Des artefacts de la porcelaine chinoise bleu et blanc, ont participé des échanges commerciaux intenses entre la Chine, les pays d’Asie, du Moyen-Orient et de l’Europe, dès le 9e siècle. Ils se placent, parmi les « marchandises » vendues, échangées, au même titre que les métaux précieux, les bijoux, les épices, les textiles, les esclaves. Des esthétiques du bleu et blanc propres à des objets de vaisselle existent internationalement. L’arrivée de la porcelaine bleu et blanc chinoise va créer une coexistence de styles. Ce qui est prisé, c’est la qualité du blanc de la porcelaine chinoise. Quant à la qualité artistique des motifs peints au bleu de cobalt mais pas seulement, la Chine n’en est pas la dépositaire particulière, loin de là, elle préfère les blancs purs, et ce n’est qu’au fil des demandes particulières, au fil des années, faites par les pays étrangers aux artisans chinois, qu’elle le deviendra, reconnue internationalement, aux côtés de celle du Japon.

Bol, Irak, Bassorah, période abasside (750-1258). Faïence, décor peint à l’oxyde de cobalt. «L’apparition d’épaisses glaçures blanches opaques dans les premières céramiques produites dans la région de Bassorah peut refléter l’importation de vaisselle blanche de la dynastie Tang à cette époque. L’utilisation du bleu de cobalt sur ce bol pour définir le pourtour et le mot (ghibta) (bonheur) inscrit au centre dénote-t-il un partage esthétique entre les empires Tang et Abbassides? La question de savoir quelle culture a été la première à utiliser ce minerai reste controversée. Le cobalt se trouve à la fois dans le nord de l’Iran et dans la péninsule arabique.»

Assiette à bord festonné, dynastie Song (960-1127), porcelaine avec glaçure ivoire (Dingware). Destinée à la Cour, pour les cérémonies bouddhistes, elle a été faite d’après un modèle en argent.

Bouteille, Dynastie Yuan (1271-1378) (fin 13e siècle-début 14e) Qingbai ware. Porcelaine avec des décorations gravées sous glaçure céladon. Le lotus, motif récurrent en Chine, introduit avec le bouddhisme est symbole de pureté. L’imagerie peut être empruntée à l’Inde de l’est et au Tibet au 13e et 14e siècle.

Bouteille avec étang de lotus, Dynastie Yuan ( 1271-1378), milieu du 14e siècle). Porcelaine peinte avec bleu de cobalt sous une glaçure transparente (Jingdezhen), de même tradition que la précédente. «  Le changement vers la céramique bleue et blanc arrive pendant le 14e siècle, sous la dynastie mongole. La demande de porcelaines avec décor cobalt, est stimulée à la fois par le goût des Mongols, et la demande, dans les pays islamiques. Le bleu et blanc à la fin du 14e siècle est le type de céramique le plus demandé dans le pays et à l’étranger. Jingdezhen devient le centre de production principal jusqu’à ce que les Japonais commencent à en faire au début du 17e siècle.»

Bol avec de jeunes garçons dans un jardin, Dynastie Ming (1378-1644), période Jiajing (1522-1566). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente, Jingdezhen. Le thème est celui des défilés de jeunes étudiants.

Boîte avec les Immortels taoïstes, Dynastie Ming (1378-1644), période Jiajing (1522-1566). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente, Jingdezhen. Sorte de procession sur le couvercle de la boîte. Shoulao, le dieu de la longévité, et les huit immortels est un thème populaire dans l’art chinois. Chaque groupe est séparé par un rocher, un bosquet de bambou, une grotte qui conduit au royaume de l’immortalité. Une femme apparaît, He Xiangu, qui danse, associée aux femmes aux foyers. C’est une boîte rituelle.

Plat en forme du Mont Fuji, avec des daims et des cerfs, Dynastie Ming (1368-1644) période Tianqi (1621-1627). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente, Jingdezhen. « Les trois pointes arrondies du plat reprennent la forme du Mont Fuji, associées à un paysage de collines, des arbres en fleur printaniers. L’inscription mu soi yu ju, lu ma you you, (divaguant, vivant parmi les arbres et les rochers et errant avec des cerfs et des chevaux), fait référence à Mencius. Un motif de tissage de panier est peint sur les côtés du plat. »

Plat avec des oies et un étang de lotus, Dynastie Ming (1368-1644), période Wanli (1573-1620). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente. « Deux oies sous des buissons de fleurs sont sur un promontoire au centre du plat. Huit grands et huit petits panneaux occupent l’aile du plat, qui est séparé de la scène intérieure par une bordure festonnée. Des pêches alternent avec des symboles qui font allusion au succès futur, tels que des feuilles et des fleurs attachées avec des rubans et des glands sur les plus grands panneaux, et des nœuds de bon augure sur les plus petits. Le relâchement dans le rendu de la peinture et l’organisation de la scène en un médaillon central entouré de panneaux rayonnants identifient ce plat comme de style kraak. » Cette porcelaine d’exportation, a pris le nom en néerlandais « caraak » (caraques) des vaisseaux portugais et espagnols qui furent les premiers à transporter ce type de porcelaines bleu et blanc vers l’Europe dès la seconde moitié du 16e siècle.

Assiette avec une dame à l’ombrelle, Dynastie Qing (1644-1911), Jingdezhen.
 « Bien que cette grande assiette ait été fabriquée et peinte en Chine, la charmante scène d’une femme regardant des oiseaux aquatiques a été conçue aux Pays Bas par Cornelis Pronk (1661-1759), peintre et dessinateur chargé en 1734 par la Dutch East India Company de créer quatre scènes pour des assiettes qui seraient produites en Chine pour être vendues en Europe. Le plat chinois suit de près la conception hollandaise.» On peut y voir l’annonce du style Transition.

Bouteille à anses, Florence, seconde moitié du XVIe siècle, porcelaine tendre, à l’imitation de la Chine.« C’est par le Moyen-Orient et la route des épices et de la soirie que les premières porcelaines chinoises bleu et blanc arrivent en Europe, via l’Italie. Le grand-duc de Toscane encourage les recherches d’un petit atelier qui produit quelques pièces destinées à des cadeaux diplomatiques. Dans cette production se faisait sentir l’influence des céramiques turques d’Iznik.»

Pot à pharmacie, Égypte ou Syrie, 14e siècle. Pâte siliceuse engobée, décor sous glaçure transparente. « Ce pot est un exemple de l’art sous la dynastie mamelouke, contemporain des premières importations de porcelaine chinoise bleu et blanc, que les potiers tentent d’imiter. L’inscription dit :  » Je suis libre dans mon éloignement et mes tourments; je ne mérite point de blâme; auprès de mes proches réside mon âme. » Une autre interprétation y voit une référence à l’impuissance, laissant penser que le pot était destiné à recevoir un remède contre ce mal. »

Pichet, Iznik ou Kütahya (Turquie), vers 1520, pâte siliceuse, engobe, décor peint sous glaçure transparente. « La Turquie ottomane dès le début du 16e siècle, produit une céramique raffinée, qui tente d’égaler les porcelaines chinoises. Son décor est proche d’une lampe de mosquée. Le décor est dessiné en réserve.  »

Bouteille à l’échanson, Iran, seconde moitié du 17e siècle, pâte siliceuse, décor peint sous glaçure transparente. « Sous les Safavides (1501-1736), certaines pièces de céramique tentent de rivaliser avec la porcelaine bleu et blanc chinoise. La pâte siliceuse est riche en fritte. Le trait du dessin est fait à l’oxyde de manganèse. Le style du personnage de saqui (échanson) s’inspire de l’art du miniaturiste Reza Abbasi (1565-1635). »

« À la suite des conquêtes portugaises de Goa et de Malacca en 1510 et 1511, les premières relations commerciales du Portugal avec la Chine sont établies. Les porcelaines prennent le chemin de Lisbonne. Source d’inspiration pour les faïenciers lisboètes, ces artefacts sont à l’origine d’un mélange des esthétiques dans la production de vaisselles ou d’azuelos. »

Documents rassemblés par L.T.

*

Sources, trois ouvrages ci-dessous :

Denise Patry Leidy, Chinese Ceramics, The Metropolitan Museum of art, New York, 2015

Un firmament de porcelaines, De la Chine à l’Europe, Mnaag, Paris, 2019

Étienne Blondeau, Les routes bleues – Périples d’une couleur de la Chine à la Méditerranée, Musée national Adrien Dubouché – Limoges / Cité de la céramique – Sèvres et Limoges, Les Ardents Éditeurs, 2014, Limoges

Seth Siegelaub, Carl Andre, Robert Barry, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, Sol LeWitt, Robert Morris, Lawrence Weiner, AKA the Xerox Book, New York, 1968

https://book-as-exhibition.org/Seth-Siegeulab-Xerox-Book

http://netabomani.com/darkmatter/

MOTIFS GÉOMÉTRIQUES D’ORNEMENTATION AU MIDDLE STONE AGE* DE L’AFRIQUE DU SUD

* L’expression Middle Stone Age, en abrégé MSA, désigne un ensemble d’industries lithiques préhistoriques trouvées en Afrique australe et orientale, plus ou moins contemporaines des industries du Paléolithique moyen, vers 350 000 ans environ AP — avant le présent — et s’achève vers 45 000 ans AP identifiées en Afrique du Nord, en Europe et en Asie.

Sources : « An abstract drawing from the 73,000-year-old levels at Blombos Cave, South Africa Christopher S. Henshilwood, Francesco d’Errico, Karen L. van Niekerk, Laure Dayet, Alain Queffelec & Luca Pollarolo » publié dans la revue Nature.

 https://www.hominides.com/html/actualites/dessin-ocre-traces-73000-ans-blombos-1267.php

Le premier dessin au crayon d’ocre : 73 000 ans (Middle Stone Age)


Photo : D’Errico / Henshilwood / Nature.

« Un éclat de silicium présente des traits dessinés avec un crayon d’ocre. Ce petit tracé a été trouvé en 2015 dans la grotte de Blombos, Afrique du Sud. C’est un motif hachuré, composé de neuf fines lignes d’ocre dessinées à la surface d’un petit morceau de roche siliceuse. La pièce est donc au moins 30 000 ans plus vieille que les précédents dessins abstraits ou figuratifs connus auparavant. Elle a été retrouvée dans une strate de 73 000 ans BP dans laquelle les chercheurs extrayaient par ailleurs du matériel lithique. Le défi méthodologique majeur consistait à prouver que ces lignes avaient été délibérément dessinées par des humains. C’est pour cette raison que les chercheurs ont pris presque 3 ans entre la découverte du dessin (2015) et la publication (2018). Les équipes ont travaillé sur la composition des matériaux avec une analyse chimique des pigments. En utilisant des méthodes d’archéologie expérimentale, les chercheurs ont essayé de reproduire les mêmes lignes avec différentes techniques. Ils ont testé des fragments d’ocres différents, avec une pointe ou avec une arête, et ont également appliqué différentes dilutions aqueuses de poudre d’ocre. En utilisant des techniques d’analyse microscopique, chimique et tribologique (friction et usure), ils ont comparé leurs dessins à l’original. Leurs résultats confirment que les lignes ont été intentionnellement dessinées avec un outil ocre pointu sur une surface d’abord lissée par frottement. Ce motif constitue ainsi le premier dessin connu, qui rejoint la gravure sur bloc d’ocre déjà retrouvée à Blombos et datée de 75 000 ans. » La communication a été publiée dans la revue Naturepar une équipe internationale qui regroupe des chercheurs des unités de recherche PACEA (CNRS / Université de Bordeaux / Ministère de la Culture) et TRACES (CNRS / Université de Toulouse-Jean Jaurès / Ministère de la Culture).

La gravure sur bloc d’ocre déjà retrouvée à Blombos et datée de 75 000 ans 


Classes River, Bomblos 100-71 ka

Des signes gravés il y a 500 000 ans. Quelques lignes gravées sur un coquillage 


Photo : Wim Lustenhouwer, Vrije Universiteit

« En 2007, Stephen Munro était un étudiant diplômé en archéologie. Alors qu’il étudiait quelques coquilles de Java, en Indonésie, il a eu le choc de sa vie : il a constaté que l’une des coquilles avait un motif de lignes en zig-zag gravé à la surface. En utilisant la microscopie, l’archéologue Francesco d’Errico (Université de Bordeaux) a montré que les marques avaient été réalisées en une seule session à l’aide d’un outil tranchant. 

Les coquillages fossilisés se trouvaient dans une collection du musée depuis un certain temps. Ils provenaient du site de Trinil à Java en Indonésie et avaient été découverts par Eugène Dubois en 1891. L’équipe, composée de 21 chercheurs (Université libre d’Amsterdam), a analysé les coquilles et les sédiments associés. Le motif géométrique gravé sur l’une des coquilles était totalement inattendu. Il faut noter que pour faire ressortir les lignes gravées il faut que la lumière se présente sous un angle particulier. Les chercheurs ont daté les sédiments d’où ont été extraits les coquilles et ont estimé que leur âge se situe entre – 430 000 et – 540 000 années à l’aide de deux méthode de datation différentes (Argon et thermoluminescence).

Il y a 500 000 ans (datation du coquillage), Homo sapiens n’existait pas encore. En Indonésie, une espèce était présente, Homo Erectus. Cette espèce d’hominidé vivait depuis 1,9 millions d’années. Originaires d’Afrique, les Homo erectus se sont répandus vers la Géorgie, l’Inde, le Sri Lanka, la Chine et Java. On peut donc penser que cet Homo erectus à Java utilisait ces coquilles de moules d’eau douce comme outils il y a un demi-million d’années, et qu’il gravait parfois ces « outils » de motifs géométriques.  « Jusqu’à cette découverte, on supposait que des gravures comparables n’avaient été faites que par des hommes modernes (Homo sapiens) en Afrique, il y a environ 100.000 ans », explique l’auteur principal de l’étude, José Joordens (Faculté d’Archéologie à l’Université de Leiden).

http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature13962.html

Coquilles d’œuf d’autruche gravées

Une catégorie d’ornementation MSA se présente sous la forme de coquille d’œuf d’autruche incisée. Certains fragments incisés dans le MSA d’Apollo 11, Namibie, ont une coloration rouge (Wendt 1972 ; Vogelsang 1998 : 84). Les coquilles d’œufs d’autruche gravées de Howiesons Poort sont les plus connues, elles font partie de la collection abondante de Diepkloof, dans le Western Cape (Parkington et al. 2005 ; Texier et al. 2010, 2013).
Figure 3 : 1–6 : Les motifs en forme d’échelle sont les plus courants et constituent la plus ancienne des gravures en couches de Governor à Ester. D’autres comprennent des lignes profondément gravées, droites, sous-parallèles, une grille hachurée, des lignes courbes et sous-parallèles et un motif de courbure inversée. Le Howiesons Poort de Klipdrift, dans la région sud du Cap en Afrique du Sud, compte 95 morceaux de coquille d’œuf d’autruche gravés d’une variété de motifs géométriques (Henshilwood et al. 2014).
Figure 3 : 7-12 : Les dessins sont similaires à ceux de Diepkloof et comprennent des hachures croisées et des lignes sous-parallèles, mais excluent le motif de lignes d’intersection sous-parallèles. Un nouveau motif à Klipdrift comprend un motif hachuré en forme de losange différent de la grille hachurée à Diepkloof (Henshilwood et al. 2014).

 


Carte de l’Afrique du Sud montrant l’emplacement du complexe de la grotte Klipdrift et d’autres sites MSA. Henshilwood et al., 2014.

Documents rassemblés par L.T.

TOUTES LES COPIES EXPOSÉ

Premier Temps

Toutes les Copies, 1985, une installation vivante dans Les Immatériaux. Texte et mode d’emploi

1.
« En 1985, l’exposition du Centre Pompidou, Les Immatériaux, a pu contenir une installation vivante, dédiée à la photocopie, comme technique, nouveau média et vecteur de création. Le site Toutes les copies a présenté la particularité d’une expérience collective propre à explorer une forme artistique performative et relationnelle, initié par une convention avec l’université Paris 8 « modalités émergentes de l’image dans l’art contemporain »: le multiple, la diffusion, portées par la photographie et la sérigraphie, le copy art, ouvert vers le réseau et la base de données, le relationnel programmé, l’interactif.
2.
Le site Toutes les copies est « un cube transparent et suspendu, comme un bocal où vivent l’opérateur avec parfois un visiteur, des plantes, de petits animaux, entourés d’un grand nombre de matériaux, d’objets et d’images. Tous ces éléments, y compris le corps des manipulateurs, entrent en relation au même titre avec le petit copieur dit personnel, installé en son centre. Cette accumulation hétéroclite mais ordonnée par les choix de la copigénie peut apparaître comme une image globale, comme une collection à transformer selon un projet rationnel. Mais les copies contestent ces deux versions : elles sont des images toujours renouvelées et différentes. Faites à la demande, feuilles volantes, elles glissent depuis la fente du copieur, jusqu’au sol, hors du cube, en laissant son contenu intact, inchangé. »
3.
« Comme son appareil copieur, le dispositif Toutes les copies, s’articule autour d’une vitre. Cette vitre est-elle vraiment transparente ? Le passage d’un côté à l’autre ne peut se faire que par une fente, avec une mise à plat. Cette dimension perdue, la profondeur, se réinvestit dans la durée. Ces deux caractères s’identifient à ceux de la feuille de papier : planéité et permanence. […] La photocopie confronte l’image à son modèle, sa matrice est l’apparence des choses elle-même. En copiant des objets, on en révèle le caractère de matériau pictural et d’image potentielle, de mise en écriture indéchiffrable, [la photocopie c’est du texte], alors que les images issues du copieur avouent leur existence d’objets. »
« Ce qui est installé, c’est plus que l’appareil et les objets, c’est une somme de savoir-faire, de procédures. Le choix des matériaux, et objets, et images, est le résultat d’un ensemble d’expériences. Une invention oriente ce travail : les objets ont un volume, le copieur n’a donc pas de couvercle, et le fond de l’image est clair malgré tout car un éclairage est placé au-dessus de la machine. »
4.
« Les photocopies sont regroupées en quatre catégories, dévoilant les modes de passage inframince qui se jouent à la vitre-miroir.
a) Le plan est un support pour la disposition la mise à plat ;
b) Le plan est un support pour le développement;
c) Les choses sont déjà planes;
d) Les choses sont déjà des images.»
5.
La photocopie, estampe électrographique, présente la caractéristique d’agir par monotypes : la copie va chercher sur l’original les paramètres de sa constitution. Pour se répéter, elle ne peut que s’y référer de nouveau. À la différence des procédés de gravure, […] la matrice se détruit à chaque transfert et doit se reconstituer à la source de l’original. La plaque photo électrique n’est qu’une matrice transitoire, c’est l’objet la véritable matrice. »
6.
Exception dans Les Immatériaux, à l’adresse des visiteurs, il y a une notice :
« Mode d’emploi du cube, avril 1985. Cinquante des objets, matériaux et images enfermés dans ce cube ont été photocopiés sur le petit copieur placé au centre de la nacelle, débarrassé de son couvercle et dans la plupart des cas éclairé par une lampe suspendue à la verticale du peigne de fibres optiques qui se trouve à fleur de la fente que vous apercevez à travers le plateau vitré mobile du copieur. Les cinquante photocopies obtenues sont affichées, face au cube. Mais ces copies d’objets et bien d’autres encore, peuvent aussi vous être fournies à la demande pendant les heures de fonctionnement du site par des démonstrateurs, étudiantes et étudiants. »

[« Matériau : ce sur quoi s’inscrit un message : son support. Il résiste. Il faut savoir le prendre, le vaincre. C’était le métier, faire une table avec un arbre. Qu’arrive-t-il si l’on conçoit, simule et réalise le matériau selon la nature du projet ? Toute résistance au projet d’inscrire un message serait vaincue. Le message ne rencontre pas son support, il l’invente. Le travail n’affronte pas son objet, il le calcule et le déduit. Évolution des métiers vers la conception et l’ingénierie informatique. Déclin de la valeur attachée au travail, à l’expérience, à la volonté, à l’émancipation. Essor de l’imagination combinatoire, de l’expérimentation, de l’essai. La question pressante : avec la perte du matériau, la destinée en chômage ? »] Difficile à décrypter pour ma part
Un rapprochement vers la fiche « surface introuvable », qui est aussi classée dans « matière », sous le terme « profondeur simulée », apporte notre phrase de prédilection pour les copies :
« La perception d’une surface comme plane dépend de l’échelle d’observation. La représentation bi-dimensionnelle est conventionnelle. Dans toute surface se cache le relief de son matériau. »
Nous sommes dans l’une des 26 zones sonores attribuée aux sites, la zone sonore numéro 9 pour « Peinture luminescente », « Peinture sans corps », « Toutes les copies ». Le visiteur, le regardeur et éventuel « client » entend donc dans son casque des citations de Maurice Blanchot, d’Octavio Paz, d’Henri Michaux.
[La présence d’une personne comme « pilote », et parfois d’une deuxième, « copilote », permet des comptes rendus hebdomadaires qui sont à part entière parties de la performance. Si la manifestation est une œuvre d’art, l’installation, et peut-être avant tout le cours qui la fait vivre, est une œuvre.] Cette option n’est pas retenue dans la version 2023 

« Toutes les copies était le dernier site du premier parcours de l’exposition, situé à proximité de l’entrée du Labyrinthe du langage. Parallèlement, il fait partie de la zone audio numéro 9, avec les autres sites […] qui abordent […] les questions de paternité et de production automatique […] des images. Mais alors que d’autres sites de cette voie, dont « Infra-Mince », posaient ces questions à propos d’œuvres d’art, dans Toutes les copies l’arbitraire des objets photocopiés témoignait du fait que les images n’ont pas besoin d’être des objets d’art pour manifester l’insaisissable : « Tout peut être photocopié. […] Il peut en résulter quelque chose de méconnaissable », écrit Lyotard dans l‘Inventaire. […] En l’absence de tout jugement sur l’objet copié, la lumière est capable […] sans acte créateur, sans auteur, sans référent métaphysique, de produire une image […]. »
« En contraste avec ces considérations conceptuelles se dressait le cadre plutôt banal du site […]. La rencontre directe avec une personne manipulant le photocopieur, était la seule occasion de toute l’exposition où l’isolement du visiteur était rompu. […] Ici, une véritable interaction était possible, même limitée par la vitre du cube. En contrepoint d’une production d’images […] automatisée, elle marquait un espace de rencontre et de jeu […]. »
Devant le cube vitrine de « Toutes les copies », on demande une copie mais pas la chose. Mieux, processus déictique, on désigne la chose-matrice par son nom pour l’avoir imprimée, c’est-à-dire traduite. »

Deuxième temps

A la recherche d’une théorie des objets, des choses

1
Du côté de Francis Ponge. Quand Ponge décrit une chose par Derrida
pastedGraphic.png
Le livre de Francis Ponge, Le Parti pris des choses figure dans l’inventaire d’objets copygéniques du site de copy-art Toutes les Copies, Centre Pompidou

Référence bibliographique : « Signéponge (Jacques Derrida, 1988, première publication en 1984) [Signéponge] »https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0802210755.html Conférence prononcée en présence de Francis Ponge lors de la décade de Cerisy-la-Salle qui lui a été consacrée en 1975. Le texte est daté du 10 août 1975.
« Jacques Derrida donne dans ce texte une lecture de l’oeuvre de Ponge. Il insiste pour dire qu’elle n’est pas la seule possible. Ce n’est ni une clef ni une explication générale. Quand Francis Ponge décrit une chose, quand il se met à son service, il passe avec elle un contrat. J’écris un texte, je le signe en mon nom propre, mais le texte tel qu’il en résultera, ce sera ta signature à toi, la chose. Chaque fois, il écrit un texte unique, irremplaçable. Ce texte, une fois fini et signé, une fois arrêté, devient une chose, la chose. Son texte est une opération, un acte, ce qu’on appelle une mise en abyme : en se désignant lui-même comme texte, il fait en sorte que la chose se désigne elle-même comme chose, et le résultat de l’opération, c’est que Ponge se désigne lui-même comme Ponge, c’est-à-dire comme une chose, une éponge

2
du côté de Walter Benjamin
La perte de l’aura et l’aura retrouvée
réf. L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Pour aller vite, L’aura concerne la qualité de l’œuvre d’art unique,(unicité de son existence au lieu où elle se trouve (la valeur cultuelle) nous dirons l’œuvre picturale unique. Mise en accusation de la perte de l’aura la reproduction photographique sous tous ses formes, découpage, zoom, multiplication de l’image. Mais depuis Fox Talbot la photo est aussi un medium artistique
Benjamin dans son livre sur les Passages parisiens, décrit le caractère fantasmagorique qu’offrent les vitrines des boutiques en enfilade dans les passages parisiens, pleines des produits de luxe manufacturés du capitalisme industriel qui se substituent aux pièces uniques et remplissent les intérieurs bourgeois. Goût de la collection d’objets fétiches fantasmagoriques, porteurs d’une promesse d’âge d’or, goûtés dans les intérieurs privés refuges. Les malls actuels en sont le prolongement et les objets-cultes qu’on y achète. (comme les Nike) le prolongement démocratique actuel.
Une note de Benjamin redéfinit l’aura de manière très belle.
En exergue : « Regard dans le dos / Rencontre et regards / Lever les yeux, répondre à un regard / Qu’est-ce que l’aura ? »
L’expérience de l’aura repose sur le transfert d’une forme de réaction courante au sein de la société humaine sur la relation de la nature à l’homme.
Celui qui est regardé ou se croit regardé lève le regard répond par un regard. Éprouver l’aura d’une apparition ou d’un être veut dire prendre conscience de sa faculté de lever un regard de répondre à un regard. Cette faculté est pleine de poésie. Quand un homme, un animal ou une chose inanimée sous notre regard lève le sien, il nous attire d’abord vers le lointain; son regard rêve et nous entraîne à la suite de son rêve. L’aura est l’apparition d’un lointain aussi proche soit-il. Les mots eux-mêmes ont leur aura : Kraus l’a décrite avec une exactitude particulière :
« Plus on regarde un mot de près, plus il vous regarde de loin en retour ».
Il y a autant d’aura dans le monde que de rêve encore en lui. Mais l’œil éveillé ne perd pas la force du regard quand le rêve en lui s’est entièrement éteint. Au contraire : c’est alors seulement que son regard se fait réellement pénétrant
Il cesse de voir semblablement au regard de la bien-aimée qui, elle, sous le regard du bien aimé… (non daté) »
Notre cube vitrine benjaminienne peut entrer dans ce jeu de regards humain/objet
On peut y ajouter le regard indifférent de Duchamp qui ramasse ses ready-made… Au ZKM, le cube était proche à la fois du porte-bouteille et d’un Nam June Paik minimaliste.
Nos objets du Cube n’en sont pas.

3
du côté de Toshiki Okada, et de sa pièce de théâtre Eraser Mountain.
Sur le thème brouiller la frontière entres les personnes et les objets (ce que nous tentons de faire dans notre cube transparent au vu de tous comme sur une scène de théâtre (photo) (représentation Dimanche 28 novembre 2021, 15h-17h30, Théâtre de Gennevilliers.
Entretien avec Toshiki Okada à propos de son spectacle Eraser Mountain, au théâtre de Genevilliers. Reprise d’un interview publié dans un document de présentation. Propos recueillis par Barbara Turquier, mars 2020
«Question : Eraser Mountain semble être un tournant dans votre approche du théâtre. Quel était le point de départ de ce spectacle ?
Toshiki Okada : Il y a plusieurs années, j’ai visité la région qui avait été dévastée par le tsunami après le tremblement de terre de 2011. C’était la première fois que je m’y rendais, et j’ai été choqué de voir que cette zone était en chantier. Comme l’endroit est dangereux, ils rehaussaient le niveau de la terre de douze mètres pour parer un prochain tsunami. Pour réaliser ce projet, ils ont eu besoin de grandes quantités de terre, et certaines montagnes ont complètement disparu. Pour moi, ce chantier incarnait un mode de pensée très anthropocentrique. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu réfléchir à la manière dont le théâtre pouvait être moins anthropocentrique, parce que c’est au départ un art très centré sur l’homme.
Question : Comment cette prémisse a-t-elle influencé la conception de votre spectacle – qu’il s’agisse des histoires qui y sont racontées, de la scénographie ou du travail avec les acteurs ?
Toshiki Okada : Pour réaliser Eraser Mountain, j’ai commencé par réfléchir à la manière dont nous pouvions créer un théâtre des choses, et non seulement des humains. Comment des acteurs humains peuvent-ils collaborer avec des objets, plutôt que simplement les utiliser comme des accessoires ou des outils ? Cette relation aux outils et aux accessoires ressemble parfois à une relation de maître à esclave. J’aimerais trouver un rapport plus équilibré entre les deux.
Question : Les photographies du spectacle montrent une scène jonchée d’objets de tous ordres. Comment avez-vous travaillé avec Teppei Kaneuji pour la scénographie ?
Toshiki Okada : Au début de la création, j’ai décidé de faire appel à Teppei Kaneuji, qui réalise la scénographie, mais qui est surtout artiste et sculpteur. Je me suis dit que Teppei serait la bonne personne pour trouver ce nouveau rapport aux choses. Teppei et moi avons décidé de ne pas penser les objets comme un décor. Aucun objet sur scène ne devait représenter quelque chose. Je lui ai dit qu’il pouvait y mettre tous les objets qu’il voulait. Il n’avait pas à se préoccuper le moins du monde des histoires racontées dans les différentes scènes. Nous travaillions ensemble, mais sans nous préoccuper l’un de l’autre. Je créais la fiction, et dans le même temps, il plaçait les objets comme il le désirait.
Question : Peut-on dire qu’il utilise la scène comme il le ferait d’un espace d’exposition ?
Toshiki Okada : D’une certaine manière oui, il réalise une sorte d’installation sur scène. Mais j’imagine que c’est un travail très différent pour lui de le faire dans un théâtre, par rapport à ce qu’il réaliserait en galerie.
Question : Êtes-vous intéressé par l’idée que les objets développent une sorte de vie propre, et que les humains se comportent comme des objets ?
Toshiki Okada : Oui. Une des choses qui m’intéresse, c’est de voir comment on peut faire disparaître la différence entre les humains et les objets*. Nous avons tenté de rendre l’état des acteurs « semi-transparent ». Nous utilisions ce mot « semi-transparent ». C’est étrange et difficile à expliquer, mais le concept a fonctionné. L’idée était en quelque sorte de disparaître, de brouiller la frontière entre les hommes et les objets.
Note de bas de page éclairante
*Dans Le Concept de nature (trad. Jean Douchement, Paris, Vrin, 1998), Alfred North Whiteread décrit la relation entre objets et événements d’une façon qui aurait trouvé un écho dans l’appréhension des tissus et techniques textiles chez Anni Albers : «Un objet est un ingrédient inclus dans le caractère d’un certain événement. En fait le caractère d’un événement n’est autre que les objets qui en sont les ingrédients et les manières par lesquels ces objets font ingression dans cet événement. Ainsi la théorie des objets est la théorie de la comparaison des événements. Les événements sont comparables seulement parce qu’ils conduisent à des permanences. Nous comparons des objets dans les événements chaque fois que nous pouvons dire : «C’est encore là». «Les objets sont les éléments dans la nature qui peuvent être encore.» (p.188)» cité dans Anni Albers, Du tissage, T’ai Smith, «Lire Du tissage, page 243, note 7. Isabelle Stengers résume l’usage du terme chez Whitehead de la manière suivante : « Le nom « événement » célèbre le « fait » que ce que nous discernons a toujours un au-delà. » (Penser avec Whitehead, une libre et sauvage création de concepts, p.60)
Toshiki Okada : ce qui est différent dans Eraser Mountain, c’est l’adresse des interprètes, qui n’est pas conventionnelle. Nous avons essayé de ne pas avoir d’adresse directe des interprètes au public. C’est une autre manière pour nous d’essayer de trouver des alternatives à l’anthropocentrisme au théâtre – à un théâtre des humains dirigé vers des humains.»
Question : Comment la position du public en est-elle redéfinie ? Acquiert-elle une autre statut?
Toshiki Okada : Je ne sais pas. Le spectacle ne peut pas être présenté au public d’une manière directe, mais cela ne veut pas dire que le public n’est pas un public. Les spectateurs doivent expérimenter le théâtre différemment que d’habitude. Je pense que cela peut déclencher de nouvelles manières de penser. Au début, on peut se sentir exclu – mais au fond, ce n’est pas tant le fait d’être exclu que de ne pas être tout à fait au centre.

4.
du côté d’Anni Albers Du Tissage,
son livre, écrit 43 ans après son entrée au Bauhaus, et après son enseignement au Black Mountain College. Suite à la rédaction de son livre, 1965,elle abandonne le tissage pour la création d’estampe imprimée. Dans son livre La Bande du Bauhaus, Nicolas Fox Weber, livre quelques éléments sur Anni. Citations :
« L’art est la seule chose qui vous maintient en équilibre. Vous avez l’impression de prendre part.à quelque chose qui n’est pas parallèle à la création, mais qui s’ajoute à un tout, qui montre une totalité qu’il est impossible de trouver dans la nature, parce qu’on ne comprend pas la nature comme une totalité. » Dans son art, elle visait instinctivement une totalité microcosmique accessible [Benjamin est dans la micrologie]. Concentrée sur les problèmes techniques et esthétiques, laissant les formes et les matériaux faire tout ce qu’ils pouvaient, cherchant à penser de manière visuelle et pratique uniquement, elles trouvait sa voie jusqu’à l’équilibre et la sensation de complétude. La réussite d’Anni n’a rien d’un accident. elle divisait la surface en quelques zones bien délimitées, minimisant la forme grâce à un réductionnisme qui pour beaucoup d’artistes, est l’aboutissement et non un point de départ. Anni était enchantée par tout ce qui était dépouillé et raffiné.
p.430
« Tout est feuille. Pas une ne ressemble à une autre, pourtant toutes les formes ont une similitude; par conséquent, une loi mystique est proclamée par le chœur. »Goethe Métamorphose des plantes. Anni identifiait les textiles aux plantes. Les premières rangées, comme les racines des plantes, déterminent ce qui vient par la suite; l’acte de création est une progression linéaire. Les nombreuses parties sont irrévocablement indépendantes
p. 434
Suivant la suggestion très ludique de Klee (faire faire une promenade à une ligne), celle qui avait choisi le tissage par hasard faisait passer son unité de composition par toute une série de sauts et de repos.
Elle méprisait « toute cette histoire d’artisanat » et désirait que son travail soit considéré comme de l’art. Expose au Moma en 1949. L’art qui l’intéressait était éternel et universel, [pas faux aujourd’hui]. Elle aimait le langage indéchiffrable.
Dans Du Tissage, le chapitre« Le design comme organisation visuelle » conclut en abordant la question de l’éthique du design textile, prenant pour exemple un « revêtement mural docile » destiné aux murs d’une galerie. Albers y résume l’idée selon laquelle la pratique du design exige d’accorder attention aux dimensions à la fois technique, tactile et visuelle des tissages structurés. Elle affirme en outre que toute étoffe se forme en dernière instance « d’elle-même », les designers n’y contribuant que via une « passivité attentive (p.80, 81). Si les techniques culturelles que sont un tissage, un livre ou une porte, selon Siegert, « comprennent inévitablement un réseau plus ou moins complexe d’acteurs constitué à parts égales d’objets techniques et de chaînes d’opération (comprenant des gestes) », alors « le geste humain », le pouvoir traditionnellement attribué aux êtres humains, n’est pas un donné mais se compose et dépend de techniques culturelles. En ce sens [ces dernières] permettent aux acteurs impliqués d’être à la fois humains et non humains; elles révèlent en quoi l’acteur humain est toujours déjà décentré par l’objet technique.
Du Tissage, contribution majeure à la fois à l’histoire de l’art, du design et du textile modèle. Albers met en avant l’anthropologie comme méthode moderne, ouvre à des questions interdisciplinaires, et considère le tissage dans sa double dimension à la fois comme une catégorie d’objets et de techniques, et comme une méthode de pensée. Albers pense en textile.
p. 264
Albers pense en textile. Les constructions transparentes d’Anni Albers n’ont pour titre que leur fonction (au Bauhaus, ses œuvres sont sans titre, elles seront ensuite renommées selon leurs principes de couleurs ou leurs fonctions — tapis, rideaux, tissus suspendus. Noir-Blanc-Gris etc.) Au Black Mountain College, les tissages picturaux, qui se rapprochent davantage à la fois du tableau, et de la tapisserie ont des titres poétiques, évocateurs de lieux (Monte Alban, La Luz), de paysages (At the border), de couleurs (Red and Blue Layers, Development in Rose), et introduisent à des questions de langue et d’écriture (Two, Pictographic, Code, Ancient Writing, Epitaph. Ces titres font entrer des paysages extérieurs mais sous une forme intemporelle, l’écho de temps et de paysages anciens, de forme d’écriture (les structures de langues) qui mettent en perspective une histoire de l’écriture.
Cet attrait pour les temps anciens, elle le déploie dans Du Tissage à travers un regard soutenu en direction de l’ancien Pérou notamment.. En utilisant l’anthropologie comme une méthode moderne, elle développe une conception non linéaire de l’histoire : il n’y a pas de progrès continu (les formes textiles anciennes étant parfois bien plus abouties que certaines tapisseries du 18e siècle), mais des moments d’excellence technique et esthétique qui émerveillent à travers des âges.
Considérant que tout progrès technologique entraîne nécessairement des pertes de degrés de liberté esthétique, elle prône la nécessité de retourner systématiquement aux fondamentaux d’une technique qui seule peut permettre d’évaluer ce qui a été perdu et ce qui a été gagné. Cette vision de l’histoire de l’art et des techniques qui n’est plus la flèche unidirectionnelle tournée vers le futur, mais constituée de moments de récurrences et de résurgences à différents moments de l’histoire. Ce qu’elle admire  dans ces œuvres sans auteur muettes car coupées de leur contexte socio-culturel, c’est ce qu’elle reconnaît en elles d’intemporel et d’universel, ce qui nous parle encore aujourd’hui’ sans que nous puissions les lire. Un métalangage textile.v 

conclusion
Le copieur comme métier à tisser : La vitre du copieur comme métier à tisser, le mouvement longitudinal du plateau est la chaîne, la fibre optique qui se déplace au mouvement de la vitre, ligne à ligne, comme un fil de trame….

Liliane TERRIER, Paris 11, 31 octobre  2023

Lien vers le texte original : http://lantb.net/figure/?p=5328

cliquer sur l’image pour télécharger le pdf du manifeste publié par l’head-Genève

Une théorie retrouvée du design d’objets

4e de couverture :

« Ce manifeste, à la croisée de l’architecture, de l’esthétique et de l’ingénierie, appelle à réactiver le sens pratique de la décoration d’intérieur, tel qu’il existait avant le XX° siècle. Les fonctions climatiques des tapis, tapisseries, rideaux, miroirs ou paravents ont été oubliées avec la modernité. Ces objets ont été réduits à leur seule dimension symbolique par l’efficacité des dispositifs énergivores de chauffage ou de climatisation. La nécessité de réduire aujourd’hui les émissions de COz et l’énergie consommée, ainsi que la lutte contre les canicules appellent à reprendre en compte la valeur thermique de l’art décoratif du passé, à repenser les modes d’aménagement intérieur, leurs configurations spatiales, formelles et matérielles dans une nouvelle optique de performance climatique: une esthétique décorative propre au XXI° siècle que nous proposons de nommer le « style anthropocène » ».

Introduction à la présentation d’un livre

 


William Henry Fox Talbot, Scène dans une bibliothèque(Planche VIII de l’ouvrage The Pencil of Nature, 1844).

William Henry Fox Talbot, The Pencil of Nature, 1844 :
«Dans ce petit ouvrage présenté aujourd’hui au public, j’ai entrepris de publier pour la première fois une série de planches -ou d’images- qui relèvent entièrement de ce nouvel art qu’est le dessin photogénique, c’est-à-dire des images où le crayon de l’artiste n’est intervenu en aucune façon.» in « Remarques d’introduction à l’ouvrage».
Chaque planche fait l’objet d’un cartel argumenté de l’auteur. Les 24 planches constituent un catalogue raisonné d’un œuvre photographique — la quintessence triviale même du médium transapparent à celle, triviale mais hiéroglyphiques des choses, nature, gravure, architecture….

Liste des 24 planches:
Pl.1. Vue d’une partie du Queen’s College, Oxford
Pl.2. Paris, vue sur les boulevards
Pl.3. Porcelaines de Chine
Pl.4. Objets en verre
Pl.5. Buste de Patrocle
Pl.6. La Porte ouverte
Pl.7. Feuillage
Pl.8. Scène dans une bibliothèque>
Pl.9. Fac-similé d’un ancien document imprimé
Pl.10. La Meule de foin
Pl.11. Copie d’une lithographie
Pl.12. Le Pont d’Orléans
Pl.13. Le Portail d’entrée de Queen’s College, Oxford
Pl.14. L’échelle
Pl.15. L’Abbaye de lacock à Wiltshire
Pl.16. La Chaire de l’abbaye de Lacock
Pl.17. Buste de Patocle
Pl.18. Portail de Christchurch
Pl.19. La Tour de l’abbaye de Lacock
Pl.20. Dentelle (en tel)
Pl.21. Monument aux martyrs
Pl.22. L’Abbaye de Westminster
Pl.23. Hagar dans le désert (fac-similé en tel d’une gravure)
Pl.24. Corbeille de fruits

Scène dans une bibliothèque [Texte de Fox Talbot]
«Parmi toutes des idées nouvelles que la découverte de la photographie a suggérées, il y a cette curieuse expérience ou hypothèse dont je vais parler. En réalité je ne l’ai jamais moi-même mise en pratique, et, à ma connaissance, personne d’autre ne l’a jamais ni tentée ni même proposée. Pourtant, je pense que c’est là une expérience qui, si elle est correctement conduite, ne peut manquer de réussir. Lorsqu’un rayon de lumière solaire est réfracté par un prisme et projeté sur un écran, il forme sur celui-ci cette merveilleuse bande colorée connue sous le nom de spectre solaire. Les expérimentateurs ont découvert que si l’on projette ce spectre sur une feuille de papier sensibilisé, c’est son extrémité violette qui produit l’effet le plus important; il est alors tout à fait remarquable de constater un effet similaire produit par certains rayons invisibles qui se trouvent au-delà du violet, c’est-à-dire au-delà des limites du spectre et dont l’existence nous est seulement révélée par l’action qu’ils exercent.
Je proposerais donc de séparer ces rayons invisibles des autres en les faisant passer dans une pièce attenant par une ouverture pratiquée dans le mur ou un écran de partition. Cette pièce se remplirait donc de rayons invisibles (nous ne pouvons pas dire qu’elle s’éclairerait) qui seraient diffusés dans toutes les directions par une lentille convexe placée derrière l’ouverture. Si des gens se trouvaient dans cette pièce, ils ne se verraient pas, et pourtant, si l’on pointait un appareil photographique dans la direction de n’importe laquelle de ces personnes, il prendrait son portrait et révélerait ce qu’elle est en train de faire. En effet, pour reprendre une métaphore que nous avons déjà utilisée, l’œil de l’appareil photographique verrait clairement là où l’œil humain ne verrait que ténèbres.
Mais hélas, cette spéculation est sans doute trop sophistiquée pour être employée avec profit dans la construction d’une intrigue ou d’un roman moderne. mais supposez que les secrets de la chambre obscure puissent être révélés par ce curieux témoignage!
La photographie démontrait que la lumière pouvait exercer une action […] suffisante pour produire des changements dans les corps matériels». cité par Rosalind Krauss, Le photographique, Pour une théorie des écarts, Macula, 1990, pp.27>30
Cet constat du caractère «spirite» du médium photo, la photographie Scène dans une bibliothèque le montre. Rosalind Krauss (p.29) pointe que la photographie représenterait les romans à venir, non encore écrits. On se trouve devant l’image comme devant le Card File de Robert Morris, on ne soulèvera pas les fiches de cette sculpture, comme on n’ouvrira pas les romans de la photo de l’étagère à livres. Ici les entrées sont des titres illisibles.
«La photographie des livres [dit R.K.] étant l’incarnation d’une projection spéculative, son rôle est, à un certain niveau, conceptuel. Mais ce rôle est totalement intégré au sujet de l’image en question. En tant que contenant du langage écrit, le livre est le lieu où résident des signes totalement culturels. Opérer avec le langage, c’est avoir la faculté de conceptualiser… »

La série de programmes du CARA invite des artistes, des écrivains, des universitaires et des penseurs à présenter leur travail en dialogue avec des thèmes découverts.
À travers A Mass of Cyborgs de Neo Muyanga. Titre tiré du recueil de poésie d’Asiya Wadud No Knowledge Is Complete
Jusqu’à ce que ça passe par mon corps (Nightboat, 2021) ces quatre auteurs et leurs œuvres se tissent autour des thèmes de la matérialisation, de l’improvisation, de la connaissance du son et du corps, et de la pratique de l’imperfection.

‹ Articles plus anciens