra qui se jouait sur un plan fondamental dont seule une «psycho-histoire», à ses yeux, était capable de rendre compte. Comme l’a bien montré Reinhart Koselleck, toute «mutation de l’expérience» engage un «changement de méthode» dans la pratique historienne elle-même. Mon hypothèse, on l’aura compris, est que ce changement – aux conséquences épistémologiques considérables – se sera incarné dans l’atlas Mnémosyne et dans les orientations théoriques que son invention mettait au jour.»

La perceptude est un mode de perception premier que l’hypnose met en lumière.

« L’état d’hypnose tel que je le comprends, ne serait rien d’autre que la perceptude. Elle est à la fois ce qui est toujours présent à nos vies et toujours supposé pour que nous puissions appréhender quelque chose du monde environnant. C’est ce que disent à leur manière les praticiens de l’hypnose : il existe une hypnose quotidienne qu’il n’est nul besoin de nommer hypnose, car le moindre geste, celui de la marche, de la lecture ou de l’écriture, pour être accompli avec aisance, suppose l’absorption et l’oubli. Et d’autre part tout humain est hypnotisable, c’est à dire qu’il peut avoir accès au fondement, il peut se rendre d’où il vient. La perceptude est là en effet sous-jacente à toute perception, mais par ailleurs les hypnotiseurs prétendent la faire passer au premier plan et en proposent l’expérience. Donc la mettre à la lumière du jour, alors qu ‘elle agit dans la lumière de la nuit. En d’autres termes, l’état hypnotique est partout et il s’agirait de le faire apparaître quelque part. Etrange procédure parce qu’elle aboutirait alors à l’apparition d’un fond sans la figure ou d’un contexte qui aurait perdu son texte
[Pour nous qui nous intéressons à la figure dans le paysage, c’est un étrange retournement de situation!]

François Roustang, Il suffit d’un geste, Editions Odile Jacob poches

On trouve le nom de François Roustang dans le groupe de praticiens et de chercheurs  de l’Association Française pour l’étude de l’Hypnose Médicale http://www.hypnose-medicale.com/afehm.html. Mais bien que médicale, «c’est 110 euros la séance, sans remboursement» m’est-il dit au téléphone…
Finalement à lire Qu’est-ce que l’hypnose de Roustang, on prend un peu la trouille, l’hypnose apparaît comme une chose brutale et effrayante, comme la psychanalyse, mais peut-être que,


bien esthétisées, à la manière du Mabuse Le joueur de Fritz Lang, (ci-dessus), des séances d’hypnose entre potes —ceux qui en ont besoin et ceux qui participent par solidarité d’amitié—pourraient se jouer comme des performances artistiques quasi psychadéliques. Regarder, seule, un film-sur sa-télé perso peut favoriser un type d’auto-hypnose soft, bénéfique… mais il faut bien choisir le film comme Finding Forrester de Gus van Sant ou Maurice de James Ivory, —qui recèle une séance d’hypnose—, voire même un mauvais Julie Lescaut avec Marthouret, ou un Louis la brocante (le tub Citroën est assez hypnotisant).

Hors champs de Laure Adler avec François Roustang, hypnothérapeute. 9 janvier 2012.
http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-francois-roustang-2012-01-09 [Ceci est une retranscription partielle des seuls propos de FR, pour mémoire. FR s’est  débarrassé de toute croyance religieuse  par la psychanalyse, et par elle, il est arrivé à l’hypnose. Tout est dit sur FR in  http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Roustang. Il y a quelques vidéos sur dailymotion. L’hypnose semble un peu périlleuse mais paradoxalement innovante au regard de la pratique psychiatrique ordinaire.]

François Roustan:
[Confession à la chrétienne et analyse psychanalytique]: «Dans les deux cas,,  il y a dialogue mais dans la confession, on s’accuse de fautes qu’on a faites, en psychanalyse, on dit tout et n’importe quoi, c’est ça qui peut être efficace —Foucault s’est trompé en les comparant— quand on est à confesse, on trie les choses et on choisit ce qu’on a envie de dire; en psychanalyse, on ne choisit pas, on parle comme on déparle sans aucune retenue, ça n’a rien à voir et les effets ne sont pas les mêmes non plus. On ne s’adresse pas à une puissance supérieure en psychanalyse, alors qu’en confession, on ne s’adresse pas au prêtre, on s’adresse à Dieu. En psychanalyse, espérons qu’on ne s’adresse pas à soi-même. On parle à la cantonade. On ne sait pas ce que l’on dit, on ne sait pas à qui l’on parle. Si c’était un moi, alors là on tournerait en rond. Si c’était un ‘il’ qui parle, alors là il y aurait une possibilité de délivrance. On parle n’importe qui et en un sens, on ne parle pas. Le secret de la psychanalyse, c’est de parler un langage que personne ne comprend, on déparle.
 Déparler en français, ça veut dire parler sans interruption mais on peut en donner un autre sens, déparler, ça veut dire défaire le langage de tout sens, pour moi, c’est ça qui est fondamental en psychanalyse, c’est qu’on ne sait plus ce que l’on dit et que le langage n’a pas de sens. C’est dans cette ligne-là que j’ai pratiqué l’hypnose. On ne cherche pas un sens. L’erreur de base, c’est de vouloir comprendre alors qu’il ne s’agit pas du tout de comprendre, il s’agit d’emporter le langage de telle sorte qu’il fasse apparaître autre chose que lui-même. C’est ça qui est fondamental. […]
Ce n’est pas tellement la parole qui a marqué un tournant dans ma vie, ça a été au cours de l’analyse, une explosion de vitalité. C’est ça pour moi, l’analyse, au bout de 2 ans d’analyse [avec Serge Leclaire], j’ai fait le tour et j’ai changé de vie.
[…] Tout ce qui est décision d’être psychanalyste, ou la forme que l’on peut adopter comme psychanalyste, cela relève de l’individu lui-même. C’est une affirmation. Aujourd’hui, j’affirme que je suis un homme libre. C’est le point le plus important. Quand je décide quelque chose, je décide quelque chose, quitte, l’instant d’après, à me  poser des questions sur cette décision que j’ai prise. Je n’ai pas arrêté, comme psychanalyste, à me poser des questions sur ce que je faisais et sur l’efficacité de mon travail. C’est pour ça que j’ai bifurqué après un certain nombre d’années. On peut à la fois affirmer: ‘Je suis là, voilà ce que je fais et je le fais entièrement et en même temps dans l’instant d’après et même dans cet instant-là, dire: ‘est-ce que je me trompe’. ‘Un psychanalyste ne s’autorise que de lui-même’ disait Lacan [rappelle LA) et là je suis en accord avec ça et Lacan a eu tout cet aspect-là de libérer le psychanalyste de toute soumission quelconque, y compris à sa doctrine ou à sa théorie.
[…] Je participe à des formations de thérapeute, récemment je leur ai dit: ‘Il y a une qualité que doit avoir un thérapeute, c’est d’acquérir une sensibilité, pas une sentimentalité, mais une sensorialité, c’est le mot de Keats ‘Délivrez-nous des idées, donnez-nous des sensations’. Si la formation consistait à apprendre à percevoir, apprendre à soupçonner, apprendre à sentir, ce serait suffisant, parce que c’est à travers ça que l’on peut aider quelqu’un même parfois lui dévoiler là où il en est, parce que très souvent, la personne croit qu’elle vit telle et telle chose, alors qu’elle est en train de vivre toute autre chose et c’est au thérapeute d’éveiller en elle une autre forme de sensorialité.
[Savoir attendre: pour que la vie change, titre d’un livre de FR.]
Ce qui est fondamental, c’est que nous vivons sur deux registres différents, un registre où nous sommes conscients de ce que nous faisons et où nous agissons dans notre vie, dans la société, par rapport aux autres. Et puis un autre domaine où nous sommes amenés à percevoir une multitude de choses que la plupart du temps nous  ne percevons pas. C’est en vivant à travers ces deux registres ou en apprenant à vivre sur cet autre registre qu’une vie peut se transformer. J’ai envie de dire que ce sont les créateurs, les vrais peintres, les vrais musiciens, les vrais sculpteurs, ce sont eux qui comprennent d’entrée de jeu comment on peut vivre sur deux niveaux différents, et comment la vie peut être transformée dès lors qu’on se laisse aller à soupçonner et à sentir les choses les plus subtiles qui sont autour de nous et en nous. 
La personne qui vient me voir se sent disponible pour un changement. Elle sait que la solution est là.  Installez-vous dans ce lieu où vous avez trouvé la solution.
 Le thérapeute fait remarquer à quelqu’un qu’il sent lui-même sa force vitale, mais il ne prend pas la place de l’autre.
[…] Je suis venu à l’hypnose par l’intermédiaire de la psychanalyse. Je suis venu à l’hypnose parce que j’ai découvert le transfert, la dimension certainement hypnotique du transfert, dont on ne sort pas facilement et puis dans la cure même. J’ai écrit un article ‘Suggestion au long cours’, dans la Nouvelle Revue de psychanalyse. […] Puis je me suis initié avec Milton Erickson aux Etats-Unis. […]

[Psychanalyste versus hypnothérapeute]
Je pense que l’anamnèse, —que quelqu’un raconte son histoire—, ça n’a aucun intérêt, aucune efficacité, que le langage peut être mis de côté et que tout l’effort, si on se met à parler dans une psychothérapie, c’est, à un moment, pour se taire. C’est ça qui est efficace, parce que pour moi, ça se résume de façon très très simple à une chose:
‘Vous voulez guérir,
Oubliez que vous êtes un humain
Devenez un animal’
A des gens qui viennent me voir je dis
‘Est-ce que vous souhaitez vraiment aller mieux, vous transformer, eh bien oubliez vos pensées, oubliez que vous avez un vouloir à votre disposition, et tout simplement installez-vous dans votre statut d’organisme vivant’. ‘La guérison n’est pas un but, elle vient par surcroît’, disait Lacan. Elle vient dans la mesure où précisément je change complètement de visée, je ne cherche pas à guérir, je cherche à me mettre dans la position d’un organisme vivant qui se laisse influencer par son environnement. Et pour ça, je dois oublier même d’une certaine façon que je suis là, je dois me laisser être là comme une souche ou comme une pierre, comme un rocher. Si je peux faire ça, oublier que je suis un humain, alors fatalement, je vais trouver une solution. […]  Vous participez, vous êtes un morceau d’univers, vous êtes vivant, ça suffit. Si vous vous installez là-dedans, vous êtes libre, comme un organisme vivant est libre. Il n’y a pas de soumission. Je me soumets à quelque chose en moi que j’ignore. Quand quelqu’un a peur de l’hypnose, c’est un bon signe, parce qu’il est proche de faire le saut. Ce n’est pas une aliénation. Je suis là comme un être vivant et c’est ça qui est ma liberté. Je ratifie cette position que j’ai dans le monde et dans ma vie […] A un moment il y a soumission quand je dis à quelqu’un, cet homme qui est venu me voir: ‘vous aviez senti que vous étiez libre, il y a eu un lieu en vous où vous êtes un homme libre et vous n’êtes plus dans le ressentiment. De fait, je fais acte d’autorité en lui disant: ‘Arrêtez-vous-là, prenez le temps qu’il faut pour être tout entier l’homme qui est en paix avec lui-même et qui n’a plus besoin de cette femme [dont il s’était séparé].
[A la question de LA: comment faites-vous pour rester si jeune?]:
‘Être là où je suis et n’avoir plus aucune illusion sur moi-même’.»

http://michel-foucault-archives.org/?La-vie-des-hommes-infames, Portail Michel Foucault, Archives numériques, http://portail-michel-foucault.org/
«La vie des hommes infâmes» est publié dans le tome II de Dits et Ecrits, pp. 237-253. (à lire donc).
Texte découvert lors de l’émission d’Adèle (!), Les nouveaux chemins de la connaissance de ce mercredi 23 novembre (semaine consacrée à l’ordinaire, l’inquiétante étrangeté de l’ordinaire. Le locuteur est Guillaume Le Blanc, qui passe de Foucault à Perec en citant au passage  Lefebvre, Barthes, De Certeau et Pichon…
http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-l-inquietante-etrangete-de-l-ordinaire-34-michel-fo. Le thème jeu de mots chez Foucault: passer de de l'[homme] infime à l'[homme] infâme, à mille lieux de Perec, qui arrive en retard en littérature après Henri Lefebvre et Roland Barthes (Mythologies) 1954, Michel De Certeau embrayant sur qui? (à réécouter). Est cité Michel Houellebecq

David Shrigley. Who I am and What I Want. 2008, assez infâme:
This animated film is about « who I am and what I want ». It’s NOT about who YOU are and what YOU want. You always think everything I make is about you but it’s not. It’s all about me… A bitterly unwanted outcast makes an unapologetic declaration of self.
Ce film d’animation est sur le « qui je suis et ce que je veux ». Il ne s’agit PAS de qui VOUS êtes et de ce que VOUS voulez. Vous pensez toujours que tout ce que je fais est pour vous mais ce n’est pas le cas. Il ne s’agit que de moi … Un paria amèrement indésirable fait une déclaration sans complexe de lui-même.


Pierre-Henri Castel, Ames scrupuleuses, vies d’angoisses, tristes obsédés – Vol. 1 – Obsessions et contrainte intérieure de l’Antiquité à Freud. in Le Journal de la philosophie, François Noudelmann
http://www.franceculture.fr/emission-le-journal-de-la-philosophie-ames-scrupuleuses-vies-d-angoisses-tristes-obsedes-vol-1-obses

«Ces phénomènes de troubles obsessionnels, d’angoisse… n’existent que sous des contraintes culturelles très fortes spécifiques de la culture occidentale: la thématique de l’individu, l’aspiration à devenir un individu et un moi responsable qui est la spécificité de la culture occidentale, en donnant à la valeur que les individus se donnent à eux-mêmes une valeur organisatrice par rapport à la vie sociale; ça produit ce type de comportements et les institutions* qui vont avec pour prendre soin de ceux qui se surveillent trop, se contrôlent trop etc. Cette culpabilité, ce rapport à soi qui a l’air très moral, très universel, très kantien, très augustinien… en réalité s’est incroyablement spécifié en France au 19e siècle, en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis en produisant des traditions psychiatriques particulières, —ce n’est pas du tout de la même manière qu’ont été compris les phénomènes de l’obsession dans ces quatre cultures politiques et morales, c’est la raison pour laquelle en France nous n’avons pas eu de névroses obsessionnelles mais c’est une invention autrichienne, celle de Freud par exemple.» Mais ce développement au long cours d’une analyse anthropologique et sociale notamment de la scène psychiatrique française —la psychasthénie de Pierre Janet, appuyée sur la sociologie de Gabriel Tarde sous-tendue par l’idéologie républicaine réactualisée par la psychiatrie actuelle en France— fait apparaître un déficit de plus fine intelligence de ces maladies qui se trouverait plutôt du côté de la psychanalyse, Freud en première ligne. Pierre-Henri Castel est psychanalyste, membre de l’association lacanienne internationale (aïe!). Toute l’analyse toute anthropologique qu’elle soit, nous ramène au soi intérieur, à son creusement vraiment en terme de trou abyssal et c’est cela qui fait froid dans le dos (!) [chimney sweeping douloureux qui nous ramène à la figure du ramoneur]. Mais l’entretien avec Philippe Petit, Les nouveaux chemins, de ce vendredi 2 décembre est très riche, de part la qualité même de l’intervieweur. A écouter en ligne. http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-histoire-des-obsessions-de-l-antiquite-a-freud-2011
ou ici même
[audio:http://www.lantb.net/uebersicht/wp-mp3/Histoire des obsessions.mp3]
Autre qualité innovante: la bibliographie du livre est en ligne sur le site de l’éditeur Itaque avec les textes intégraux invoqués.
http://www.ithaque-editions.fr/livre/34/Ames+scrupuleuses-+vies+d—angoisse-+tristes+obsedes++-+vol.+I+-+-I-Obsessions+et+contrainte+interieure-+de+l—Antiquite+a+Freud-/I-#

*Note de bas de post
Hervé Bokobza est psychiatre, porte-parole du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, un groupe qui s’est constitué, il y a trois ans, au lendemain du discours de Nicolas Sarkozy sur la «sécurisation» des hôpitaux psychiatriques. Entretien en 2009 pour Mediapart:
http://www.mediapart.fr/content/un-monde-sans-fou-entretien-avec-herve-bokobza%20target=
Extraits de ses propos-propositions actuels, insolites voire très dérangeants, tenus au Forum de la démocratie à Lyon et rapportés par Eric Faverau dans son article, Libération du 29 novembre 2011. Hervé Bokobza est en dialogue avec Claude Finkelstein, qui dirige la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie.
HB: «Oui, j’ai honte de notre silence, j’ai honte de la pratique dans certains lieux, mais n’est-ce pas un peu toute la société qui est anesthésiée ? Nous, au Collectif des 39, nous nous sommes créés contre cela» […] «Le malade n’est pas dangereux. Il l’est quand il est abandonné, isolé, reclus. Je crois qu’il faut fermer les hôpitaux psychiatriques et ouvrir des lieux pour accueillir ceux qui en ont besoin.» Il ajoute : «On a une mauvaise façon de voir, on parle toujours des 1% de malades qui sont hospitalisés, internés, des grands fous. Mais la très grande majorité se débrouille, vit dans la ville. On en connaît tous des gens qui sont un peu bizarres, qui délirent un peu, mais se débrouillent.» […] «Il faut aller vers des états généraux de la folie.»

Patrick Chemla: Effondrement de la psychiatrie ? http://www.mediapart.fr/content/un-monde-sans-fou-entretien-avec-patrick-chemla

Entretien entre Staro et Ricœur faisant suite à la conférence de Ricœur «Vraie et fausse angoisse». in Entretiens avec Jean Starobinski, Lire, écouter, parler, écrire, 2 CD (voir plus bas). Ricœur lancé et relancé par Staro retourne l’angoisse comme un gant de manière assez extraordinaire, —démonstration patente de type inframince, celle d’un recto-verso inhérent à cette notion, une opposition dos à dos entre angoisse et corps physique total qui s’y coltine, y riposte. Le même retournement de type inframince est fait sur la notion de masque (inframince au pseudonyme-comble de l’identité), dans le post précédent. Avec dans les deux cas, un troisième élément qui se surajoute, qui flotte autour  du duo inframince, le met en apesanteur élégante (la mélancolie dans le post précédent, l’ennui dans celui-ci), une sorte de ménage à trois que charrierait toute notion, tout concept, hors dialectique.

Transcription
«J.S.: […] Définir l’angoisse à son niveau le plus simple. Qu’est-ce que l’angoisse à son niveau fondamental, le plus bas?
P.R.: Le mot important est le niveau. Si nous nous posons trop massivement le problème de l’angoisse, nous pouvons très grossièrement la distinguer de la peur en disant que nous avons peur de quelque chose de précis que l’on pourra relativement définir, tandis que l’angoisse plonge dans une sorte de vide, indéterminée, puis reflue sur moi en me menaçant totalement. Mais quand j’ai dit cela, je n’ai pas dit grand chose encore. C’est pourquoi nous pourrions peut-être utilement démembrer le problème en quelque sorte, en dissociant une série de plans, de niveaux d’angoisse. Nous avons intérêt à partir le plus bas possible, parce que nous aurons déjà à un niveau élémentaire les traits généraux de l’angoisse. C’est évidemment l’angoisse de la mort qui donne comme la basse continue de toutes les autres formes de l’angoisse. Dans cette angoisse de la mort, ne se détache-t-il pas une certitude qui est celle de notre existence, celle de l’existence de notre corps, fut-il menacé? Oui, précisément et c’est là la fécondité spirituelle de l’angoisse. Elle me contraint de réévaluer ce que je suis. Dans le cas de la menace de mort, par exemple, je me sens totalement menacé, mais en même temps, je suis amené à réévaluer mes raisons de vivre et ce sont ces raisons de vivre qui me donnent, si je puis dire un vouloir vivre.
J.S.: Et ce vouloir vivre est-il d’abord une raison, ou n’est-il pas au niveau le plus élémentaire quelque chose d’inconscient?
P.R.: Inconscient. Je pense que les forces de la vie sont évidemment ordonnées, organisées, en dessous du niveau de la conscience. Mais ce qui est remarquable chez l’homme —je ne dirai pas cela de l’animal— c’est que la vie dans son unité ne se rassemble qu’au moment d’une part où elle est menacée, où elle devient totalité menacée mais au moment où elle riposte avec tout son bagage d’affirmation.
Autrement dit, je n’affirmerai pas que la vie soit un instinct pour l’homme; il y a des instincts humains, mais très embrouillés, et ma vie doit en quelque sorte tailler son chemin à travers cette mer compliquée d’instincts discordants.
J.S.: Vous parlez de chemins, mais un chemin se définit par le sens où il va. Est-ce que dès l’instant où nous posons le sens d’un chemin pour sortir de cette première angoisse élémentaire, nous ne posons pas déjà le second niveau que vous évoquiez hier.
P.R.: En effet, parce que si j’essaie d’évaluer mes raisons de vivre, j’essaierai peut-être d’abord, de les trouver dans un certain souci de l’hygiène mentale, d’être un homme équilibré, d’avoir réduit le plus possible en moi les conflits et je chercherai donc dans les ressources d’une conscience isolée de quoi riposter à l’angoisse. Mais c’est justement un des faits les plus curieux de la civilisation moderne, c’est que ce soit dans les civilisations les plus stables, les plus protégées contre les menaces extérieures, que surgit à la faveur d’une sorte d’ennui de civilisation, un fond de détresse purement psychique qui n’a rien à voir avec la mort, qui est un caractère beaucoup plus psychologique, je ne dis pas que l’ennui soit l’angoisse, mais certainement que l’ennui véhicule l’angoisse.»

«A propos des drogues et autres produits psychoactifs», par Yves Charpak, Libération, 12 août 2011

Nicotine, alcool, café, opium, héroïne, amphétamines, cocaïne, champignons hallucinogènes, LSD, poppers, éther, colle, anxiolytiques, psychotropes, antalgiques, Red Bull… Citer en désordre ces produits psychoactifs permet de s’abstraire des dogmes et querelles de clocher sur leurs statuts, et des pseudo-justifications médico-scientifiques des choix de nos sociétés.

Certains produits sont légaux, certains sont disponibles «illicitement» mais pas classés comme drogues, d’autres sont des drogues illicites au niveau international, mais avec des «tolérances» locales diverses ; d’autres enfin sont des produits de santé. S’il y a une utilisation, c’est qu’il y a des besoins, des envies, des effets recherchés. Clairement, nous avons besoin de produits psychoactifs. Une vie cérébrale naturelle, sans produits modifiant les perceptions et les capacités est rarement réalisée. Les producteurs, légaux ou pas, s’en frottent les mains, d’autant plus que les querelles sur le statut de ces produits nous interdisent d’en débattre réellement. Mais que voulons-nous donc ? Commençons par voir ce qui existe. Schématiquement, on peut distinguer :

1. Des stimulants, pour se réveiller, pour ne pas dormir au travail ou au volant, pour mieux «faire la fête», limiter les effets du vieillissement sur les capacités de concentration, préparer des examens ou finir un travail nécessitant une privation de sommeil.

2. Des produits pour se désinhiber, avoir un meilleur contact avec les autres ou simplement les supporter.

3. Des produits pour moins souffrir, se désangoisser, dormir confortablement après une journée éprouvante.

4. Des produits pour modifier ses perceptions, les intensifier, percevoir ce qu’on ne sait pas faire normalement.

Notre consommation passe par des voies diverses : on avale, on boit, on chique, on inhale, on sniffe, on s’injecte. Ensuite viennent les effets non recherchés : toxicité, effets comportementaux délétères, violence, perte de contrôle, baisse des capacités intellectuelles, dépendance, accoutumance (augmenter les doses pour avoir le même effet), trafic, contrebande, pratiques marketings illégales, corruption, jeux d’influence, clientélisme électoral, blanchiment d’argent, marchés financiers offshore, financement des armes…

Pour évaluer tous ces effets, chaque produit et chaque contexte devraient être classés selon tous ces critères, sans a priori idéologique, scientifiquement. Pourtant, quand les sciences biologiques et médicales sont mises en avant, il s’agit souvent de fragments de résultats, sans recul sur leur interprétation. Il est dommage de voir des scientifiques cautionner cela : les décisions sociétales ne devraient pas impliquer la science lorsqu’elle n’est pas en réalité à l’origine des choix.

La situation est la suivante. Le stimulant le plus utilisé au monde est le café, probablement peu toxique. Vient ensuite la nicotine. Plus forte que le café, plus addictive, surtout qu’elle est noyée dans les milliers de substances qui composent le tabac et qui en font sa toxicité majeure. Mais ne nous y trompons pas, c’est bien la nicotine qui possède l’effet de base recherché. C’est la plus mortelle des drogues.

Il a existé un marché des stimulants sur ordonnance (d’accès assez libre), très prisés en particulier des étudiants avant les examens. Il s’agissait d’amphétamines, vendues en général comme «coupe-faim». Il n’y a plus d’amphétamines sur ordonnance, mais le marché illicite progresse inexorablement, avec l’ecstasy et d’autres molécules. Des professionnels en Europe utilisent même un autre stimulant «naturel», la cocaïne, pour mieux travailler, pour rester actifs malgré la fatigue, sans parler de ses usages «festifs».

Mais pour la fête et les liens sociaux, changeons de catégorie. L’alcool est notre désinhibiteur de choix. C’est une drogue dont les effets individuels et sociaux sont complexes. Il y a des buveurs réguliers excessifs, pour lesquels le problème n’est pas la dépendance mais la toxicité. Il y a aussi des «alcooliques», pour lesquels la dépendance est majeure et douloureuse. Bien sûr, il y a les buveurs raisonnables (nous), plus nombreux. Et enfin, sous la pression de forces marketing mondiales incontrôlées, des buveurs occasionnels mais excessifs, qui recherchent l’ivresse comme objet d’interaction sociale.

La dépendance est une drôle de chose : l’héroïne, drogue majeure, était massivement utilisée par les soldats américains au Vietnam, probablement fournie par des organisations proches de leur «employeur», pour les aider à surmonter les souffrances de la guerre. De retour chez eux, la majorité de ceux qui ont trouvé des conditions de vie favorables, que l’on pensait toxicomanes lourds, ont arrêté du jour au lendemain.

Le cannabis révèle pour sa part l’absence de lecture rationnelle des produits psychoactifs : drogue traditionnelle dans certains pays, entraînant rarement une dépendance forte, assez peu toxique médicalement en l’état des connaissances, elle est, malgré son statut illicite, prisée d’une bonne partie de la population, jeune le plus souvent, pour un usage festif et facilitateur de relations sociales. Elle est perçue comme sans danger. Effet paradoxal : son usage conduit souvent à une dépendance tabagique quasi inéluctable.

Les médicaments psychotropes illustrent un autre paradoxe : ils soignent ou soulagent, mais les effets recherchés côtoient les effets des autres produits qui apaisent aussi douleur, angoisse, dépression… Les utilisateurs ne s’y trompent pas : certaines consommations de drogues sont de fait des automédications, plus ou moins efficaces. Il est d’ailleurs difficile de mesurer ce qui est la cause d’une consommation et ce qui en est la conséquence.

En conclusion, le sujet mérite de sortir du cercle vicieux idéologique : nos sociétés s’y perdent. Il faut lire, pour les seules drogues illicites, le rapport annuel de l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime, et ses statistiques annuelles. Presque tous les indicateurs sont au rouge, signalant une augmentation d’usage non contrôlée par les politiques internationales et nationales. Nous pouvons faire mieux, mais il faut commencer à y réfléchir sérieusement.»


Les citations de l’article d’Eric Favreau «Des fous pas si furieux», de Libération du 9 et 10 juillet 2011 sont extraites du rapport de la Haute Autorité de Santé sur la dangerosité chez les malades mentaux. Cela pose la question de la guérison de telles maladies. Aby Warburg, frappé d’une crise de psychose aiguë, arrive en 1921 à la clinique de Ludwig Bingswanger. Il en sort guéri en 1924, après avoir prononcé la conférence Le rituel du serpent devant les patients de la clinique. Le livre La guérison infinie, Histoire clinique d’Aby Warburg, signé L. Bingswanger-A. Warburg, réunit le dossier clinique par Bingswanger, les lettres et les fragments autobiographiques de Warburg, la correspondance des deux hommes. Ils posent une question fondamentale et actuelle: Qu’est-ce que guérir?
Des éléments indicatifs ici >http://eduardo.mahieu.free.fr/2007/warburg_binswanger.htm
Le Rituel du serpent, article de Jean Lacoste http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article183

Louis A. Sass, Les paradoxes du délire, traduit de l’anglais par Pierre-Henri Castel, Ithaque.


Article de Robert Maggiori, Libération, jeudi 3 février 2011. Extrait: (lecture remontante du texte)

«La thèse: « L’expérience de bien des patients schizophrènes implique non pas un débordement, mais un détachement à l’égard des formes normales de l’émotion et du désir; non pas une perte, mais une exacerbation des formes diverses d’attention consciente à soi-même. » Voici qui ne va pas de soi, et qui, pour le moins, devrait « inspirer de nouvelles questions », sinon « ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur la maladie mentale »—dont Louis A. Sass dit qu’elle serait « le point d’aboutissement de la trajectoire que suit la conscience quand elle s’isole du corps, des passions, ainsi que du monde pratique et social, et qu’elle se retourne sur elle-même: c’est ce qu’on pourrait appeler l’esprit célébrant perversement sa propre apothéose ».»

«Sass introduit [dans son analyse, s’appuyant sur le livre de Daniel Paul Schreber, Mémoires d’un névropathe, où ont puisé autant Freud que Lacan] Wittgenstein [pour qui] le solipsisme est la maladie qui atteint la philosophie, (telle la mouche prise au piège de la bouteille), lorsqu’elle tombe dans l’illusion d’une conscience souveraine, lorsqu’elle s’enivre d’abstraction pure, se rend aveugle au sens commun, ou se désengage de toute activité pratique et  sociale.»

Ce qui peut nous faire réfléchir sur la haine de Deleuze (le créateur de concepts) à l’encontre de Wittgenstein, adepte du langage ordinaire. Je préfère la folie Wittgenstein.

Plus haut ce rapport troublant entre folie et philosophie est explicité à propos de la doctrine philosophique du solipsisme:

« Shreber, écrit Sass, « ne vivait généralement pas ses délires comme littéralement vrais, mais ayant plutôt une certaine qualité ‘objective’ —autrement dit, ils étaient en un sens le produit de sa propre conscience, et ils n’avaient pas le bénéfice d’une existence indépendante et objective (ce que laisse croire la formule du déficit de l’épreuve de réalité) ». Ce mode d’expérience rappelle « de façon frappante la doctrine philosophique du solipsisme, selon laquelle la réalité dans son entier, y compris le monde extérieur et autrui, n’est rien qu’une représentation qui apparaît à un Soi individuel et unique.»

On n’est pas loin non plus, en art,  de la «manière de faire des mondes» de Nelson Goodman.
En conclusion, revenons à Wittgenstein, Rousseau et au Goethe du Traité des couleurs (voir ci-dessous) et à Robert Maggiori ou Mathieu Lindon, deux journalistes qui justifient encore l’achat de Libération.

Articles plus récents ›