REMEMBER NATURE. L’écriture végétale sur sobachoko. Work in progress

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Envoi : Gustav Metzger, Remember Nature, 4 novembre 2015, post it, empruntant le titre d’une vidéo où l’on voit l’artiste lancer cet appel que nous reprenons ici pour replacer notre étude de l’écriture végétale sur gobelets de porcelaine bleu et blanc, dans cette thématique de la nature à l’heure de l’anthropocène. des espèces animales et végétales disparaissent sous le coup des activités humaines.
« Bonjour, je suis Gustav Metzger. Je vous demande de participer à cet appel mondial pour une journée d’action pour se souvenir de la nature, le 4 novembre 2015. Nous faisons appel au monde de l’art dans toutes ses disciplines afin de prendre position contre l’effacement continu des espèces. C’est notre chance et notre devoir d’être actif dans ce contrat. Il n’y a pas d’autre choix que de suivre le chemin de l’éthique relié à l’esthétique. Nous vivons dans unep société étouffant sous les déchets. Notre tâche est de rappeler aux gens la richesse et la complexité de la nature et de faire tout notre possible pour la protéger, et, ce faisant, d’investir de nouveaux territoires qui sont intrinsèquement créatifs et bénéfiques pour notre monde. Nous vous invitons à répondre de manière créative à cet appel et à encourager les autres à y participer. L’objectif étant de créer un mouvement de masse à travers les arts face à l’extinction. Je vous remercie.»

Paris, rue Boucher, derrière le magasin Uniclo, au voisinage immédiat d’une porte empruntée par les employés du grand magasin Uniqlo, sur la Rue de Rivoli. Objet antithétique de nos sobachoko : Les gobelets en carton colorés, décorés, jetables… paradigme de l’hypertrophie de la culture du consommation à laquelle notre gobelet de porcelaine de terre argileuse de kaolin est confronté…

Valence 2024, sur terre. « A travers la région sinistrée, une cinquantaine de terrains permettent de rassembler les épaves des quelque 120 000 voitures détruites. La boue séchée a recouvert les jardins. Les commerces ont pratiquement tous disparu, seuls subsistent deux bars et un restaurant. «C’est simple, dit Nuria, tous les rez-de-chaussée sont détruits. 460 commerces et 2 100 logements. Réduits en bouillie, engloutis, avec au mieux des pans de murs ou leur squelette de poutres en acier.» Comme son atelier de céramique, en poussière, les quatre fours, soit au moins 50 000 euros envolés. «J’ai vu l’œuvre de ma vie partir dans un torrent de boue.» Terre contre terre…

Paris… Étienne Boissier, Le Parc, acrylique sur toile, 2024, comme un sentiment de la nature collectif, restreint à un état de contemplation simple mais ouvrant le monde des impressions sensibles*, comme cela se pratique dans les espaces policés des parcs des grandes métropoles. Cette peinture y participe, en discrétisant avec bonheur ses éléments, par l’art de la touche du pinceau.

* « Le monde des impressions ou des qualités sensibles, le vaste territoire de la mémoire involontaire ouvert au déchiffrement à la fois universel et individuel. » Deleuze, Proust et les signes

Le sentiment de la nature revisité. Marcantonio Raimondi, Le Jugement de Pâris. Autre attitude inclusive de l’être humain dans la nature. Dans un essai « Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, fonction préfiguratrice des divinités élémentaires païennes pour l’évolution du sentiment moderne de la nature » (1929), Aby Warburg repère le modèle émancipateur de cette relation harmonieuse immanente être humain-nature, dans une gravure de la renaissance elle-même, issue d’un modèle grec, de Raimondi « le jugement de Paris » : on voit un groupe de 3 personnages affalés au sol, décontractés, deux semi-dieux-fleuves « qui incarnait dans la mythologie païenne la force naturelle telle qu’elle s’exerce dans les eaux calmes ou courante » et une nymphe. « Les trois divinités naturelles, […] n’ont «rien à se dire». « Elles se dressent d’elles-mêmes, tels des roseaux dans les eaux calmes, et la question de l’origine et de la destination s’est résolue à travers elles dans le processus de figuration. Jetés tous ensemble sur la rive, sans que rien n’indique qu’ils aient été portés l’un vers l’autre, les trois corps prennent place avec désinvolture dans l’espace luxuriant qui s’étend autour d’eux », indifférents indifférente à Jupiter en dieu de l’éclair, trônant au-dessus d’eux.

Manet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1862. Les figures comparables à celle de la gravure de Raimondi appartiennent au monde l’art, mais la scène est appropriable par tout un chacun. Le titre de l’œuvre le dit simplement. [On devine un gobelet dans les plis du tissu bleu]… Aby Warburg clôt le texte : « Quoi qu’il en soit, le désir de nature, cet éternel supplément de l’homme pris dans les rets solides de la communauté sociale exige la satisfaction de son droit originel. Manet avait lu son Rousseau. »

Rousseau donc est aussi au plus près du terrain, il l’herborise et quid de cette activité paysagère si ce n’est la confection d’un herbier. À la fin de sa vie, 1778, il en définit la fonction imageante, vitalisante : «Maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées je n’ai qu’à ouvrir mon herbier et bientôt il m’y transporte. Les fragments des plantes que j’y ai cueillies suffisent pour me rappeler tout ce magnifique spectacle. Cet herbier est pour moi un journal d’herborisations qui me les fait recommencer avec un nouveau charme et produit l’effet d’un optique qui les peindroit derechef à mes yeux. » Ceci nous ouvre une voie d’accès idéale vers ces sobachoko nombreux dont les motifs bleus dessinés au pinceau, proposent un quasi répertoire de fragments de plante mises à plat sur la surface du tronc de cône et que l’on observe librement, soit en collection alignés sur des étagères ad hoc, soit de manière panoramique en manipulant le gobelet utilisé dans des rituels culinaires quotidiens. Ils produiraient donc, c’est notre thèse, cet effet d’optique qui nous peindrait « derechef » des réminiscences de promenades dans la nature, dans des jardins, dans des conditions atmosphériques récurrentes, climatiques (pluie, neige, vent). L’arabesque est le leitmotiv de leurs formes, c’est celui-là même des plantes qui poussent ainsi, tiges, fleurs et feuilles. Leur stylisation peut aller très loin jusqu’à une écriture où les motifs quittent le pictogramme pour devenir des caractères d’une écriture végétale inédite. « le motif est la nature vue dans sa meilleure lumière », disait très justement l’écrivain Yanagi Sôetsu (1889-1961)
Jean-Louis Boissier, Papyrus rudiments, Reconnaissance de signes*2017. Jean-Louis a dévoilé cette approche langagière végétale à la fois intraduisible et parlante dans cette piece. Les papyrus comportent des signes qui relèvent de leurs apparences mais qui renvoient plus fondamentalement à leurs architectures, à leurs croissances, à leurs comportements, à leurs échanges, signes d’articulations relationnelles. L’application #Ubiquité donne à exercer la reconnaissance et la collecte de ce code de façon à révéler les rudiments d’un infra langage graphique. À la lumière de cette révélation, je reviens ici sur la partie «écritures végétales », « arabesques » (Katakusa) et « personnages » de la collection des mille sobachoko.jp. On en vient donc à faire ici un herbier de motifs de plantes sur soba choko, à propos desquelles chacun chacune instaurera son récit personnel d’impressions sensibles, son interprétation cognitive assortie de références littéraires et artistiques. Nous nous contenterons ici de nommer ces plantes et d’en donner une vision botaniste et culturelle. Et de poser la question : De quoi demain sera-t-il fait. D’enfer ou de prés verts?                                                                                                                                     À développer ici : Corpus de sobachoko issu des catégories  écriture végétale arabesque personnage de sobachoko.jp. L’idée est de lâcher les pistes symbolique et religieuse. Retour vers la piste langagière universelle d’orientation dans l’espace, révélée par les choses au sens large dont les plantes. Le dessin du motif tracé au pinceau identifie la plante comme dans un herbier, en l’abstractisant parfois avec la violence des circonstances de la vie de cette plante (traductible en un  haïku, autre forme d’écriture végétale)  comme de l’état d’esprit du dessinateur lui-même, confronté à la nécessité d’un travail répétitif difficile.                 * Ce qui force à penser, c’est le signe. Le signe est l’objet d’une rencontre ; mais c’est précisément la contingence de la rencontre qui garantit la nécessité de ce qu’elle donne à penser. L’acte de penser ne découle pas d’une simple possibilité naturelle. Il est, au contraire, la seule création véritable. La création, c’est la genèse de l’acte de penser dans la pensée elle-même. Or cette genèse implique quelque chose qui fait violence à la pensée, qui l’arrache à sa stupeur naturelle, à ses possibilités seulement abstraites. Penser, c’est toujours interpréter, c’est-à-dire expliquer, développer, traduire un signe. Traduire, déchiffrer, développer sont la forme de la création pure. Il n’y a pas plus de significations explicites que d’idées claires. Il n’y a que des sens impliqués dans des signes ; et si la pensée a le pouvoir d’expliquer le signe, de le développer dans une Idée, c’est parce que l’Idée est déjà là dans le signe, à l’état enveloppé et enroulé, dans l’état obscur de ce qui force à penser. Nous ne cherchons la vérité que dans le temps, contraints et forcés. Le chercheur de vérité, c’est le jaloux qui surprend un signe mensonger sur le visage de l’aimé. C’est l’homme sensible, en tant qu’il rencontre la violence d’une impression. C’est le lecteur, c’est l’auditeur, en tant que l’œuvre d’art émet des signes qui le forcera peut-être à créer, comme l’appel du génie à d’autres génies. Les communications de l’amitié bavarde ne sont rien, face aux interprétations silencieuses d’un amant. La philosophie, avec toute sa méthode et sa bonne volonté, n’est rien face aux pressions secrètes de l’œuvre d’art. Toujours la création, comme la genèse de l’acte de penser, part des signes. L’œuvre d’art naît des signes autant qu’elle les fait naître ; le créateur est comme le jaloux, divin interprète qui surveille les signes auxquels la vérité se trahit. »   Autre rappel  utile à propos des trois mondes de signes définis par Deleuze: «1. le monde de la mondanité (monde de l’expérience corporelle et conversationnelle urbaine), « il n’y a pas de milieu qui émette, concentre autant de signes qui tiennent lieu d’action et de pensée, dans des espaces aussi réduits, à une vitesse aussi grande, et dont l’effet sur nous s’exprime dans une sorte d’exaltation nerveuse », monde nécessaire, le plus formateur pour l’apprentissage des signes.  2. « le cercle de l’amour, lieu télépathique des regards et de gestes intimes échangés, ouvrant sur une pluralité de mondes inconnus concentrés en chaque individu et donc indéfiniment indéchiffrables et donc éminemment attirants, mais dont le narrateur n’en est jamais qu’un objet indéfiniment. » 3. « le monde des impressions ou des qualités sensibles, le vaste territoire de la mémoire involontaire ouvert au déchiffrement à la fois universel et individuel cité plus haut. »                                                           Ultime référence rousseau/deleuzienne à propos de L’Émile ( manuel d’éducation) et des mille sobachoko de la collection observable: « Les deux pôles de l’œuvre philosophique de Rousseau sont l’Émile et le Contrat social. Le mal dans la société moderne, c’est que nous ne sommes plus ni homme privé ni citoyen : l’homme est devenu «homo œconomicus», c’est-à-dire «bourgeois», animé par l’argent. Les situations qui nous donnent intérêt à être méchants impliquent toujours des relations d’oppression, où l’homme entre en rapport avec l’homme pour obéir ou commander, maître ou esclave. L’Émile est la reconstitution de l’homme privé, le Contrat social, celle du citoyen. La première règle pédagogique de Rousseau est celle-ci: c’est en restaurant notre rapport naturel avec les choses que nous arriverons à nous former en tant qu’hommes privés, nous préservant ainsi des rapports artificiels trop humains qui nous donnent dès l’enfance une tendance dangereuse à commander. (Et c’est la même tendance qui nous fait esclave et qui nous fait tyran.) «En se faisant un droit d’être obéis, les enfants sortent de l’état de nature presque en naissant.» Le vrai redressement pédagogique consiste à subordonner le rapport des hommes au rapport de l’homme avec les choses. Le goût des choses est une constante de l’œuvre de Rousseau (les exercices de Francis Ponge ont quelque chose de rousseauiste). D’où la fameuse règle de l’Émile, qui n’exige que du muscle: ne jamais apporter les choses à l’enfant, mais porter l’enfant jusqu’aux choses. L’homme privé, c’est déjà celui qui, par son rapport avec les choses, a conjuré la situation infantile qui lui donne intérêt à être méchant. Mais le citoyen, c’est celui qui entre avec les hommes dans des rapports tels qu’il a précisément intérêt à être vertueux. Instaurer une situation objective actuelle où la justice et l’intérêt sont réconciliés, semble à Rousseau la tâche proprement politique. Et la vertu rejoint ici son sens le plus profond, qui renvoie à la détermination publique du citoyen. Deleuze

post scriptum

L’architecture japonaise n’est pas en reste pour nous faire découvrir des motifs végétaux, comme les entrelacs de tiges de bambou et de lianes (le végétal) des fenêtres des murs en pisé (la terre) des pavillons de la villa Katsura retrouvés tracés au pinceau sur les surfaces en porcelaine du sobachoko. Du végétal au géométrique.


Pour conclure, les fleurs finissent sur les robes. Hommage à ma mère Claudine, née le 10 février 1908 et disparue le 25 décembre 1998. Photo jlb 1972.

« le motif est la nature vue dans sa meilleure lumière », disait très justement l’écrivain Yanagi Sôetsu (1889-1961) [2].

La stabilité du gouvernement est entre les mains du gouvernement. À lui de donner suffisamment de motifs pour ne pas le censurer. Boris Vallaud dans Le Monde

Les substances per- et polyfluoroalkylées, des produits chimiques de synthèse, sont très répandues dans notre vie quotidienne comme dans les usages industriels. Alors que leur grande résistance les rend quasi indestructibles dans l’environnement, où elles sont massivement rejetées, leur toxicité est de plus en plus documentée. Elles contaminent tout l’humanité

Seth Siegelaub. The Stuff That Matters. Une philosophie…

in Frieze Magazine issue 148 – 01 JUN 1972
https://www.frieze.com/article/stuff-that%C2%A0matters
The Stuff That Matters: Textiles Collected by Seth Siegelaub for the CSROT, 2012, installation view. *

« Les choses qui comptent »
(traduction Google)
Siegelaub est un personnage rare et anachronique : un polymathe des temps modernes qui a été, pendant 50 ans, galeriste-impresario, éditeur, bibliographe et collectionneur. Les textiles, et plus particulièrement leur histoire écrite, suscitent chez lui un intérêt constant depuis les années 1960 et, sous le nom de Centre for Social Research on Old Textiles (CSROT), il a constitué une bibliothèque d’objets et de livres depuis près de 30 ans. « The Stuff That Matters: Textiles Collected by Seth Siegelaub for the CSROT » comprenait 200 objets de cette collection de 650 textiles anciens et 7 000 livres sur le sujet, eux-mêmes catalogués dans une vaste bibliographie qu’il a publiée en 1997 sous le titre Bibliographica Textilia Historiae. Siegelaub et les commissaires de l’exposition – Sara Martinetti, Alice Motard et le directeur de Raven Row, Alex Sainsbury – ont regroupé les textiles avec une bibliographique minutieuse par période ou par fonction. La conception générale de l’exposition a été réalisée par 6a Architects, qui a créé de vastes vitrines blanches et d’autres parerga élégantes, mais on sentait clairement l’engagement personnel de Siegelaub envers son sujet, à la fois à travers les pages jaunies portant ses notes et croquis manuscrits et les annotations imprimées tout au long de l’exposition. Les objets tissés étaient entrecoupés d’extraits de livres qui éclairent leurs divers contextes commerciaux, méthodes de fabrication et statuts culturels – l’arrière-plan devenant le premier plan. Des soieries fleuries du XVIIIe siècle étaient par exemple disposées à côté de traités comme The Useful Arts Employed in the Production of Clothing (1851) de John W. Parker, dont le diagramme montrant « les chapeaux de nos ancêtres » trouvait un parallèle dans une galerie voisine de coiffes tribales d’Afrique, d’Asie et d’Océanie.

L’exposition mettait l’accent sur le rôle des textiles et des textes fragmentaires en tant que métonymies évocatrices, représentant des lieux et des temps irrécupérables. Une multitude de termes spécialisés parsemaient les étiquettes, pour lesquelles un glossaire était fourni : des chasubles (c’est-à-dire des vêtements liturgiques) « en damas de soie et passementerie » étaient accrochées en rang, suggérant la garde-robe des chevaliers. L’abondance des tissus commençait à ressembler à une corne d’abondance élégante, semblable aux parures imaginées par Oscar Wilde comme appartenant à Dorian Gray – en fait, Wilde a plus ou moins emprunté ces descriptions à des livres comme ceux que Siegelaub a collectionnés. Si l’amour de Dorian pour les objets était celui d’un esthète, le projet de Siegelaub est résolument celui de replacer les textiles dans un contexte historique (la collection elle-même est issue du projet plus vaste de la bibliographie). Dans le catalogue, il observe avec amertume que la collection de textiles pour elle-même est aussi « bourgeoise et ‘apolitique’ qu’on peut l’imaginer ».La mise en scène de cette exposition à Raven Row reflète l’éclectisme intellectuel de Siegelaub : sa propre galerie new-yorkaise, qui n’eut qu’une existence éphémère dans les années 1960, vendait des tapis orientaux aux côtés de l’art conceptuel et, comme le raconte Clare Browne (conservatrice des textiles au V&A) dans son essai de catalogue, l’exposition évoque l’histoire de Spitalfields. Le bâtiment de la galerie, qui se trouve dans ce quartier, abritait autrefois des boutiques de marchands de soie, et le quartier environnant était le cœur du commerce de la soie en Grande-Bretagne. De plus, l’archivage méticuleux de Siegelaub témoigne d’une attitude sérielle proche de la méthodologie des artistes conceptuels qu’il défendait à la fin des années 1960. Cela rappelle également son utilisation de la page imprimée comme lieu d’exposition dans des projets désormais légendaires tels que le Xerox Book (1968), pour lequel sept artistes (dont Carl Andre, Robert Barry et Lawrence Weiner) ont été invités à contribuer à une œuvre sous la forme de 25 pages consécutives reproduites par photocopieur; un « catalogue-exposition » équivalent comprenant des textes de six critiques a été publié dans une édition de Studio International en 1970. Malgré le départ de Siegelaub du monde de l’art en 1972, qui est devenu un cliché biographique apparenté à l’abandon de l’art par Marcel Duchamp pour les échecs, ses entreprises ultérieures (qui comprennent une base de données de littérature sur les écrits marxistes et socialistes) restent philosophiquement affiliées au conceptualisme.Tout comme dans l’art conceptuel, les objets eux-mêmes ne représentent que rarement l’histoire entière, renvoyant à des actions qui les dépassent, les textiles et les livres de « The Stuff That Matters » parviennent à présenter des tranches indicielles – des aperçus poignants et abrégés – d’autres sociétés. Ces éléments se rassemblent pour former un enregistrement culturel collectif ou ce que le classiciste Charles Segal, à propos du mythe, décrit de manière mémorable comme un « mégatexte » cumulatif. » JAMES CAHILL 

* Sara Martinetti est la curatrice de l’exposition. https://www.dfk-paris.org/fr/person/sara-martinetti-2991.html
« chercheuse en anthropologie, histoire et théorie des arts. Sa thèse de doctorat, dirigée par Béatrice Fraenkel et soutenue en 2020 à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est intitulée I never write, I just do’. Pratiques de l’écrit et enjeux théoriques du travail de Seth Siegelaub dans l’art conceptuel, le militantisme et l’érudition. Autour du même complexe thématique, elle a conçu deux expositions accompagnées de catalogues, The Stuff That Matters. Textiles Collected by Seth Siegelaub for the CSROT (Raven Row, 2012) et Seth Siegelaub. Beyond Conceptual Art (Amsterdam, Stedelijk Museum, 2015-2016 ; Cologne, Walther König, 2015), et l’anthologie Seth Siegelaub. “Better Read Than Dead”, Writings and Interviews, 1964-2013 (Walther König, 2020). »

L’exposition Seth Siegelaub : Beyond Conceptual Art est le premier aperçu global de la vie polyvalente de Seth Siegelaub. Dans ce mini-documentaire, Leontine Coelewij, commissaire de l’exposition, nous propose une introduction à la vie de Seth Siegelaub en tant que conservateur, collectionneur, chercheur, publiciste et bibliographe. Jan Dibbets parle de Seth Siegelaub en tant que conservateur et pionnier dans le domaine de l’art conceptuel. Le professeur de communication internationale Cees Hamelink nous parle du travail de Seth en tant que chercheur politique et de son intérêt pour les médias de masse et la littérature de gauche sur la communication. L’une des convictions de Seth en tant que conservateur était que les expositions ne devaient pas seulement avoir lieu dans un musée, mais qu’elles pouvaient également être présentées sous forme de catalogues, de symposiums et d’affiches. Irma Boom, conceptrice du catalogue de l’exposition, décrit l’idée de Seth du livre comme une exposition. Et enfin, la compagne de Seth, Marja Bloem, parle de leur énorme collection de textiles non occidentaux tissés à la main.

de la porcelaine bleu et blanc

Des artefacts de la porcelaine chinoise bleu et blanc, ont participé des échanges commerciaux intenses entre la Chine, les pays d’Asie, du Moyen-Orient et de l’Europe, dès le 9e siècle. Ils se placent, parmi les « marchandises » vendues, échangées, au même titre que les métaux précieux, les bijoux, les épices, les textiles, les esclaves. Des esthétiques du bleu et blanc propres à des objets de vaisselle existent internationalement. L’arrivée de la porcelaine bleu et blanc chinoise va créer une coexistence de styles. Ce qui est prisé, c’est la qualité du blanc de la porcelaine chinoise. Quant à la qualité artistique des motifs peints au bleu de cobalt mais pas seulement, la Chine n’en est pas la dépositaire particulière, loin de là, elle préfère les blancs purs, et ce n’est qu’au fil des demandes particulières, au fil des années, faites par les pays étrangers aux artisans chinois, qu’elle le deviendra, reconnue internationalement, aux côtés de celle du Japon.

Bol, Irak, Bassorah, période abasside (750-1258). Faïence, décor peint à l’oxyde de cobalt. «L’apparition d’épaisses glaçures blanches opaques dans les premières céramiques produites dans la région de Bassorah peut refléter l’importation de vaisselle blanche de la dynastie Tang à cette époque. L’utilisation du bleu de cobalt sur ce bol pour définir le pourtour et le mot (ghibta) (bonheur) inscrit au centre dénote-t-il un partage esthétique entre les empires Tang et Abbassides? La question de savoir quelle culture a été la première à utiliser ce minerai reste controversée. Le cobalt se trouve à la fois dans le nord de l’Iran et dans la péninsule arabique.»

Assiette à bord festonné, dynastie Song (960-1127), porcelaine avec glaçure ivoire (Dingware). Destinée à la Cour, pour les cérémonies bouddhistes, elle a été faite d’après un modèle en argent.

Bouteille, Dynastie Yuan (1271-1378) (fin 13e siècle-début 14e) Qingbai ware. Porcelaine avec des décorations gravées sous glaçure céladon. Le lotus, motif récurrent en Chine, introduit avec le bouddhisme est symbole de pureté. L’imagerie peut être empruntée à l’Inde de l’est et au Tibet au 13e et 14e siècle.

Bouteille avec étang de lotus, Dynastie Yuan ( 1271-1378), milieu du 14e siècle). Porcelaine peinte avec bleu de cobalt sous une glaçure transparente (Jingdezhen), de même tradition que la précédente. «  Le changement vers la céramique bleue et blanc arrive pendant le 14e siècle, sous la dynastie mongole. La demande de porcelaines avec décor cobalt, est stimulée à la fois par le goût des Mongols, et la demande, dans les pays islamiques. Le bleu et blanc à la fin du 14e siècle est le type de céramique le plus demandé dans le pays et à l’étranger. Jingdezhen devient le centre de production principal jusqu’à ce que les Japonais commencent à en faire au début du 17e siècle.»

Bol avec de jeunes garçons dans un jardin, Dynastie Ming (1378-1644), période Jiajing (1522-1566). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente, Jingdezhen. Le thème est celui des défilés de jeunes étudiants.

Boîte avec les Immortels taoïstes, Dynastie Ming (1378-1644), période Jiajing (1522-1566). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente, Jingdezhen. Sorte de procession sur le couvercle de la boîte. Shoulao, le dieu de la longévité, et les huit immortels est un thème populaire dans l’art chinois. Chaque groupe est séparé par un rocher, un bosquet de bambou, une grotte qui conduit au royaume de l’immortalité. Une femme apparaît, He Xiangu, qui danse, associée aux femmes aux foyers. C’est une boîte rituelle.

Plat en forme du Mont Fuji, avec des daims et des cerfs, Dynastie Ming (1368-1644) période Tianqi (1621-1627). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente, Jingdezhen. « Les trois pointes arrondies du plat reprennent la forme du Mont Fuji, associées à un paysage de collines, des arbres en fleur printaniers. L’inscription mu soi yu ju, lu ma you you, (divaguant, vivant parmi les arbres et les rochers et errant avec des cerfs et des chevaux), fait référence à Mencius. Un motif de tissage de panier est peint sur les côtés du plat. »

Plat avec des oies et un étang de lotus, Dynastie Ming (1368-1644), période Wanli (1573-1620). Porcelaine peinte au cobalt sous glaçure transparente. « Deux oies sous des buissons de fleurs sont sur un promontoire au centre du plat. Huit grands et huit petits panneaux occupent l’aile du plat, qui est séparé de la scène intérieure par une bordure festonnée. Des pêches alternent avec des symboles qui font allusion au succès futur, tels que des feuilles et des fleurs attachées avec des rubans et des glands sur les plus grands panneaux, et des nœuds de bon augure sur les plus petits. Le relâchement dans le rendu de la peinture et l’organisation de la scène en un médaillon central entouré de panneaux rayonnants identifient ce plat comme de style kraak. » Cette porcelaine d’exportation, a pris le nom en néerlandais « caraak » (caraques) des vaisseaux portugais et espagnols qui furent les premiers à transporter ce type de porcelaines bleu et blanc vers l’Europe dès la seconde moitié du 16e siècle.

Assiette avec une dame à l’ombrelle, Dynastie Qing (1644-1911), Jingdezhen.
 « Bien que cette grande assiette ait été fabriquée et peinte en Chine, la charmante scène d’une femme regardant des oiseaux aquatiques a été conçue aux Pays Bas par Cornelis Pronk (1661-1759), peintre et dessinateur chargé en 1734 par la Dutch East India Company de créer quatre scènes pour des assiettes qui seraient produites en Chine pour être vendues en Europe. Le plat chinois suit de près la conception hollandaise.» On peut y voir l’annonce du style Transition.

Bouteille à anses, Florence, seconde moitié du XVIe siècle, porcelaine tendre, à l’imitation de la Chine.« C’est par le Moyen-Orient et la route des épices et de la soirie que les premières porcelaines chinoises bleu et blanc arrivent en Europe, via l’Italie. Le grand-duc de Toscane encourage les recherches d’un petit atelier qui produit quelques pièces destinées à des cadeaux diplomatiques. Dans cette production se faisait sentir l’influence des céramiques turques d’Iznik.»

Pot à pharmacie, Égypte ou Syrie, 14e siècle. Pâte siliceuse engobée, décor sous glaçure transparente. « Ce pot est un exemple de l’art sous la dynastie mamelouke, contemporain des premières importations de porcelaine chinoise bleu et blanc, que les potiers tentent d’imiter. L’inscription dit :  » Je suis libre dans mon éloignement et mes tourments; je ne mérite point de blâme; auprès de mes proches réside mon âme. » Une autre interprétation y voit une référence à l’impuissance, laissant penser que le pot était destiné à recevoir un remède contre ce mal. »

Pichet, Iznik ou Kütahya (Turquie), vers 1520, pâte siliceuse, engobe, décor peint sous glaçure transparente. « La Turquie ottomane dès le début du 16e siècle, produit une céramique raffinée, qui tente d’égaler les porcelaines chinoises. Son décor est proche d’une lampe de mosquée. Le décor est dessiné en réserve.  »

Bouteille à l’échanson, Iran, seconde moitié du 17e siècle, pâte siliceuse, décor peint sous glaçure transparente. « Sous les Safavides (1501-1736), certaines pièces de céramique tentent de rivaliser avec la porcelaine bleu et blanc chinoise. La pâte siliceuse est riche en fritte. Le trait du dessin est fait à l’oxyde de manganèse. Le style du personnage de saqui (échanson) s’inspire de l’art du miniaturiste Reza Abbasi (1565-1635). »

« À la suite des conquêtes portugaises de Goa et de Malacca en 1510 et 1511, les premières relations commerciales du Portugal avec la Chine sont établies. Les porcelaines prennent le chemin de Lisbonne. Source d’inspiration pour les faïenciers lisboètes, ces artefacts sont à l’origine d’un mélange des esthétiques dans la production de vaisselles ou d’azuelos. »

Documents rassemblés par L.T.

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Sources, trois ouvrages ci-dessous :

Denise Patry Leidy, Chinese Ceramics, The Metropolitan Museum of art, New York, 2015

Un firmament de porcelaines, De la Chine à l’Europe, Mnaag, Paris, 2019

Étienne Blondeau, Les routes bleues – Périples d’une couleur de la Chine à la Méditerranée, Musée national Adrien Dubouché – Limoges / Cité de la céramique – Sèvres et Limoges, Les Ardents Éditeurs, 2014, Limoges

motifs géométriques les plus anciens

MOTIFS GÉOMÉTRIQUES D’ORNEMENTATION AU MIDDLE STONE AGE* DE L’AFRIQUE DU SUD

* L’expression Middle Stone Age, en abrégé MSA, désigne un ensemble d’industries lithiques préhistoriques trouvées en Afrique australe et orientale, plus ou moins contemporaines des industries du Paléolithique moyen, vers 350 000 ans environ AP — avant le présent — et s’achève vers 45 000 ans AP identifiées en Afrique du Nord, en Europe et en Asie.

Sources : « An abstract drawing from the 73,000-year-old levels at Blombos Cave, South Africa Christopher S. Henshilwood, Francesco d’Errico, Karen L. van Niekerk, Laure Dayet, Alain Queffelec & Luca Pollarolo » publié dans la revue Nature.

 https://www.hominides.com/html/actualites/dessin-ocre-traces-73000-ans-blombos-1267.php

Le premier dessin au crayon d’ocre : 73 000 ans (Middle Stone Age)


Photo : D’Errico / Henshilwood / Nature.

« Un éclat de silicium présente des traits dessinés avec un crayon d’ocre. Ce petit tracé a été trouvé en 2015 dans la grotte de Blombos, Afrique du Sud. C’est un motif hachuré, composé de neuf fines lignes d’ocre dessinées à la surface d’un petit morceau de roche siliceuse. La pièce est donc au moins 30 000 ans plus vieille que les précédents dessins abstraits ou figuratifs connus auparavant. Elle a été retrouvée dans une strate de 73 000 ans BP dans laquelle les chercheurs extrayaient par ailleurs du matériel lithique. Le défi méthodologique majeur consistait à prouver que ces lignes avaient été délibérément dessinées par des humains. C’est pour cette raison que les chercheurs ont pris presque 3 ans entre la découverte du dessin (2015) et la publication (2018). Les équipes ont travaillé sur la composition des matériaux avec une analyse chimique des pigments. En utilisant des méthodes d’archéologie expérimentale, les chercheurs ont essayé de reproduire les mêmes lignes avec différentes techniques. Ils ont testé des fragments d’ocres différents, avec une pointe ou avec une arête, et ont également appliqué différentes dilutions aqueuses de poudre d’ocre. En utilisant des techniques d’analyse microscopique, chimique et tribologique (friction et usure), ils ont comparé leurs dessins à l’original. Leurs résultats confirment que les lignes ont été intentionnellement dessinées avec un outil ocre pointu sur une surface d’abord lissée par frottement. Ce motif constitue ainsi le premier dessin connu, qui rejoint la gravure sur bloc d’ocre déjà retrouvée à Blombos et datée de 75 000 ans. » La communication a été publiée dans la revue Naturepar une équipe internationale qui regroupe des chercheurs des unités de recherche PACEA (CNRS / Université de Bordeaux / Ministère de la Culture) et TRACES (CNRS / Université de Toulouse-Jean Jaurès / Ministère de la Culture).

La gravure sur bloc d’ocre déjà retrouvée à Blombos et datée de 75 000 ans 


Classes River, Bomblos 100-71 ka

Des signes gravés il y a 500 000 ans. Quelques lignes gravées sur un coquillage 


Photo : Wim Lustenhouwer, Vrije Universiteit

« En 2007, Stephen Munro était un étudiant diplômé en archéologie. Alors qu’il étudiait quelques coquilles de Java, en Indonésie, il a eu le choc de sa vie : il a constaté que l’une des coquilles avait un motif de lignes en zig-zag gravé à la surface. En utilisant la microscopie, l’archéologue Francesco d’Errico (Université de Bordeaux) a montré que les marques avaient été réalisées en une seule session à l’aide d’un outil tranchant. 

Les coquillages fossilisés se trouvaient dans une collection du musée depuis un certain temps. Ils provenaient du site de Trinil à Java en Indonésie et avaient été découverts par Eugène Dubois en 1891. L’équipe, composée de 21 chercheurs (Université libre d’Amsterdam), a analysé les coquilles et les sédiments associés. Le motif géométrique gravé sur l’une des coquilles était totalement inattendu. Il faut noter que pour faire ressortir les lignes gravées il faut que la lumière se présente sous un angle particulier. Les chercheurs ont daté les sédiments d’où ont été extraits les coquilles et ont estimé que leur âge se situe entre – 430 000 et – 540 000 années à l’aide de deux méthode de datation différentes (Argon et thermoluminescence).

Il y a 500 000 ans (datation du coquillage), Homo sapiens n’existait pas encore. En Indonésie, une espèce était présente, Homo Erectus. Cette espèce d’hominidé vivait depuis 1,9 millions d’années. Originaires d’Afrique, les Homo erectus se sont répandus vers la Géorgie, l’Inde, le Sri Lanka, la Chine et Java. On peut donc penser que cet Homo erectus à Java utilisait ces coquilles de moules d’eau douce comme outils il y a un demi-million d’années, et qu’il gravait parfois ces « outils » de motifs géométriques.  « Jusqu’à cette découverte, on supposait que des gravures comparables n’avaient été faites que par des hommes modernes (Homo sapiens) en Afrique, il y a environ 100.000 ans », explique l’auteur principal de l’étude, José Joordens (Faculté d’Archéologie à l’Université de Leiden).

http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature13962.html

Coquilles d’œuf d’autruche gravées

Une catégorie d’ornementation MSA se présente sous la forme de coquille d’œuf d’autruche incisée. Certains fragments incisés dans le MSA d’Apollo 11, Namibie, ont une coloration rouge (Wendt 1972 ; Vogelsang 1998 : 84). Les coquilles d’œufs d’autruche gravées de Howiesons Poort sont les plus connues, elles font partie de la collection abondante de Diepkloof, dans le Western Cape (Parkington et al. 2005 ; Texier et al. 2010, 2013).
Figure 3 : 1–6 : Les motifs en forme d’échelle sont les plus courants et constituent la plus ancienne des gravures en couches de Governor à Ester. D’autres comprennent des lignes profondément gravées, droites, sous-parallèles, une grille hachurée, des lignes courbes et sous-parallèles et un motif de courbure inversée. Le Howiesons Poort de Klipdrift, dans la région sud du Cap en Afrique du Sud, compte 95 morceaux de coquille d’œuf d’autruche gravés d’une variété de motifs géométriques (Henshilwood et al. 2014).
Figure 3 : 7-12 : Les dessins sont similaires à ceux de Diepkloof et comprennent des hachures croisées et des lignes sous-parallèles, mais excluent le motif de lignes d’intersection sous-parallèles. Un nouveau motif à Klipdrift comprend un motif hachuré en forme de losange différent de la grille hachurée à Diepkloof (Henshilwood et al. 2014).

 


Carte de l’Afrique du Sud montrant l’emplacement du complexe de la grotte Klipdrift et d’autres sites MSA. Henshilwood et al., 2014.

Documents rassemblés par L.T.