Animal

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1920. Kafka s’en explique dans ses « conversations » avec Gustav Janouch.[…] « Chacun vit derrière des barreaux qu’il transporte avec lui. Voilà pourquoi tant de livres parlent aujourd’hui d’animaux. Cela exprime la nostalgie d’une vie libre, naturelle. Mais la vie naturelle, pour les hommes, c’est la vie d’homme. Seulement on ne le voit pas. On ne veut pas le voir. L’existence humaine est trop pénible, c’est pourquoi on veut s’en débarrasser, au moins par l’imagination. »

Quelques deux siècles et demi plus tôt, La Fontaine ne disait pas autre chose dans sa préface à ses Fables choisies mises en vers, si ce n’est qu’il y ajoutait une moralité dont Kafka nous dispense. « […] Les propriétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés; par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l’abrégé de ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. […] »

Jean-Pierre Verdet in Préface à Le Terrier, p. 11, folio bilingue.

in Le Monde

Joëlle Zask, philosophe  défricheuse, portrait par Marion Rousset

Revendiquant l’éclectisme de ses passions intellectuelles, Joëlle Zask fut l’une des premières à penser la démocratie participative, mais aussi la citoyenneté dans la ruralité ou la forêt qui brûle. Son nouvel ouvrage, « Zoocities », évoque le retour de la vie sauvage dans la ville

Le jour où un immense essaim d’abeilles a atterri sur une branche de cyprès dans son petit jardin de ville, niché au milieu des immeubles à Marseille, elle s’est dit que quelque chose clochait. « Le ciel est devenu noir, tout s’est mis à bourdonner, on avait l’impression qu’un projectile, voire une bombe allait nous tomber dessus. Tout le monde s’est mis à la fenêtre », décrit Joëlle Zask, 60 ans, maîtresse de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Rares sont les philosophes qui, comme elle, assument de fonctionner à l’intuition. Elle a souvent un temps d’avance sur l’événement. « Je pars toujours d’une expérience personnelle qui se connecte à des problèmes du moment. Cette porosité, qui relève d’une position très subjective, j’en ai fait quasiment une méthode », explique-t-elle. Curiosité intellectuelle dont elle confesse la part sensible.

L’expérience des abeilles citadines l’incite à explorer l’exode rural des animaux sauvages – dont ne font pourtant pas partie ces colonies d’insectes volants. Son livre Zoocities. Des animaux sauvages dans la ville (Premier parallèle, 220 pages, 19 euros) est sur les rails. Le confinement viendra ensuite confirmer ce qu’elle pressentait. « Quand on voit des canards qui se promènent sur le bitume, on se dit qu’il se passe quelque chose de pas normal », relève la chercheuse, attentive aux indices d’un désordre du monde – à commencer par ce retour de la vie sauvage dans les villes.

Qu’un incendie ravage la forêt varoise du cap Bénat où des amis ont une maison et la voilà sur place. Face aux arbres calcinés, elle partage avec les riverains la morsure de la perte et se laisse traverser par un sentiment de désolation. D’instinct, cet incident au mobile criminel la met sur la piste des « mégafeux ». Paru en septembre 2019, Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique (Premier parallèle) précède de peu l’embrasement de l’Australie. Finaliste du Prix des rencontres philosophiques de Monaco, ce livre propulse son autrice au rang de lauréate du prix Pétrarque de l’essai France Culture. « Cette validation de ma manière de faire me touche beaucoup », glisse l’intéressée.

Une énigme pour les libraires

« Ce que je trouve attachant dans ses livres, c’est qu’il y a toujours quelque part sa présence, celle de ses questionnements, mais elle développe une expérience authentiquement philosophique et politique », observe l’historien et philosophe Jean-Marc Besse. Cette approche peut néanmoins s’avérer déroutante pour un milieu académique qu’elle désarçonne aussi par ses intérêts éclectiques. Même les libraires sont perdus quand il s’agit de ranger ses livres, lesquels se retrouvent en général éparpillés dans différents rayons.

Aujourd’hui, elle creuse le sillon de l’environnement. C’est pourtant comme spécialiste de la démocratie participative qu’elle s’est fait connaître, avant que l’expression ne devienne à la mode. Dans les années 1990, « on imaginait que la démocratie devait reposer sur des experts et qu’on pouvait mettre entre parenthèses l’opinion publique, qui était très décriée »,se souvient Joëlle Zask. Le philosophe américain John Dewey, qu’elle a traduit et introduit en France, lui a fourni les outils pour aller contre ce courant hexagonal. Elle n’aura malheureusement pas eu le temps de remercier son directeur de thèse, Philippe Soulez – mort dans un accident de voiture quand elle était en deuxième année –, de le lui avoir fait découvrir.

Docteure en philosophie politique, Joëlle Zask défend une culture de l’autogouvernement dans Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation(Le Bord de l’eau, 2011), bien avant Nuit debout, qui servira de point de départ à un autre de ses livres sur le sujet, Quand la place devient publique (Le Bord de l’eau, 2018). « Comment un mouvement qui défend la démocratie peut-il se retrouver captif d’une forme urbaine aussi autoritaire, inappropriée, inadéquate que la place de la République ?, questionne-t-elle. Je suis partie de l’expérience d’être rejetée par cet espace alors sans assises, où nous subissions un bombardement météorologique. Il pleuvait, il faisait froid… L’absence de déclivité du plateau ne permettait pas aux manifestants de voir arriver les casseurs et les CRS. Quant à la position centrale de la statue, esthétiquement douteuse, elle rejoue un dispositif monarchiste, impérial, fasciste ! »

Dans son esprit, citoyen ne rime pas qu’avec citadin. La culture démocratique a aussi un rapport avec l’agriculture, travail manuel qui n’est pas fait que de sueur mais requiert des capacités de dialogue, d’attention, d’anticipation, de coopération… C’est le thème de son livre La Démocratie aux champs (La Découverte, 2016). « En liant démocratie et ruralité, elle fait entendre une voix nouvelle sur les questions politiques qui va à l’encontre de l’idée reçue associant la démocratie à la ville », pointe sa consœur Catherine Larrère, spécialiste de philosophie morale et politique.

Ce livre, Joëlle Zask l’a d’abord écrit en pensant à son grand-père, un paysan juif polonais, et en souvenir de son enfance passée à élever des grillons dans un petit village du Jura et à se promener dans les bois alentour escortée par son chien. « C’est une célébration de mes origines paysannes. J’avais un sentiment de scandale vis-à-vis du mépris dans lequel sont tenus ceux qui cultivent la terre », confie-t-elle.« Ce que je trouve très puissant, c’est son idée que la démocratie est une activité sociale, qu’elle s’arrime à la prise de responsabilité au quotidien, souligne le sociologue Loïc Blondiaux. Elle insiste sur la capacité des individus à agir sur leur destin et leur environnement. Sans qu’elle l’ait théorisée, cette démocratie du geste, du faire, permet d’éclairer des expériences comme les ZAD. »

« Franc-tireur »

Joëlle Zask évite ainsi de s’enferrer dans le catastrophisme. « Il y a une positivité dans l’action. On peut trouver dans le réel des ressources d’innovations gestuelles ou perceptives pour améliorer le monde »,suggère-t-elle. Si elle ne va pas elle-même entretenir les forêts ou réaménager les villes, ses livres sont sa manière de passer à l’action. « Ce qui m’intéresse, c’est de rendre sensibles des problèmes – je dis bien “sensible” et non “visible”, car le citoyen n’est pas un spectateur », insiste-t-elle. Face aux feux géants induits par le réchauffement climatique ou à l’hypothèse d’une invasion des bêtes sauvages dans les villes, elle offre des solutions qui font la part belle au savoir des apiculteurs, des forestiers, des pompiers, des paysans, des urbanistes…

Ses enquêtes sont peuplées de toutes ces voix. Dans le monde universitaire, elle est pourtant très solitaire. « Dans le milieu philosophique, c’est un franc-tireur. Elle ne travaille pas avec d’autres pragmatistes, sa démarche est très personnelle », affirme Catherine Larrère. « Elle n’a pas vraiment de réseau », abonde Loïc Blondiaux. L’intéressée le reconnaît volontiers :« Je n’ai pas fait école ; ma classe, c’est la société. »Quand on lui demande qui sont les chercheurs qui l’inspirent, c’est la litanie des morts. Philippe Soulez, avec qui elle avait « une relation très forte », son ancien collègue à l’université de Provence Jean-Pierre Cometti, le sociologue Isaac Joseph… « Il y a un vide autour de moi », souffle-t-elle. Serait-elle devenue un peu sauvage ? Au sens de « féroce », certainement pas. Mais la définition qu’elle donne à ce mot lui correspond davantage : « Je me démarque des deux sens habituels : d’un côté, la sauvagerie comme cruauté, de l’autre, la nature vierge et idéalisée. Pour moi, le sauvage renvoie à l’imprévisible. Réaliser sa personnalité et son individualité, sa faculté d’être vivant, c’est suivre des chemins qui ne sont pas prévus d’avance. Nous ne sommes pas des machines ! » Dans Zoocities, elle plaide pour une ville qui ferait une place à cet « ensauvagement » qui n’a rien d’effrayant.

Entretien avec le Pr Didier Sicard, médecin, ancien président du Comité consultatif national d’éthique. Professeur émérite de médecine à l’Université Paris Descartes, spécialiste des maladies infectieuses. Public sénat. Par Rebecca Fitoussi

La Chine, l’Inde, l’Iran… Des pays où le virus repart. Est-ce la vie normale d’un virus ou est-ce la deuxième vague que l’on redoute ?

 Non, je ne pense pas que ce soit une deuxième vague. Il faut bien comprendre que lorsque le virus nous a surpris en janvier-février, en fait, il circulait depuis le mois de novembre, mais de façon complètement silencieuse. Le paradoxe de cette infection, c’est qu’il y a 2% de formes très graves, 50% de formes moyennement graves avec un peu de fièvre et environ 50% de formes totalement inapparentes. Autrement dit, quand des gens sont malades, on s’aperçoit que le bassin de personnes qui porte le virus est beaucoup plus important. Dans cette histoire de Pékin, d’abord il y a le traçage, on teste beaucoup plus, et puis, c’est parti d’un énorme marché d’animaux. Vous imaginez ! 140 hectares, c’est-à-dire 14.000 mètres carrés, c’est-à-dire 1 kilomètre 4 d’étendue.

 Mais il n’y a pas que Pékin, il y a l’Iran, le Bangladesh et d’autres pays. Vous nous dites en fait que le virus était là, est toujours là, et les foyers que l’on voit apparaître sont les restes de la première vague ?

 Les formes graves sont de 2% à 3%, mais lorsqu’elles apparaissent, le foyer qui est à la base, qui est souterrain à ces formes graves, il est considérable. On peut donc imaginer que lorsqu’on croit qu’il n’y a plus de cas, il y a toujours ces formes inapparentes qui continuent de circuler librement, et il suffit qu’elles se rassemblent pour qu’il y ait un foyer épidémique qui reparte. Il faut bien comprendre que, à l’opposé des autres épidémies où l’on repérait immédiatement les gens malades, là, on ne peut pas les repérer, sauf si on les teste. Donc, il faut un testage massif. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a une deuxième vague. Cela veut simplement dire que, maintenant que l’on teste, on s’aperçoit qu’il y a toujours une circulation du virus.

Pense-t-on toujours que la chaleur a un impact sur la circulation du virus ?

 Probablement oui. Au Brésil, c’est la saison froide. Le virus résiste moins en pays secs et chauds qu’en pays froids. Peut-être qu’il y a des cofacteurs microbiens qui apparaissent et qui peuvent favoriser la gravité du virus. On ignore énormément de choses. La question, c’est : est-ce qu’il va y avoir une deuxième vague ? Je ne le crois pas. Il va y avoir la persistance, ici et là, de foyers qui vont être repérés beaucoup plus facilement qu’ils ne l’étaient en janvier ou février parce qu’immédiatement, il va y avoir un enfermement. En janvier et février, on s’intéressait aux 2% de formes graves, mais les 98% qui restaient, transmettaient le virus, par conséquent, l’épidémie se répandait. Même s’il y a la persistance du virus, on ne peut pas imaginer qu’avec une société actuellement beaucoup mieux préparée, il puisse y avoir une deuxième vague comme la première.

 On comprend donc que la menace est là, qu’elle est latente, qu’elle plane au-dessus de nous, Européens, mais qu’on est armés pour l’endiguer ?

 Absolument ! Elle plane, mais le fait que l’on puisse maintenant traquer le virus fait que, dès qu’on repère une personne malade, on va immédiatement chercher son environnement et repérer les personnes qui sont en bonne forme, mais qui ont manifestement la capacité de transmettre le virus. On a les capacités de repérage que nous n’avions pas au mois de janvier. Pourquoi l’épidémie a-t-elle été aussi dramatique ? Parce qu’elle s’est répandue de façon complètement silencieuse. On ne pensait pas que quelqu’un qui était en pleine forme, qui faisait de la gymnastique, était porteur du virus. Maintenant qu’on le sait, on s’aperçoit qu’il faut les traquer.

 Un autre point d’incompréhension :  le fait que Pékin ait décidé de refermer les écoles. En France, on a fini par se dire que les écoles n’étaient pas des foyers de contamination importants. Et pourtant, on voit qu’à l’étranger, dès que le virus resurgit, on referme les écoles… Éclairez-nous…

 Les enfants ne sont pas malades, mais ils peuvent être transmetteurs. Il est légitime, quand il y a un foyer épidémique dans un village, qu’on ferme l’école parce que l’école va permettre, même si les enfants ne sont pas malades, de transmettre le virus, cela me paraît logique.

 Est-ce que l’Europe aurait tout intérêt à ne pas rouvrir ses frontières ?

 Je pense que pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, les frontières doivent rester fermées, et si elles ne le sont pas, il faut au moins une quarantaine pour tous les voyageurs qui viennent d’Asie ou d’Amérique du Sud, voire d’Amérique du Nord.

 On sait aujourd’hui que l’Allemagne a eu de meilleurs résultats parce qu’elle a profité de la courte avance qu’elle avait sur nous face au virus. Elle semble continuer cette stratégie, elle annonce l’interdiction des grands rassemblements jusqu’au mois de novembre au moins. La France devrait-elle aussi saisir cette avance pour prendre de telles mesures ?

 Cela dépend de quel rassemblement on parle. Si on prend un rassemblement dans un stade de football où les gens s’embrassent et sont à 40 cm les uns les autres, oui. Mais si vous avez un rassemblement de plusieurs centaines de personnes qui sont écartées les unes des autres, le risque est quand même extrêmement minime. Je vois mal comment on pourrait interdire des rassemblements en l’état actuel des choses, même en Allemagne, où le virus circule beaucoup moins. Je pense qu’il ne faut pas avoir une vision perpétuellement sécuritaire et maximale. Il y a un moment où il faut savoir raison garder, mais avoir les capacités de réagir. Au fond, ce qui change tout, c’est que notre capacité de réponse et d’isolement des malades et par conséquent de ceux qui ont rencontré le virus. Il faut avoir une réponse a posteriori plutôt qu’avoir une réponse a priori sécuritaire.

 Il y a la riposte au virus lorsqu’il est là, mais il y a aussi, et vous insistez beaucoup là-dessus, la recherche sur l’origine des virus. Selon vous, cela n’attire pas assez notre attention. Là encore, pour ce qui est de la Chine, c’est un marché de gros qui est soupçonné d’être la source des nouvelles contaminations. Un très grand marché qui approvisionne en fruits de mer, en fruits, en légumes. Pour le moment, on n’entend pas parler d’animaux sauvages et vivants…

 Mais évidemment puisque c’est interdit ! La Chine ne va vous dire qu’on a trouvé des pangolins et des chauves-souris ! On parle là d’une culture de base, d’une culture fondamentale, un peu comme pour nous, le poulet ou le steak. Tous les citoyens achètent clandestinement des animaux sauvages, cette vente ne s’est pas arrêtée par miracle. Quand les Chinois nous disent que le virus a été repéré sur une planche servant à découper des saumons de Norvège, ils nous prennent vraiment pour une population extrêmement naïve. Ils ne peuvent pas avouer puisqu’ils l’ont interdit. Mais tout cela est très souterrain, ce sont des sommes faramineuses qui sont en jeu. Sur un marché aussi gigantesque, cinq fois la superficie de Rungis, comment voulez-vous qu’on puisse contrôler chaque étal ? Donc l’hypothèse que je fais, c’est que si ce sont les mêmes chauves-souris, on peut imaginer que dans leur condition d’être entravée, de tousser, d’avoir de l’urine, le virus reparte. Si, par hasard, il y a aussi des pangolins, les deux virus s’associent et donnent une chimère qui a été l’expression de notre virus.

 Donc, pour vous, la Chine nous ment, encore ?

 Elle a commencé à dire qu’elle allait interdire les marchés d’animaux sauvages, mais en même temps, le président dit que la médecine traditionnelle doit continuer, que c’est une richesse. À partir du moment où les chauves-souris et les pangolins sont une base de médecine traditionnelle, on ne voit pas tellement comment une interdiction peut être respectée localement. Il y a une hypocrisie.

 Restons sur cette question culturelle chinoise et même asiatique. José Frèches, un spécialiste de la Chine, nous explique ceci :  « Il y a une tradition en Asie qui est de manger des animaux vivants ou qui viennent à peine d’être sacrifiés. Pour eux, c’est comme nourrir le souffle vital. Là-bas, on considère que chaque être vivant est possesseur du souffle vital et que celui-ci peut se transmettre entre les espèces, en particulier d’un animal à l’homme. » Comment lutter contre cette culture ancestrale ?

 On ne peut pas lutter. C’est exactement comme la drogue, jamais on n’arrivera à venir à bout de la marijuana ou de l’héroïne.

 Donc on doit accepter que ces virus émergent et déferlent sur nous ?

 Non, mais on ne doit pas être naïfs et on doit considérer que les travaux internationaux doivent se pencher sur le port de ces virus par les chauves-souris. Il y a tout un travail fondamental à faire, même si c’est en dehors de Chine. On peut le faire au Laos, au Vietnam, en Nouvelle-Calédonie, pour apporter du matériau de réflexion. On ne peut pas compter sur les Chinois. L’embarras chinois c’est que, s’ils interdisent réellement, s’ils pénalisent le marché d’animaux sauvages, ce sera la révolution en Chine. Les Chinois ne font pas le rapport entre leurs marchés et l’épidémie, personne ne leur dit que c’est ça. Ils continuent d’acheter ces animaux sauvages dans des étals absolument sordides puisqu’ils sont clandestins. Je suis frappé de voir que les mêmes causes produisent les mêmes effets. La théorie des saumons de Norvège sur une planche est une diversion de la Chine, mais qui, au fond, est légitime dans l’angoisse culturelle. Pékin se demande comment interdire quelque chose qui est fondamental. C’est comme si nous interdisions du jour au lendemain la consommation de steak ou de poisson. 

 Mais tant que ces pratiques ne seront pas interdites, il faudra s’attendre à voir apparaître ces virus et même à la voir se multiplier ?

 Probablement. L’hypothèse que je fais, c’est que les déforestations ont fait que les chauves-souris ont changé leur propre écologie, qu’elles se sont nourries d’arbres fruitiers. Par ailleurs notre proximité avec les grottes par le train, par la voiture, par les autoroutes, entre les grands marchés et les chauves-souris, c’est quelque chose de tout à fait nouveau. Toutes les épidémies ont besoin d’un responsable et ensuite d’un cheminement. La Route de la soie, c’est la route de la chauve-souris. La Route de la soie, c’est aussi l’exportation de tous les pangolins d’Afrique vers la Chine. En fait, c’est tout un écosystème mafieux qui fait que je vois mal comment on va pouvoir, avec de simples récriminations, arriver à bout du problème. Je comprends que la Chine soit très embarrassée. Mais il faut travailler dessus pour en apporter la preuve. Moi, je fais des hypothèses. Je ne suis pas à Wuhan, je ne suis pas à Pékin, mais cela me paraît logique.

 On parle beaucoup de l’Asie, mais quid des marchés africains avec de la viande de brousse ?

 Ce n’est pas la même chose, ce n’est pas de la même ampleur. Quand j’étais au Laos, encore récemment, j’ai vu dans les petits marchés, qu’on mangeait des chauves-souris, quelquefois un pangolin, j’en avais même acheté un moi-même sur un marché. Mais c’est sans gravité, un pangolin ne peut pas vous contaminer comme ça, ni trois chauves-souris. Mais si vous en avez 500 qui sont entravées et qui urinent, il y a une masse de virus associés au pangolin, et c’est ce qui va tout changer. Ce n’est pas simplement une chauve-souris, c’est la masse de ce marché qui est considérable. Il faut bien comprendre qu’on parle de milliards de dollars. On n’est pas simplement dans des marchés exotiques, comme si on allait le dimanche acheter une chauve-souris pour faire plaisir à ses enfants. C’est un marché fondamental, c’est un marché de base, et malheureusement, il est inaccessible aux chercheurs occidentaux et je vois mal comment on va pouvoir imposer des règles. D’où l’importance de travailler, nous, Occidentaux, sur les marchés africains, océaniens, asiatiques pour essayer de trouver la solution.

Le manque de chercheurs sur ces sujets a été l’objet de votre cri d’alarme très remarqué il y a quelques semaines sur France Culture. Grâce à cela, la direction de l’Institut Pasteur au Laos, que vous avez créé, a reçu la confirmation du renouvellement du poste de virologue qu’elle attendait depuis des mois.

 Heureusement ! Le bon sens voulait que ce poste qui avait été retiré en novembre 2019, ne pouvait plus l’être, ce n’était évidemment pas le meilleur moment. Très rapidement, le ministère des Affaires étrangères, qui finançait le poste, l’a remis.

 Y voyez-vous aussi une prise de conscience des autorités de l’importance de la recherche ? 

 Oui, mais encore insuffisante ! Je pense que c’est une chance fabuleuse d’avoir un Institut Pasteur au Laos, à quelques centaines de kilomètres de la Chine, qui est un lieu où l’on peut très rapidement repérer l’émergence d’un virus, on peut être sur le terrain. Beaucoup de pays nous envient d’avoir ces Instituts Pasteur. Il devrait y avoir une puissance de feu et une puissance de moyens qui n’est pas celle que l’on accorde actuellement. Le centre au Laos est un peu misérable, avec seulement quelques personnes, mais ce n’est pas un institut qui a la capacité de faire des recherches fondamentales.

 Donc, il faut une mobilisation internationale beaucoup plus importante ?

 Oui beaucoup plus importante ! Mobilisation internationale, cela ne veut pas dire : donnez-nous la réponse dans six semaines. C’est un travail de fond. Pourquoi les chauves-souris hébergent-elles autant de centaines de coronavirus ? Pourquoi ces coronavirus sont-ils beaucoup plus présents maintenant dans les chauves-souris qu’ils ne l’étaient il y a 20 ou 30 ans? Qu’est ce qui a changé l’écologie de la chauve-souris ? Ce sont les sciences humaines, l’écologie, les vétérinaires. Il faut travailler sur cette chaîne et pas simplement arriver au laboratoire pour dire quel est le génome qui a ces capacités de nuisance.

On a évoqué les origines, parlons aussi des traitements envisagés. Sur l’hydroxychloroquine, le débat est clos ? 

 Oui je le crois. Il n’est pas impossible que la chloroquine ait eu un effet sur certaines personnes. Mais manifestement, ce n’est pas le traitement. Il n’y a pas de débat là-dessus. Il n’y a pas de traitement, il n’y en a pas ! Au fond, il y a très peu de traitements sur les virus. Le sida a mobilisé des ressources absolument fondamentales. Pour la dengue qui tue beaucoup plus de gens dans le monde, par centaines de milliers, il n’y a pas de traitement. Pour la variole, il n’y a pas de traitement non plus ! Il y a beaucoup de maladies virales pour lesquelles il n’y a pas de traitement. Je ne vois pas comment on va trouver un traitement dans les prochains mois.

 L’OMS salue pourtant « une percée scientifique » dans l’essai clinique sur le dexaméthasone.

 Mais ce n’est pas une percée scientifique, c’est le traitement d’un choc immunologique. Quand le malade a une réponse qu’on appelle un « orage immunologique », la cortisone, c’est le meilleur traitement. Beaucoup de médecins l’ont utilisée depuis le mois de février pour sauver les malades. Et je pense que cela a une efficacité chez certains malades, peut-être un sur deux ou un sur trois, ce qui est considérable. Mais ce n’est pas le traitement du virus, c’est le traitement qui permet à l’être humain de ne pas être dévasté par une réponse excessive à ce virus. Le virus est tellement puissant chez certaines personnes qu’il va déclencher une réponse immunitaire dévastatrice, à tel point que cette réponse va aller au-delà de la destruction du virus en détruisant les cellules elles-mêmes. La cortisone, elle, calme. Les médecins que j’ai rencontrés depuis le mois de février, utilisaient la cortisone chez certains malades et observaient effectivement des bénéfices.

 Assez peu d’espoir donc sur un traitement, un espoir sur le vaccin alors ?

 Il est très compliqué à faire ce vaccin, notamment à cause de cette réponse immunitaire excessive dont je vous parlais. Si on vaccine les gens et qu’ils font des réponses immunitaires dévastatrices, qu’est-ce qui va se passer ? Prenons encore l’exemple de la dengue, il y a un an et demi, on a essayé un vaccin, on pensait même qu’on avait trouvé le vaccin contre la dengue, on l’a essayé aux Philippines. Il y a eu des morts ! Cette maladie fait que les anticorps contre le virus sont plus destructeurs que le virus lui-même. Donc, il faut être patient. Je crois qu’il ne faut pas espérer un vaccin avant fin 2021. Et ce n’est pas le vaccin qui va arrêter la maladie virale, le virus s’arrêtera avant l’arrivée du vaccin. D’ailleurs cela va être un problème parce qu’à ce moment-là, l’humanité va se dire qu’on n’a plus besoin de vaccin puisque la maladie s’est arrêtée. C’est justement l’erreur qu’on a faite avec le SRAS-1 qui s’est arrêté tout seul, on s’est dit « bon, passons à autre chose », on a arrêté les recherches qui auraient pu nous être utiles. Il faut continuer à travailler sans penser que la solution, c’est le vaccin.


C’est une saucière (cartel 49) : c’est une fusion de l’homme, —son corps et l’artefact de la barque en bois avec son élément eau associé—, et de l’animal oiseau qui vole dans l’air, qui lui donne sa forme. La sauce liquide associant elle-même divers ingrédients alimentaires issus de l’agriculture  dans une fusion. Et quant à la porcelaine… le feu.


Saucière MNC 5901 Faïence stannifère, décor de petit feu polychrome Strasbourg 1750
Les deux photos ©jlggb

« Fil de fer, plastiques, clous, barbelés abandonnés dans les campagnes se retrouvent dans la panse des ruminants, qui peuvent tomber gravement malades.

Les « vaches-poubelles » : c’est ainsi que l’association Robin des Bois a baptisé le phénomène, qu’elle a entrepris de dénoncer. Les images de corps d’oiseaux de mer à l’estomac farci de débris de plastique ont fait le tour du monde. Le supplice des gros animaux terrestres était jusqu’à présent moins connu.

Dans la panse des ruminants peuvent pourtant s’accumuler morceaux de pneus usagés, fils de fer tordus, clous, morceaux de plastique durs, aiguilles cassées, fils barbelés et de clôture. En cause : les canettes jetées au bord des routes que les troupeaux réduisent en miettes, les restes d’emballages abandonnés dans les fermes, des déchets dispersés dans les pâtures ou qui se glissent dans le foin d’ensilage… En broutant, les vaches les ingèrent et peuvent tomber gravement malades.

Interbev, l’organisation interprofessionnelle du bétail et de la viande, publie sur son site une liste non exhaustive de ces corps étrangers susceptibles de déclencher péritonite, péricardite, abcès, fièvres et troubles du comportement. Selon elle, 60 000 gros bovins sont concernés chaque année par cette « maladie des déchets », comme l’appellent les Américains. A l’abattoir, les carcasses des animaux victimes de tumeurs et d’infections sont partiellement ou entièrement détruites. Ce sont autant de pertes pour les éleveurs.

Une parade : l’aimant stomacal

Manifestement, le problème n’est pas nouveau pour eux. Ils ont imaginé une parade, plutôt rustique, afin d’éviter que les déchets métalliques se déplacent dans l’organisme de la vache et y cause trop de dégâts : l’aimant stomacal.

Il n’est pas difficile d’en acquérir sur Internet, de « très puissants » sous forme de barrettes de 5,5 centimètres, vendues de 4 à 5 euros le lot de douze, ou bien encapsulés dans une « cage » de 10 centimètres à 3 euros l’unité. Le guide poussoir, qui permet d’enfoncer l’aimant vers la panse du ruminant via son tube digestif, coûte dans les 30 euros.

« C’est douloureux, et d’autant plus choquant qu’il faut renouveler ces aimants au bout de quelque temps, assure Jacky Bonnemains, président de Robin des bois. Ce n’est pas une solution : les déchets doivent être sortis de l’environnement. »

L’association écologiste a découvert l’ampleur du problème en travaillant sur la question de la résorption des pneus usagés, qu’une directive européenne interdit désormais de mettre en décharge. Voilà une dizaine d’années qu’elle alerte sur cette pollution dans le monde agricole. Considérés jusqu’en 2015 comme « produits de recyclage », ces déchets ne peuvent plus être vendus en tant que tels. Mais ils servent encore, légalement, à maintenir les bâches qui couvrent l’ensilage, d’abreuvoir, de clôture, voire de combustible pendant les manifestations agricoles.

« Le problème est mondial »

Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), près de 53 millions de pneumatiques toutes catégories confondues ont été vendus en France en 2017, soit 530 600 tonnes, tandis que le marché mondial s’élève à 1,7 milliard de pneus.

La majorité des pneus usagés sont désormais traités, mais il en resterait environ 800 000 tonnes dans les campagnes. Avec le temps, la gomme se désagrège et la ferraille qu’ils contiennent se disperse dans l’environnement.

« Ces derniers jours, nous avons été contactés par un journal sud-africain, une ONG indienne… le problème est mondial »,témoigne Jacky Bonnemains. Il cite une étude de l’ONG Recycling Netwerk Benelux estimant que 11 000 à 13 000 vaches souffrent de lésions de l’appareil digestif chaque année à cause des déchets ingérés. Environ 4 000 d’entre elles en meurent. » in Le Monde

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« Même si nous savons l’horreur des abattoirs, nous continuons à manger de la viande. Quand serons-nous des nettoyants écologiques tels les condors ou les vautours ?

Il y a quelques mois, j’ai lu une histoire que je n’arrive plus à faire sortir de mes rêves. Deux vaches sur cent conduites à l’abattoir sont enceintes et sont abattues en état de gestation avancée. La transformation immédiate de la vache en capital (viande, peau, os, sang) est plus avantageuse que le coût que supposerait d’attendre que la vache donne naissance au veau et l’alimente. Au moment de son sacrifice, le veau est vivant dans son ventre. Souvent, le veau ne meurt que lorsque la vache est démembrée. L’article scientifique indiquait qu’il est impossible d’empêcher la souffrance du bébé. Alors que la vache, si elle est sacrifiée par un rituel non halal, reçoit un choc électrique destiné à l’étourdir pendant la saignée et l’abattage (et nous ne disons pas qu’il s’agit d’une mort sans douleur), le veau, affirme l’enquête, demeure pleinement conscient de la mort. Il assiste donc au meurtre industriel de sa mère. Sa brève naissance est, pour ainsi dire, déclenchée par la mort de sa génitrice. Le fils veille sur elle, contemple sa mort et n’est assassiné que par la suite. La vache est transformée en viande et en dérivés. Le veau est jeté à la poubelle. Dans mon cerveau de dormeur, le récit se transforme en cauchemar : dans un abattoir, dont les locaux rappellent la cour de l’école où j’ai étudié, une vache est sacrifiée. Et lorsque sa carcasse est ouverte, les bouchers retrouvent un veau vivant qui les regarde faire. Je suis témoin de la scène et je veux courir, ramasser le petit pour qu’il ne tombe pas. Mais j’en suis incapable. Cette image me revient plusieurs fois alors que je suis réveillé. Cette vache, me dis-je quand je me lève, ça pourrait être ma mère et ce veau pourrait être moi.

L’humain et le bovin sont, après tout, des mammifères placentaires dotés d’un système cognitif complexe : nous entendons, nous voyons, nous sentons, nous aimons. J’ai passé de longues périodes de mon enfance dans un village de Cantabrie, entouré de vaches que nous appelions par leur nom. J’ai vu naître plusieurs veaux. Tomber du vagin de la vache sur le sol comme un paquet qui s’effondrait. Ou bien sortir du corps d’une vache assise, petit à petit, tels des spéléologues découvrant avec émerveillement un autre monde au bout d’un tunnel. J’ai vu le placenta suspendu au corps de la vache comme un imperméable rose et humide duquel le veau s’extrait pour naître. Et j’ai vu des veaux s’emmêler dans les placentas, comme des drag-queens qui trébuchent sur leurs propres boas roses, leurs jambes trop longues et fragiles, comme des talons auxquels ils ne sont pas encore habitués. Chaque soir, lorsque ma tante trayait une vache, je lui tenais la queue. Chacune avait son caractère : certaines étaient gentilles, d’autres attendaient de vous avoir à portée de main pour vous cogner avec leur cou. Parfois, ma tante tournait l’un des mamelons pendant la traite et j’ouvrais la bouche pour recevoir, de loin, un jet de lait chaud qui coulait sur ma langue. Les gouttes sautaient sur mon visage. L’odeur âcre du lait, au foin de pâturages et aux poils de vaches mélangés pendant des jours à ma propre peau. J’aimais leur nettoyer les yeux pour éloigner les mouches. J’étais impressionné par leurs cils bouclés. Et par leur langue aussi longue qu’une main qui caresse une autre main. Chaque nuit, ma grand-mère et moi descendions l’allée du beffroi avec une carafe pleine de lait encore chaud. Lorsque nous arrivions chez nous, ma grand-mère ramassait la couche de crème restée en surface du lait. Elle la pliait comme si elle roulait un gant de latex blanc et en faisait un petit beurre en forme de demi-lune.

Je me demande comment et pourquoi je continue à manger de la viande. Après avoir été végétarien pendant des années, j’ai recommencé à manger de la chair de mammifère en 2014 lorsque je suis passé à une dose supérieure de testostérone. Avec une précision déroutante, presque mathématique, dix-huit heures après une injection de 250 mg de cypionate de testostérone, mon corps végétarien devenait un loup pour mes congénères quadrupèdes. Moi qui avais toujours détesté la texture du muscle entre mes dents, me réveillais obsédé par l’idée de dévorer un steak. Le métabolisme de la testostérone dans le corps produit un litre de sang supplémentaire, avec les globules rouges correspondants, et exige un supplément protéique. Mais il n’y a pas d’excuse. Il y a des protéines végétales.

Manger de la viande exige de moi l’ignorance de tout ce que je sais. L’occlusion de ma propre mémoire. L’oubli de ce que j’ai ressenti et appris. En échange d’un petit confort de carnivore testostéroné. De la facilité d’un geste commercial. Cette distance, voir cet antagonisme, entre savoir et agir, entre mémoire et projection du futur, entre sentiment et désir est la condition propre de la nécropolitique. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. Nous savons. Nous connaissons la réalité des abattoirs. Nous connaissons la réalité des frontières. Nous voyons chaque jour ce qui se passe en Méditerranée. Nous voyons devant nous se produire l’hécatombe écologique et politique. Et nous choisissons de continuer à manger. De continuer à voter. Il n’y a pas d’excuse. Il ne peut y avoir aucune excuse.

Apprenons du condor et du vautour, ces animaux charognards auxquels le discours culturel, sans aucun doute chargé de la culpabilité de notre capacité d’exterminer et de détruire, a fait si mauvaise presse. Apprenons à nous positionner au sommet de la chaîne trophique, non plus en tant que grands prédateurs mais comme nettoyants écologiques. Apprenons de la plante et de sa capacité à casser des molécules de chlorophylle avec les rayons de lumière et à transformer la matière inorganique en organique. Apprenons des colonies d’arbres qui partagent et distribuent l’eau à travers leurs racines. Apprenons du ver qui fait une orgie avec la terre. Tirons les leçons de la machine et de sa manière d’alimenter ses circuits à l’aide de l’énergie solaire. Soyons condor, soyons vautour, soyons plante, soyons arbre, soyons ver, soyons machine. «

In Libé


Nous y fûmes.

Q. « Comment faire, concrètement, pour réapprendre à pister, au sens large ? Nous sommes tout le temps sur Internet, dans le virtuel.

JBM. Au lieu d’opposer une sorte de réalité authentique du contact avec la nature et Internet, je pense que le pistage dont on a besoin aujourd’hui passe par Internet. Regardez ces permaculteurs qui passent la nuit sur la Toile, sur des blogs d’amateurs experts, à apprendre à décrypter les relations entre leurs poireaux, leurs fraises et les limaces, et qui le lendemain sont les mains dans la terre pour appliquer les savoirs acquis, se poser de nouvelles questions… »

Libé du jour

Quelles leçons pour l’analyse des cultures ?
Retranscription des quinze dernières minutes de la communication de Philippe Descola, 19 novembre 2017, Collège de France, colloque «Les Natures en questions».
https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2017/symposium-2017-10-19-15h00.htm

«On a fait sortir les non-humains de la cité pour n’y laisser que les humains, seuls sujets de droits […] C’est avec cette conception eurocentrique et anthropocentrique du politique notamment qu’il faut pouvoir rompre.[…] 15:18
Comprendre comment s’instaurent des collectifs singuliers 16:32.[…]
Se placer sous le signe de l’ontologie : […] le niveau où l’analyse anthropologique doit se situer est plus élémentaire que celui où elle a opéré jusqu’à présent [17:14]
Cela relève d’une exigence d’hygiène conceptuelle, à savoir il faut rechercher les racines de la diversité des humains à un étage plus profond, celui des différences dans les inférences de base… […]
De là découlent les types de collectifs au sein desquels se déroulent la vie commune et la nature de leur composition, les formes de subjectivation et d’objectivation, les régimes de temporalité, les formes de la figuration, toute la richesse de la vie sociale et culturelle.
Une première étape dans ce travail de refondation consiste à mieux définir l’unité d’analyse dont les sciences sociales s’occupent et qu’elles appellent diversement selon leurs domaines de spécialité et selon leurs inflexions nationales : une société, une culture, une communauté, un milieu social, une tribu, un groupe socio-professionnel qui ont tous pour caractéristique de limiter l’ensemble dont on parle aux seuls humains.
Je préfère pour ma part le terme de collectif [19:38], que Bruno Latour a introduit dans le vocabulaire des sciences sociales comme un corollaire de la théorie de l’acteur-réseau. Cette notion de collectif est précieuse car contrairement à d’autres notions désignant des ensembles organisés d’êtres, elle ne préjuge en aucune façon du contenu de ce qui est associé dans un collectif ni des modes de l’assemblage. Mais à la différence de Bruno, pour qui le collectif est le produit d’une action littérale de collecte analytique au moyen de laquelle divers types d’êtres et de forces sont associés, moi j’envisage, c’est peut être ma formation d’anthropologue spécialiste des formes de peuples non-modernes, j’envisage le collectif plutôt comme la forme sous laquelle se présentent à nous diverses sortes d’associations conventionnelles d’humains et de non-humains que l’histoire du monde a su imaginer. Parmi ces associations, il y a celles si étranges que l’anthropologie s’est donnée pour mission de décrire —c’est avec un biais anthropocentrique et en prenant la société des humains comme modèle et point de départ de la vie en commun— mais dont il n’est pas impossible pourtant de restituer la richesse et la complexité architecturale.
Et ces formes de stabilisés de collectifs n’ont pas été inventés par quelques anthropologues clairvoyants afin de fournir des gabarits analytiques à leurs collègues. Leurs principes de composition sont tout à fait explicites pour les humains qui en sont membres et qui savent fort bien évaluer leurs mérites par rapport à ceux qui ont cours dans des collectifs voisins de sorte qu’il serait absurde et condescendant de réserver l’anthropologie comparative des collectifs aux seuls savants qui auraient su s’extirper du front de modernisation. 
Bref, un collectif au sens où je l’entends [21:43] c’est une forme stabilisée d’association entre des êtres qui peuvent être ontologiquement homogènes ou hétérogènes et dont aussi bien les principes de composition que les modes de relation entre les composantes sont spécifiables et susceptibles d’être abordées réflexivement par les membres humains de ces assemblages notamment lorsqu’il s’agit de qualifier des relations avec des collectifs voisins où ces principes et ces modes n’ont pas cours. On le voit, un collectif entendu en ce sens n’est pas homologue aux catégories sociologiques habituelles désignant des associations auxquelles on aurait rajouté quelques non-humains par souci louable de complétude : une société + sa nature, une ethnie + ses ancêtres, une civilisation + ses divinités, une catégorie socio-professionnelle + les outils, les matériaux, les procédures qu’elle utilise. On voit mal dans ce cas quel gain d’intelligibilité pourrait être obtenu, puisque les non-humains continueraient à n’être qu’une sorte d’enjolivure rajoutée à un bloc massivement anthropocentrique. 

Il faut plutôt élucider dans chaque cas, les principes de composition de l’assemblage et les rapports qu’il entretient avec d’autres assemblages de même nature ou composés différemment.
C’est ce que je voudrais faire maintenant en examinant à titre d’exemple très brièvement un genre d’association qui m’a très longtemps occupé le collectif animiste. [23:23], lequel se distingue en tout de ce qui est pour nous une société puisque les combinaisons qu’il opère entre humains et non-humains n’y prennent pas la forme coutumière à laquelle l’ontologie naturaliste nous a accoutumés. Dans une ontologie animiste, la plupart des non-humains ont une intériorité analogue à celle des humains, ce qui fait d’eux des sujets sociaux de plein droit mais chaque forme d’être étant aussi dotée de dispositions physiques particulières, elle ne peut avoir accès qu’aux segments de monde qu’elle est prédisposée par sa nature à habiter, à utiliser, et à actualiser. Donc chaque forme d’êtres constitue de ce point de vue-là, un collectif à part, une espèce sociale caractérisée par une morphologie, des aptitudes et un type de comportement particulier, un genre de regroupement qui combine les attributs d’une espèce naturelle et ceux d’une tribu. Les tribus-espèces donc et notamment les tribus-espèces animales sont réputées vivre dans des collectifs, qui possèdent une structure et des propriétés identiques. Ce sont des sociétés complètes avec des chefs, des chamans, des rituels etc.
Dans tout l’archipel animiste, en Amérique sub-arctique, en Amazonie, en Sibérie, dans des régions d’Asie du sud-est et de Mélanésie, des membres de chaque tribu-espèce partagent ainsi une même apparence physique, un même habitat, un même comportement alimentaire, et sont en principe endogames. 

Il importe ici de noter que les critères de différences de forme et de comportement permettant de distinguer les uns des autres les collectifs non-humains sont aussi employés pour distinguer entre eux les divers collectifs humains.
Dans une ontologie animiste, en effet, l’idée d’humanité comme espèce morale en général, à part, n’a guère de sens. Aussi, chaque classe d’humains qui se différencie des autres par son apparence et par ses manières de faire est-elle conçue comme une tribu-espèce particulière à l’instar de la tribu-espèce du singe laineux ou de celle du caribou. [25:49] car les attributs distinctifs des groupes humains que les modernes voient comme culturels, la coiffure, la parure, le costume, les armes, les outils, les habitations et même la langue sont au contraire perçus dans l’archipel animiste comme des dispositions physiques analogues à celles qui permettent aux espèces animales de mener des genres de vie différents : des becs, des griffes, des nageoires, des ailes, des branchies etc. Donc nous les naturalistes, ce que nous voyons comme nature et surnature, se présente pour les animistes comme un monde peuplé de collectifs sociaux avec lesquels des collectifs humains eux-mêmes différenciés nouent des relations conformément à des normes supposées communes à tous.
Quelle forme une cosmopolitique peut-elle prendre dans le cas présent. Puisque presque tous les êtres sont des personnes, chacune libre et indépendante à l’intérieur du collectif où son existence se déroule, ce ne sont pas les individus humains qui constituent des sujets politiques, ni même les assemblages au sein desquels chaque espèce d’être humain et non-humain est associé, des assemblages en effet tous autonomes, en principe dans l’exercice de leur souveraineté. Non, les véritables sujets politiques, ce sont les relations entre les collectifs, des relations de séduction, d’échange, de prédation, d’apprivoisement qui sont variables selon les circonstances et selon les communautés, et qui ont toutes pour caractéristique de traiter l’alter ego comme une personne de statut égal. C’est une personne que l’on peut tuer ou que l’on adopte, que l’on mange ou que l’on nourrit, que l’on aide à se reproduire ou que l’on traite comme un enfant selon qu’il s’agit d’un ami ou d’un ennemi ou d’un animal chassé ou un petit du gibier que l’on recueille, d’une plante cultivée ou d’une plante sauvage, d’un esprit malfaisant ou d’un esprit protecteur. Et c’est dans ces relations très diverses de personne à personne entre humains comme avec les non-humains, que se cristallisent les rapports de mondes. Les rapports de mondes, ce sont ces rapports qui selon Jacques Rancière forment la texture de la politique, beaucoup plus que les rapports de pouvoir, car un sujet politique, ce n’est pas un groupe qui prend conscience de lui-même, qui se donne une voix, qui impose son poids dans la société, pour citer Rancière, c’est un opérateur qui joint et disjoint les régions, les identités, les fonctions, les capacités, existant dans la configuration d’une expérience donnée.
Et en ce sens, n’importe quel opérateur humain ou non-humain est capable de devenir un agent politique, s’il parvient à mettre ensemble des choses qui n’ont pas au départ de connexion intrinsèque notamment parce qu’elles ressortissent en apparence à des régimes ontologiques différents.
Et donc le chasseur atchuar avec qui j’ai jadis chassé, et qui adresse une incantation mentale à l’âme du singe laineux qu’il poursuit, est un agent politique, car il connecte par ce moyen deux communautés de personnes qui vivent dans des mondes physiques différenciés. Quant au singe laineux, il est devenu lui aussi un agent politique et pour la même raison lorsqu’il aura auparavant visité en rêve le même chasseur pour lui donner un rendez-vous en forêt. 
Partout sur notre planète, ces rapports de mondes se donnent à voir, sous nos yeux de naturalistes, sans que nous sachions toujours les déchiffrer, comme des expressions politiques. Par exemple, et dans un registre très éloigné de l’animisme, lorsqu’un volcan andin menacé par une compagnie minière se voit défendu par des communautés autochtones, non pas comme une ressource à protéger, mais comme un membre à part entière du collectif mixte qu’eux les humains forment avec les montagnes, avec les troupeaux de lamas, avec les lacs, avec les champs de pomme de terre, ou encore pour prendre un autre exemple récent, lorsque les Maori obtiennent du parlement néo-zélandais la reconnaissance de la personnalité juridique de la rivière Ouangani non pas comme un moyen de préserver sur cette rivière leurs droits d’usage ancestraux mais là encore parce qu’elle appartient à un collectif plus large dont les humains ne sont qu’une composante. Aussi et pour en revenir au registre animiste, n’est-il pas étonnant que lorsque les représentants de la communauté de Sarayaku sont venus à Paris lors de la COP 21 pour demander la reconnaissance du territoire qu’ils occupent, en Amazonie équatorienne, ils ne l’aient pas fait en invoquant la préservation de la biodiversité, la protection du milieu contre les compagnies pétrolières qui sont pourtant à la périphérie, ou même l’autochtonie, non, ils ont allégué qu’il fallait préserver des relations plutôt qu’un espace, en l’occurrence et je les cite : «la relation matérielle et spirituelle que les peuples indigènes tissent avec les autres êtres qui habitent la forêt vivante.» Et cette forêt vivante, elle est vue «comme entièrement composée d’êtres vivants, et des relations de communication que ces êtres entretiennent de sorte que tous ces êtres depuis la plante la plus infime jusqu’aux esprits protecteurs de la forêt sont des personnes qui vivent en communauté et développent leur existence de manière analogue à celle des humains. Au lieu de voir dans ce genre de propos et de mouvements, des manifestations de superstition folklorique ou puérile, position condescendante, que partagent tant le libéralisme du laisser faire qu’une partie de la gauche prométhéenne, il est plus judicieux d’y trouver ce qu’ils nous offrent, à savoir une formidable stimulation pour penser à nouveaux frais, l’action politique et le vivre ensemble dans un monde où nature et société ne sont plus irrémédiablement dissociées.»

Hors champs de Laure Adler avec François Roustang, hypnothérapeute. 9 janvier 2012.
http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-francois-roustang-2012-01-09 [Ceci est une retranscription partielle des seuls propos de FR, pour mémoire. FR s’est débarrassé de toute croyance religieuse par la psychanalyse, et par elle, il est arrivé à l’hypnose. Tout est dit sur FR in http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Roustang. Il y a quelques vidéos sur dailymotion. L’hypnose semble un peu périlleuse mais paradoxalement innovante au regard de la pratique psychiatrique ordinaire.]

François Roustan:
[Confession à la chrétienne et analyse psychanalytique]: «Dans les deux cas, il y a dialogue mais dans la confession, on s’accuse de fautes qu’on a faites, en psychanalyse, on dit tout et n’importe quoi, c’est ça qui peut être efficace —Foucault s’est trompé en les comparant— quand on est à confesse, on trie les choses et on choisit ce qu’on a envie de dire; en psychanalyse, on ne choisit pas, on parle comme on déparle sans aucune retenue, ça n’a rien à voir et les effets ne sont pas les mêmes non plus. On ne s’adresse pas à une puissance supérieure en psychanalyse, alors qu’en confession, on ne s’adresse pas au prêtre, on s’adresse à Dieu. En psychanalyse, espérons qu’on ne s’adresse pas à soi-même. On parle à la cantonade. On ne sait pas ce que l’on dit, on ne sait pas à qui l’on parle. Si c’était un moi, alors là on tournerait en rond. Si c’était un ‘il’ qui parle, alors là il y aurait une possibilité de délivrance. On parle n’importe qui et en un sens, on ne parle pas. Le secret de la psychanalyse, c’est de parler un langage que personne ne comprend, on déparle.
 Déparler en français, ça veut dire parler sans interruption mais on peut en donner un autre sens, déparler, ça veut dire défaire le langage de tout sens, pour moi, c’est ça qui est fondamental en psychanalyse, c’est qu’on ne sait plus ce que l’on dit et que le langage n’a pas de sens. C’est dans cette ligne-là que j’ai pratiqué l’hypnose. On ne cherche pas un sens. L’erreur de base, c’est de vouloir comprendre alors qu’il ne s’agit pas du tout de comprendre, il s’agit d’emporter le langage de telle sorte qu’il fasse apparaître autre chose que lui-même. C’est ça qui est fondamental. […]
Ce n’est pas tellement la parole qui a marqué un tournant dans ma vie, ça a été au cours de l’analyse, une explosion de vitalité. C’est ça pour moi, l’analyse, au bout de 2 ans d’analyse [avec Serge Leclaire], j’ai fait le tour et j’ai changé de vie.
[…] Tout ce qui est décision d’être psychanalyste, ou la forme que l’on peut adopter comme psychanalyste, cela relève de l’individu lui-même. C’est une affirmation. Aujourd’hui, j’affirme que je suis un homme libre. C’est le point le plus important. Quand je décide quelque chose, je décide quelque chose, quitte, l’instant d’après, à me poser des questions sur cette décision que j’ai prise. Je n’ai pas arrêté, comme psychanalyste, à me poser des questions sur ce que je faisais et sur l’efficacité de mon travail. C’est pour ça que j’ai bifurqué après un certain nombre d’années. On peut à la fois affirmer: ‘Je suis là, voilà ce que je fais et je le fais entièrement et en même temps dans l’instant d’après et même dans cet instant-là, dire: ‘est-ce que je me trompe’. ‘Un psychanalyste ne s’autorise que de lui-même’ disait Lacan [rappelle LA) et là je suis en accord avec ça et Lacan a eu tout cet aspect-là de libérer le psychanalyste de toute soumission quelconque, y compris à sa doctrine ou à sa théorie.
[…] Je participe à des formations de thérapeute, récemment je leur ai dit: ‘Il y a une qualité que doit avoir un thérapeute, c’est d’acquérir une sensibilité, pas une sentimentalité, mais une sensorialité, c’est le mot de Keats ‘Délivrez-nous des idées, donnez-nous des sensations’. Si la formation consistait à apprendre à percevoir, apprendre à soupçonner, apprendre à sentir, ce serait suffisant, parce que c’est à travers ça que l’on peut aider quelqu’un même parfois lui dévoiler là où il en est, parce que très souvent, la personne croit qu’elle vit telle et telle chose, alors qu’elle est en train de vivre toute autre chose et c’est au thérapeute d’éveiller en elle une autre forme de sensorialité.
[Savoir attendre: pour que la vie change, titre d’un livre de FR.]
Ce qui est fondamental, c’est que nous vivons sur deux registres différents, un registre où nous sommes conscients de ce que nous faisons et où nous agissons dans notre vie, dans la société, par rapport aux autres. Et puis un autre domaine où nous sommes amenés à percevoir une multitude de choses que la plupart du temps nous ne percevons pas. C’est en vivant à travers ces deux registres ou en apprenant à vivre sur cet autre registre qu’une vie peut se transformer. J’ai envie de dire que ce sont les créateurs, les vrais peintres, les vrais musiciens, les vrais sculpteurs, ce sont eux qui comprennent d’entrée de jeu comment on peut vivre sur deux niveaux différents, et comment la vie peut être transformée dès lors qu’on se laisse aller à soupçonner et à sentir les choses les plus subtiles qui sont autour de nous et en nous. 
La personne qui vient me voir se sent disponible pour un changement. Elle sait que la solution est là. Installez-vous dans ce lieu où vous avez trouvé la solution.
 Le thérapeute fait remarquer à quelqu’un qu’il sent lui-même sa force vitale, mais il ne prend pas la place de l’autre.
[…] Je suis venu à l’hypnose par l’intermédiaire de la psychanalyse. Je suis venu à l’hypnose parce que j’ai découvert le transfert, la dimension certainement hypnotique du transfert, dont on ne sort pas facilement et puis dans la cure même. J’ai écrit un article ‘Suggestion au long cours’, dans la Nouvelle Revue de psychanalyse. […] Puis je me suis initié avec Milton Erickson aux Etats-Unis. […]

[Psychanalyste versus hypnothérapeute]

Je pense que l’anamnèse, —que quelqu’un raconte son histoire—, ça n’a aucun intérêt, aucune efficacité, que le langage peut être mis de côté et que tout l’effort, si on se met à parler dans une psychothérapie, c’est, à un moment, pour se taire. C’est ça qui est efficace, parce que pour moi, ça se résume de façon très très simple à une chose: ‘Vous voulez guérir / Oubliez que vous êtes un humain / Devenez un animal’.

« L’arbre de Monlési », 15 août 2007, de 17h à 18h. La route s’élargit pour que les voitures — ou les tracteurs — puissent se croiser.

A des gens qui viennent me voir je dis :
‘Est-ce que vous souhaitez vraiment aller mieux, vous transformer, eh bien oubliez vos pensées, oubliez que vous avez un vouloir à votre disposition, et tout simplement installez-vous dans votre statut d’organisme vivant’. ‘La guérison n’est pas un but, elle vient par surcroît’, disait Lacan. Elle vient dans la mesure où précisément je change complètement de visée, je ne cherche pas à guérir, je cherche à me mettre dans la position d’un organisme vivant qui se laisse influencer par son environnement. Et pour ça, je dois oublier même d’une certaine façon que je suis là, je dois me laisser être là comme une souche ou comme une pierre, comme un rocher. Si je peux faire ça, oublier que je suis un humain, alors fatalement, je vais trouver une solution. […] Vous participez, vous êtes un morceau d’univers, vous êtes vivant, ça suffit. Si vous vous installez là-dedans, vous êtes libre, comme un organisme vivant est libre. Il n’y a pas de soumission. Je me soumets à quelque chose en moi que j’ignore. Quand quelqu’un a peur de l’hypnose, c’est un bon signe, parce qu’il est proche de faire le saut. Ce n’est pas une aliénation. Je suis là comme un être vivant et c’est ça qui est ma liberté. Je ratifie cette position que j’ai dans le monde et dans ma vie […] A un moment il y a soumission quand je dis à quelqu’un, cet homme qui est venu me voir: ‘vous aviez senti que vous étiez libre, il y a eu un lieu en vous où vous êtes un homme libre et vous n’êtes plus dans le ressentiment. De fait, je fais acte d’autorité en lui disant: ‘Arrêtez-vous-là, prenez le temps qu’il faut pour être tout entier l’homme qui est en paix avec lui-même et qui n’a plus besoin de cette femme [dont il s’était séparé].

[A la question de LA: comment faites-vous pour rester si jeune?]:  http://lantb.net/figure/?p=2772
‘Être là où je suis et n’avoir plus aucune illusion sur moi-même’.

Trouvé dans le livre de François Roustang, La Fin de la plainte: la conduite automobile, ou «quand le corps pense», ou quand «la secondarité structurelle de la parole et de la pensée se prouve encore par les impératifs de l’action». pp. 136-137

«Une jeune fille vient d’apprendre à conduire. Elle dit l’angoisse qu’elle ressent à la perspective de n’avoir plus bientôt à détailler ses gestes et de devoir se laisser aller aux automatismes. Comment va-t-elle réussir à ne plus savoir ce qu’elle fait? Et pourtant il est clair que la perte de la conscience de ce qu’elle fait va seule lui permettre d’être vigilante à l’égard de sa route, des obstacles éventuels, des autres véhicules. Bref l’attention à ce qui se passe alentour est conditionnée par l’aisance inconsciente du corps à manier le véhicule. Et même cette attention portée sur l’extérieur aura tout intérêt à se faire oublier, le corps pouvant en intégrer toutes les données sans que la conscience ait à s’en mêler. Pour agir, le corps doit faire taire la parole et l’explication consciente. Mais cela ne signifie pas que l’esprit a disparu. Il est devenu corps vivant, car le corps est esprit et c’est pour cela qu’il pense à bon escient.»

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