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Nicolas Truong-Baptiste Lanaspeze. Mettre les villes dans la nature.
Né en 1977, Baptiste Lanaspeze est auteur, éditeur et consultant. Il a fondé et dirige les éditions Wildproject, consacrées à la pensée écologiste. Créateur du GR 2013, il est le cofondateur de l’Agence des sentiers métropolitains, l’auteur de Marseille, ville sauvage (Actes Sud, 2012, rééd. 2020) et, avec Paul Hervé Lavessière, du Sentier du Grand Paris (Wildproject, 2020).
Comment définissez-vous l’écologie urbaine ?
L’écologie est la science des relations des vivants avec la Terre, et la ville est un mode d’habitat caractéristique des sociétés humaines. L’écologie urbaine pose donc une question fondamentale : comment organiser les habitats humains de façon qu’ils s’insèrent dans les autres habitats terrestres ? Comment pouvons-nous refaire société avec la Terre ?
La recomposition écologique de nos territoires urbains constitue, en quelque sorte, le volet opérationnel de l’écologie théorique et politique. Et elle est − enfin ! − en train de susciter l’attention des architectes et des urbanistes, comme en témoigne, par exemple, la récente exposition du Pavillon de l’Arsenal « La beauté d’une ville : controverses esthétiques et transition urbaine ».
Cet intérêt pour la nature en ville me semble une première étape vers une véritable écologie urbaine. L’expression « nature en ville », qui n’existait pas dans les années 2000, est devenue, depuis une décennie, un enjeu, parfois un slogan. Du côté des habitants, on l’associe à des initiatives spontanées de végétalisation, allant des rues plantées (dans les centres-villes) aux jardins potagers en pied d’immeubles (dans les résidences collectives).
Et du côté des collectivités locales, l’expression est devenue omniprésente depuis la réforme réglementaire de 2010, qui inscrit dans le code de l’urbanisme des continuités écologiques (« trame verte et bleue »). Cela a contraint les techniciens et les élus à s’approprier cette nouvelle dimension de l’aménagement urbain. Cette réforme réglementaire est issue de « l’écologie du paysage », une sous-discipline de l’écologie, apparue dans les années 1980, qui étudie la fragmentation des habitats naturels dans les territoires habités (ruraux, périurbains, urbains), et qui invite à créer de nouvelles connexions pour recomposer le tissu de la matrice du vivant. C’est le propos de ces « trames vertes » ou « corridors » que de retisser de la vie dans notre monde déchiré.
La façon dont nous habitons la Terre constitue une des causes importantes de la « sixième extinction ». La nature en ville est-elle vraiment un projet stratégique pour renverser cette tendance ?
Bien qu’elle ait eu le mérite de faire venir les écologues à la table des négociations, et d’obliger les urbanistes à acquérir des rudiments d’écologie scientifique, la « nature en ville » constitue une entrée insuffisante dans la vaste question de l’écologie urbaine. Elle peut trop facilement servir de caution écologique à un développement urbain qui se contente de rajouter du végétal et de restaurer les rivières. Un des mantras des projets institutionnels de « nature en ville » est par exemple de « planter davantage d’arbres pour créer des îlots de fraîcheur et lutter contre le réchauffement climatique ». Mais à quoi bon, si on reste dans des villes surdimensionnées, structurées par le transport express, ultra-carbonées, financiarisées, ultra-inégalitaires, dépendantes de flux mondialisés ?
Au risque d’une formule trop expéditive, je dirais que la question n’est pas tant la nature en ville que les villes dans la nature. Il faut renverser la charge de la preuve ! On trouve normal de faire des enclaves de nature sauvage (parcs naturels), mais ne serait-ce pas les villes qui devraient limiter leur emprise spatiale, pour préserver la santé et la beauté du monde vivant ?
Est-ce la raison pour laquelle vous avez créé le GR 2013, ainsi que l’Agence des sentiers métropolitains ?
Le GR 2013 est en effet né de ces méditations sur l’écologie urbaine, pendant que j’écrivais Marseille, ville sauvage. Je venais de créer les éditions Wildproject, et ma découverte de la philosophie de l’écologie m’avait convaincu qu’on ne pouvait plus philosopher sans avoir une pratique de terrain. Pour interroger ce champ de recherche de l’écologie urbaine, le territoire marseillais me semblait idéal : la richesse des relations ville-nature à Marseille me nourrissait intimement sur les plans sociologique, géographique, poétique…
C’est ainsi qu’est née l’idée de transposer la pratique de la randonnée pédestre dans les espaces urbains et périurbains – entrées de villes, pavillons, zones d’activités, friches… Depuis le XIXe siècle et la peinture de paysage, la randonnée avait beaucoup contribué à l’émergence d’une sensibilité proto-écologiste, cependant encore marquée par la nature vierge et le dualisme. Inspiré par des artistes-marcheurs marseillais comme Hendrik Sturm ou Nicolas Memain, qui arpentaient et racontaient le périurbain, j’ai voulu décaler vers nos territoires habités le regard admiratif du randonneur.
A la suite de la création de ce premier sentier, nous avons fondé, en 2014, avec l’urbaniste Paul-Hervé Lavessière, l’Agence des sentiers métropolitains ; et d’autres sentiers sont apparus en France et dans le monde. Nous avons parcouru, en collectif, des milliers de kilomètres à pied dans les banlieues de Marseille, Paris, Bordeaux, Tunis, Milan, Cologne, Athènes, Boston… ce qui a donné naissance à une « Académie des sentiers métropolitains » en six langues.
Nous définissons notre Agence des sentiers métropolitains comme une agence d’urbanisme atypique, en contexte de transition écologique : les sentiers métropolitains sont des équipements urbains indispensables pour permettre aux citadins d’atterrir sur leurs territoires, et de se sentir légitimes à contribuer aux débats sur la réinvention écologique des villes.
Comment la ville peut-elle refaire société avec la Terre ?
Plusieurs dynamiques sont à l’œuvre. D’abord, l’agriculture urbaine est un mouvement international essentiel, qui relie le plaisir, l’estomac, l’assiette, le transport et le territoire urbain. Ce mouvement mobilise les habitants, qui plébiscitent les marchés paysans ; mais aussi les porteurs de projets agricoles, qui sont de plus en plus nombreux. Il résonne également avec une dimension théorique, que le philosophe de l’architecture Sébastien Marot a résumée autour de la notion d’« agritecture » dans la dernière Triennale de Lisbonne. L’idée est que, jusqu’au XIXe siècle, on avait toujours pensé dans un même geste la question urbaine et la question rurale ; et qu’il est vital de réactiver cette unité.
Ensuite, un autre mouvement, qui me semble structurant, est la reprise actuelle, par une nouvelle génération de militants et de chercheurs, du « biorégionalisme » – un mouvement californien des années 1970, lié à la contre-culture, qui invite à recomposer radicalement nos habitats et nos modes de vie à partir et au service des territoires vivants et des bassins versants. Avec des gens comme Mathias Rollot (Qu’est-ce qu’une biorégion ?, Wildproject, 2021, 140 pages, 12 euros), ce mouvement est en train d’infléchir le sens même du mot « architecture ».
Baptiste Lanaspeze
Arpenter le sentier métropolitain du GR 2013 Marseille Provence, qui propose 365 kilomètres de chemins balisés entre collines et cités, étangs et lotissements, c’est faire l’expérience d’un monde hybridé. Un monde où les frontières entre nature et culture deviennent clairs-obscurs. Surtout lorsque Baptiste Lanaspeze, son concepteur, guide les pas des promeneurs.
Car le directeur des éditions Wildproject a imaginé ces chemins de randonnée comme une manière de marcher « par-delà nature et culture », comme dit l’anthropologue Philippe Descola, loin d’une vision dite « naturaliste », qui sépare radicalement les humains des non-humains. Une façon d’incarner les humanités écologiques, qu’il publie depuis plus de dix ans. Et d’envisager Marseille comme « une ville sauvage ».
Plus bas, un guetteur (« chouf ») d’un réseau de trafiquants, ne parvenant pas à distinguer randonneurs et indicateurs, lance une sonore alerte (« arah ! ») afin que la bande s’évanouisse dans la nature. Baptiste Lanaspeze, qui voudrait que ce sentier invite le promeneur à « marcher à Marseille comme dans les Pyrénées », aime aller « chercher la beauté du diable » dans ces « territoires abîmés ». Mais des quartiers sont également revivifiés par ce GR inattendu, littéralement tracé hors des sentiers battus. Devant « Foresta », tiers-lieu initié par un collectif d’architectes qui domine la mer et permet de voir la côte bleue, Dalila, une habitante d’origine algérienne, qui aime préparer des cafés gratuits a tutti, lance : « Ici, on est solidaires ! »
Parmi « ceux qui croient »
Rabbah, ancien enfant du bidonville de Lorette, ouvrier retraité qui arpente quotidiennement le GR 2013, s’exclame : « C’est beau ici, cela me fait penser à la Kabylie. » Et ajoute : « La nature, c’est Dieu qui l’a créée afin qu’on s’y retrouve et que l’on se rencontre. » « On ne saurait mieux dire », acquiesce Baptiste Lanaspeze. Car l’éditeur fait partie de « ceux qui croient ». Mais « il n’est pas aisé, au sein d’une galaxie écologiste souvent gauchiste et anticléricale, d’échanger sur le sujet », reconnaît-il. C’est pourquoi il a notamment publié Genèse. Dieu nous a-t-il placés au-dessus de la nature ? de J. Baird Callicott (Wildproject, 120 pages, 8 euros), une réflexion intempestive sur l’écologie du christianisme.
Ce GR est arpenté par plus de 200 000 randonneurs par an. Un succès pour Baptiste Lanaspeze, pionnier des sentiers métropolitains, et pour Wildproject, sa maison d’édition, longtemps restée « sous les radars ». La petite officine marseillaise, « chic et discrète », est devenue, en écologie, incontournable. Depuis 2018, son chiffre d’affaires a augmenté de plus de 60 %. Il faut dire que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, dite de l’anthropocène, sur laquelle Wildproject travaille depuis dix ans, publiant les grands noms de la pensée écologique, de Rachel Carson à Baptiste Morizot, dont les titres respectifs Printemps silencieux et Les Diplomates s’écoulent à plus de trois cents exemplaires par mois. Sans parler du Covid-19, qui vient, déclare l’éditeur, « donner un grand coup de sifflet à notre modèle de développement ». Mais pas à celui de Baptiste Lanaspeze, parti depuis longtemps en éclaireur sur le chemin des idées.
Wagon Landscaping
Patrick Chamoiseau avec Laure Adler
Marcel Proust. Aubépine
[…] « — quand il me fallut rejoindre en courant mon père et mon grand- père qui m’appelaient, étonnés que je ne les eusse pas suivis dans le petit chemin qui monte vers les champs et où ils s’étaient engagés. Je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir;…
Mais j’avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu’elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m’unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m’offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu’on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret…..
Puis je revenais devant les aubépines comme devant ces chefs-d’oeuvre dont on croit qu’on saura mieux les voir quand on aura cessé un moment de les regarder, mais j’avais beau me faire un écran de mes mains pour n’avoir qu’elles sous les yeux, le sentiment qu’elles éveillaient en moi restait obscur et vague, cherchant en vain à se dégager, à venir adhérer à leurs fleurs. Elles ne m’aidaient pas à l’éclaircir, et je ne pouvais demander à d’autres fleurs de le satisfaire. Alors me donnant cette joie que nous éprouvons quand nous voyons de notre peintre préféré une oeuvre qui diffère de celles que nous connaissions, ou bien si l’on nous mène devant un tableau dont nous n’avions vu jusque-là qu’une esquisse au crayon, si un morceau entendu seulement au piano nous apparaît ensuite revêtu des couleurs de l’orchestre, mon grand-père m’appelant et me désignant la haie de Tansonville, me dit: « Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose; est-elle jolie! » En effet c’était une épine, mais rose, plus belle encore que les blanches. Elle aussi avait une parure de fête — de ces seules vraies fêtes que sont les fêtes religieuses, puisqu’un caprice contingent ne les applique pas comme les fêtes mondaines à un jour quelconque qui ne leur est pas spécialement destiné, qui n’a rien d’essentiellement férié — mais une parure plus riche encore, car les fleurs attachées sur la branche, les unes au-dessus des autres, de manière à ne laisser aucune place qui ne fût décorées, comme des pompons qui enguirlandent une houlette rococo, étaient « en couleur », par conséquent d’une qualité supérieure selon l’esthétique de Combray, si l’on en jugeait par l’échelle des prix dans le « magasin » de la Place, ou chez Camus où étaient plus chers ceux des biscuits qui étaient roses. Moi-même j’appréciais plus le fromage à la crème rose, celui où l’on m’avait permis d’écraser des fraises. Et justement ces fleurs avaient choisi une de ces teintes de chose mangeable, ou de tendre embellissement à une toilette pour une grande fête, qui, parce qu’elles leur présentent la raison de leur supériorité, sont celles qui semblent belles avec le plus d’évidence aux yeux des enfants, et à cause de cela, gardent toujours pour eux quelque chose de plus vif et de plus naturel que les autres teintes, même lorsqu’ils ont compris qu’elles ne promettaient rien à leur gourmandise et n’avaient pas été choisies par la couturière. Et certes, je l’avais tout de suite senti, comme devant les épines blanches mais avec plus d’émerveillement, que ce n’était pas facticement, par un artifice de fabrication humaine, qu’était traduite l’intention de festivité dans les fleurs, mais que c’était la nature qui, spontanément, l’avait exprimée avec la naïveté d’une commerçante de village travaillant pour un reposoir, en surchargeant l’arbuste de ces rosettes d’un ton trop tendre ou d’un pompadour provincial. Au haut des branches, comme autant de ces petits rosiers aux pots cachés dans des papiers en dentelles, dont aux grandes fêtes on faisait rayonner sur l’autel les minces fusées, pullulaient mille petits boutons d’une teinte plus pâle qui, en s’entrouvrant, laissaient voir, comme au fond d’une coupe de marbre rose, de rouges sanguines et trahissaient plus encore que les fleurs, l’essence particulière, irrésistible, de l’épine, qui, partout où elle bourgeonnait, où elle allait fleurir, ne le pouvait qu’en rose. Intercalé dans la haie, mais aussi différent d’elle qu’une jeune fille en robe de fête au milieu de personnes en négligé qui resteront à la maison, tout prêt pour le mois de Marie, dont il semblait faire partie, tel brillait en souriant dans sa fraîche toilette rose, l’arbuste catholique et délicieux.
La haie laissait voir à l’intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leur bourse fraîche, du rose odorant et passé d’un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d’arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait, aux points où il était percé, au-dessus des fleurs dont il imbibait les parfums, l’éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. Tout à coup, je m’arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s’adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une fillette d’un blond roux qui avait l’air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant un visage semé de taches roses. Ses yeux noirs brillaient et comme je ne savais pas alors, ni ne l’ai appris depuis, réduire en ses éléments objectifs une impression forte, comme je n’avais pas, ainsi qu’on dit, assez « d’esprit d’observation » pour dégager la notion de leur couleur, pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d’un vif azur, puisqu’elle était blonde: de sorte que, peut-être si elle n’avait pas eu des yeux aussi noirs — ce qui frappait tant la première fois qu’on la voyait — je n’aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus. »
Antoinette Rouvroy. #IdéesNoires#Post-démocratie
Dialogue sur facebook
Antoinette Rouvroy Alors que la statistique (étymologiquement « connaissance de l’état ») qui avait accompagné la naissance de l’Etat moderne se présentait comme un instrument de gouvernement des populations nationales, les big data promettent de substituer à toute « connaissance » de l’Etat des nouvelles « cartographies » (axiologies empiriques), de nouvelles « modélisations » (prototypes »apprenants ») du social échappant aux formes juridico-discursives, aux limites territoriales, aux normes et représentations culturelles, ne distinguant plus a priori ce qui relève du « signal » et ce qui relève du « bruit », émancipées de toute idée régulatrice de « moyenne »: un métabolisme anormatif agile s’adaptant en temps réel aux particularités détectables. Saurons-nous résister, dans l’après-crise qui ne sera jamais que la préparation de la crise suivante, aux sirènes d’une gouvernementalité algorithmique globale (re-globalisation à grande vitesse+capitalisme numérique) et aux fantasmes associés d’une « singularité démocratique » (qui serait plutôt une juxtaposition de particularités concurrentes) en haute ré/dis-solution numérique, en temps réel, substituant à toute forme de réflexivité politique une récursivité algorithmique abolitionniste des conditions spatiales, temporelles, sociales et psychiques d’un « espace public délibératif »?
#IdéesNoires#Post-démocratie
Manuel Zacklad Merci pour ce post, en même temps force est de constater que les bons vieux « modèles » économiques, gestionnaires ou aujourd’hui épidémiologiques n’exploitant pas encore l’IA sont déjà capables de produire des désastres absolument considérables, les « décideurs » désorientés et coupés de la vie, les prenant pour « le réel » au lieu de les prendre comme des outils d’aide à la décision éclairant l’interprétation parmi des dizaines d’autres…
Antoinette Rouvroy Je dois bien avouer que je n’avais pas en tête, en écrivant mon post, les enjeux des données massives dans la gestion de la crise sanitaire. C’est un vrai gros sujet! Ce qui m’occupe surtout ce sont les algorithmes utilisés pour » modéliser » ou » prototyper » les propensions comportements humains dans les différents secteurs ( justice, police, prévention des fraudes, détection anticipative de possibles passages à l’acte terroriste, gestion des ressources humaines, gestion administrative de l’aide sociale,…) où s’envisage l’automatisation des décisions. Ce qui est inquiétant c’est que la perte de confiance ( méritée à de nombreux égards ) envers les institutions politiques risque d’intensifier l’engouement pour l’hypothèse d’une gouvernementalité algorithmique globale… opérée de facto par les GAFAM et consorts…
Entre-vue avec Anne Lafont
Francesco d’Errico. La faute des civilisations
Dans le cadre du colloque de rentrée 2020 du Collège de France « Civilisations : questionner l’identité et la diversité ».
https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2020/index.htm
Communication de Francesco d’Errico : « La faute des civilisations »
* ci-dessus deux slides successives à [19:00] du début de la communication, images à charge contre l’archéologue Gustave Kossinna et sa formule autochtoniste emblématique : «Un pot, un peuple» contredite par la carte du territoire culturel de la Corded Ware, la culture de la céramique cordée qui « doit son nom à ses poteries décorées par impression de cordelettes sur l’argile crue (avant cuisson) [slide 2]. Elle s’étendit sur tout le nord de l’Europe continentale, de la Russie au nord-est de la France en passant par la Scandinavie méridionale (où elle est désignée comme culture des tombes individuelles, Einzelgrabkultur, et plus au nord comme « culture des haches de combat »). Elle connût une migration de populations importantes venues de l’Est, devant leur ascendance à la culture Yamna.» (wikipedia)
https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2020/symposium-2020-10-22-10h45.htm
Résumé de la communication :
« Pour le préhistorien que je suis, le mot « civilisation » est quelque peu dérangeant. On aura sans doute une sensation de déjà vu en lisant à propos des civilisations égyptiennes et aztèques, on acceptera de bon gré les arguments de ceux qui nous parlent de civilisation cardiale ou magdalénienne mais on sera interloqué par des collègues qui voudraient nous faire croire à une civilisation néandertalienne et même choqué par ceux qui nous imposeraient une civilisation australopithèque ou chimpanzé. Pourquoi une civilisation chinoise irait de soi mais celle des San du Kalahari nous poserait problème ? La raison du dérangement tient au premier abord aux nombreuses utilisations nationalistes, impérialistes et colonialistes du mot, source de préjudices plus vifs qu’on pourrait le croire dans l’imaginaire collectif. Ne sommes-nous pas entourés de concitoyens qui croient à la suprématie mondiale de la cuisine française, fleuron de la « civilisation française » ? Pour le chercheur, le dérangement vient de l’incapacité du mot à se libérer de sa nature dichotomique, de sa propension, en somme, à créer une frontière entre les membres ou assimilés et les autres, entre un avant et un après. Définitions et mises en garde ne suffisent pas pour parer l’effet barrière que le mot entraîne inévitablement. Les recherches sur l’évolution humaine ont été longtemps victimes de ce paradigme. On a cru qu’une révolution biologique et culturelle aurait créé les conditions nécessaires à la naissance des civilisations. On se rend compte de plus en plus que cette vision nous a empêchés de comprendre les processus culturels et biologiques qui ont forgé sur le long terme les cultures humaines et leur place dans la nature. »
Philippe Descola. La pandémie
Extraits
Quelle réponse des Achuars face aux épidémies ?
« Il n’y a pas de souvenirs de la catastrophe. On estime qu’environ 90% de la population amérindienne a disparu entre le 16 et le 19e siècle. Il y une sorte d’imaginaire implicite du contact avec la maladie des « blancs ». De ce fait, lorsque les « blancs » arrivent dans les environnements amérindiens reculés, le premier réflexe des Amérindiens est la méfiance par la distanciation. »
La maladie n’est qu’un élément dans un cortège d’abominations apporté par la colonisation. Philippe Descola
« Chaque peuple réagit à ses épidémies en fonction de sa conception de contagion. La notion de contagion a mis un certain temps à se propager en Europe, au contraire des peuples amérindiens. C’est ce qui leur a permis d’adopter les bons gestes. »
Parler de la « nature »: une erreur
« La nature est un concept occidental qui désigne l’ensemble des non-humains. Et cette séparation entre humain et non-humain a eu pour résultat d’introduire une distance sociale entre eux. »
On peut penser que le virus est une métaphore de l’humanité. Nous avons vis-à-vis de la terre, le même rapport instrumental qu’un virus. D’une certaine façon, l’être humain est le pathogène de la planète. Philippe Descola
« Cette idée très humaine que la nature est infinie a eu comme conséquence que ce système si singulier basé sur la productivité et la rentabilité a engendré une catastrophe planétaire. »
L’idéal du monde d’après
« Je forme le vœu que le monde d’après soit différent du monde d’avant. La pandémie nous donne un marqueur temporaire. Cette transformation, je la vois avec intérêt se dessiner et qu’elle aboutisse à ce que des liens avec les non humains soient à nouveau tissés. Il faut vivre avec une mentalité non destructrice de notre environnement. »
L’idée n’est pas de posséder la nature mais d’être possédé par un milieu. Philippe Descola