À propos

À propos de La Figure dans le paysage *

1.
La Figure dans le paysage

Figure-Landscape
L’intitulé du blog reprend le titre même d’une étude de John Dixon Hunt, The Figure in the Landscape: Poetry, Painting, and Gardening during the Eighteenth Century. L’image de la couverture du livre est une reproduction d’une gravure représentant une vue large du parc-jardin à l’anglaise de Nuneham Courtenay, (image) avec quelques personnages,

«figures designed just ‘to create a little business for the Eye to be drawn from the Trees in order to return to them with more glee’, p. 218.»
«Des figures conçues juste ‘pour créer une petite entreprise pour l’œil de s’éloigner des arbres afin d’y revenir avec plus de joie’. »

Ce que l’on retrouve aussi bien


dans le O Shan T’u Shuo, Mount Omei, Illustrated Guide, 1887-1891


que dans Le Vieux Pont, Hubert Robert, 1775, mais où les personnages renvoient à l’observation d’un objet architectural, livré à l’action entropique de la nature.

2.
Figure.
Ici, le terme Figure sera principalement pris dans son acception de «human figure», «forme humaine» :
«Figure. Du latin figura, apparenté à fingere, ‘former (que ce soit en réalité ou dans l’esprit)’ et effigies, ‘image, portrait’. Terme polysémique qui, dans le champ des arts visuels, renvoie à une forme soit géométrique, soit phénoménale, et par excellence à la forme humaine.» Dictionnaire d’esthétique et de philosophie de l’art. Jacques Morizot, Roger Pouivet. Armand Colin. Paris. 2007.

3.
Gardening.
Gardening est le terme du sous-titre de l’étude de John Dixon Hunt qui conduit les deux autres Poetry, Painting, [and Gardening] et résonne avec le mot Paysage du titre. Capability Brown [grand paysagiste anglais 1713-1783], écrit à Thomas Dyer que «the gardening should ‘supply’ all the elegance and all the comforts which Mankind wants in the Country and (I will add) if right, be exactly fit for the owner, the Poet and the Painter’, his design are dedicated completely to natural lines and rhytms —the curves of banks along water or the grass sweeping up to the very mansion.» p. 218
Le poète, le peintre, le propriétaire de la maison dans son parc, le promeneur s’arriment au gardening, la discipline principale. Artistes, écrivains et public réunis dans le plein air du jardin à l’anglaise en direct et dans le différé de l’œuvre picturale exposée ou de la lecture du poème.

4.
Plein air.
«Je reste en plein air à cause de l’animal, du minéral, du végétal qui sont en moi.» Henry David Thoreau, Journal.


Couple d’amoureux se promenant dans un chemin boisé, Thomas Gainsborough, vers 1780

5.

5.
Corpus d’étude.
Corpus centré sur la figure de l’artiste en action dans le paysage, et de leur interrelation, c’est ainsi que l’on revient à la problématique de la performance, en la reprenant à sa source même, l’item incontournable d’Allan Kaprow, The Legacy of Jakson Pollock, 1958.
«Son analyse souligne que les Drip Paintings, du fait de leur grand format accaparent tout l’espace de la salle où elles sont exposées. Environnementales, elles assaillent les spectateurs qui éprouvent alors le besoin de ‘s’identifier, de faire corps avec l’aventure dans son ensemble. Cette prise de conscience de la place et du rôle du spectateur/participant conduisit Kaprow à envisager de poursuivre l’aventure avec d’autres moyens :
‘Ainsi, Pollock, tel que je le vois, nous a laissés au point où nous devons commencer à nous préoccuper, sans nous laisser aveugler, de l’espace et des objets de notre vie quotidienne, de nos corps et de nos vêtements, de nos appartements, ou si besoin est, de toute l’étendue de la 42e rue’…» Denis Riout, article Happening, p. 545, Vocabulaire européen des philosophies.

On observera pour notre part la branche environnementale, au sens littéral, des artistes qui partent «agir» sur le terrain, draînant ou non des spectateurs participants, mais il y en a inévitablement, comme les amis du collectif Blast Theory à Londres (côté métropole), ou les gars du coin où vit et travaille Roman Signer (côté Saint Gall, dans la campagne suisse profonde). L’institution muséale reste le lieu d’une réception-action en temps réel pour Blast Theory, ou en différé selon plusieurs modalités chez Signer, comme pour les Land Artists.

5.1.

Day of the Figurines, pièce de media art interactif de Blast Theory fait écho, de par son titre même, à la tradition des figurines de porcelaine anglaises (les personnages bosquettisés), et des peintures conversation piece du 18e siècle, en zone urbaine certes, mais qui réitère ce désir d’aller dehors, hors du champ clos du bureau, du sweet home.

5.2.
Triptyque de Land artistes


Richard Long, l’inévitable Line made by Walking, England, 1967
«Mon premier travail fait par la marche, en 1967, était une ligne droite dans un pré, qui était aussi mon propre chemin, allant ‘nulle part’.»

Carl Andre, 10 steel row, tel que présenté au Mamco de Genève, pièce éminemment participative installée dès l’entrée de l’Appartement, «reconstitution fidèle (mobilier, décor, œuvres d’art) de celui qu’a occupé et aménagé Ghislain Mollet-Viéville au 26 de la rue Beaubourg à Paris, de 1975 à 1991.»
«Datée de 1967, [dit G.M.-V.], cette œuvre vient à la suite d’œuvres composées de briques alignées directement sur le plancher. Pour la première fois, ici, Carl Andre utilise des plaques métalliques de manière à réaliser des pièces où l’aspect plat du matériau est en parfaite adéquation avec la planéité du sol.En horizontalisant sa sculpture, l’artiste la définit ainsi comme un lieu que le spectateur est d’ailleurs invité à parcourir en marchant dessus (c’est un des points de vue d’expérimentation de l’œuvre […]). Cette œuvre illustre parfaitement le propos de l’artiste
All I’m doing is putting Brancusi’s Endless column on the ground instead of in the sky…’
je ne fais que poser la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol, au lieu de la dresser vers le ciel…

Carl Andre a l’habitude de dire que «l’idéal [pour lui] est une route composée d’une simple juxtaposition d’unités standard de plaques industrielles posées au sol les unes à la suite des autres sans aucune hiérarchie de place ni de volume et où n’importe quel module peut être remplacé par un autre… […] Il y a un principe quasi mécanique de mon travail qui veut que les unités de base soient d’un format que je puisse manipuler moi-même. C’est une des raisons pour lesquelles mes sculptures sont composées d’éléments détachés. Si elles étaient faites d’une seule pièce, j’aurais besoin de toute une machinerie pour les déplacer. J’ajoute que l’acte physique même de la manipulation fait partie, pour moi du plaisir de faire une sculpture…’ […] Si le matériau est utilisé usiné dans une forme la plus neutre possible c’est parce que l’artiste respecte la notion de masse, de pesanteur, de densité, toutes des caractéristiques que le spectateur doit pouvoir ressentir naturellement devant ses œuvres. L’utilisation du métal réduite à des plaques de cheminement, a chez Andre valeur de contestation de l’ère industrielle en déclin.»


Freaks Free Architects, Topo#1, 2012
Par un phénomène assimilable au jeté du mètre-étalon de Duchamp, les artistes du collection Freaks Free Architects retrouvent la ligne courbe d’un chemin, en double anneau concentrique, car il suit les courbes topologiques de niveau du terrain, tracé d’un cheminement dans l’herbe puis mise en place de lames de bois de parquet récupérées dans le château de Chamarande qui refait ses sols. Même problématique que chez Long et Andre et même mise en œuvre sur le terrain qui est le parc d’un château, morceau de landscape domestiqué à l’extrême. Cette pièce a un effet feed-back dérisoire et convivial à la fois sur les parcs à l’anglaise et l’art conceptuel.

5.3.
Les actions-expériences de Roman Signer
«lâché dans la Suisse la plus profonde [son lieu d’habitation] comme aux confins de l’Islande, en passant par les ex-démocraties populaires et le Stromboli» relatés, en collection de courts plans-séquences autonomes, dans le film Signers Koffer de Peter Liechti et qui est proprement le mode d’exposition et d’expérience de l’œuvre par le public de ces artefacts virtuels, sculptures temporelles. Une mise en œuvre «intelligente et spirituelle»* du concept «expérience et nature»* de John Dewey, enfin! 
*
«L’effet esthétique, était toujours considéré non comme le but de l’opération, mais comme un effet secondaire qui se produisait quand la mise en œuvre était intelligente et spirituelle. Tous les exercices étaient accompagnés d’explications rationnelles…» Albert Flocon à propos de l’enseignement d’Albers au Bauhaus.»

5.4.
Les architectes fabricants de paysages. Le rapport ville-nature
L’expérience du parc architectural de La Weißenhofsiedlung à Stuttgart, en 1927 dans le cadre de l’exposition « Die Wohnung » (l’appartement). S’emparant d’une colline vierge, le parc urbain donne libre cours à l’inspiration des architectes choisis sans préalable urbanistique. C’est une exposition de logements sociaux dans le paysage et qui construit un paysage. Mies van der Rohe dirige. Le Corbusier, Oud, Mies van der Hoe, Bruno et Max Taut sont invités. Une action dans et avec le paysage qui perdure en artefacts, rescapés des bombardements alliés de la la deuxième guerre (un air d’Hubert Robert).
 La cabane de Le Corbusier, comme ultime artefact de l’architecte (image). Ce n’est pas Walden, le quatrième mur mitoyen avec un restaurant populaire de bord de mer a une porte qui permet à Le Corbusier et sa femme de prendre leurs repas chez cet ami. La cabane et le restaurant sont sur une étroite bande de terre entre la ligne de chemin de fer juste au-dessus, et la mer juste en dessous. Une manière inédite de retour ultime à la nature, puisque Le Corbusier meurt là, sur la plage de cailloux, à la sortie d’une baignade quotidienne le 27 août 1965. 
En contrepoint de l’amour de la ligne droite, un parti-pris pour la ligne courbe associé à une green attitude, cela donne La citadelle verte de Magdebourg de Hunderwasser (image) construite après sa mort et inaugurée en 2005.
Yves Lion, représentant de la France lors de la 13e biennale d’architecture de Venise, 29 août-25 novembre 2012. Le thème général est le terme Common Ground qui a une existence en Angleterre, mais pas en France. Le projet d’Yves Lion est nommé Grands et ensemble. «Le défi consiste à renouveler le territoire Dorsale Est (départements de la Seine-Saint-Denis, Seine et Marne et Val d’Oise) en réinventant le rapport ville-nature et en créant de nouveaux logements et équipements. Il affirme : «aucun territoire n’est désespéré», il doit tirer parti de la modernité des questions qu’il pose et non pas tenter de rattraper la ville traditionnelle. […] C’est un lieu à la lisière de l’agriculture, où le rapport ville-nature peut être réinventé, où la discipline architecturale pourrait se confronter à l’ordinaire urbain, un ordinaire qui ne serait pas fait d’exceptions mais d’un continuum d’actions de transformations.» Et encore, anarchiste et décalée: La ligne courbe associée à une green attitude : La citadelle verte de Hundertwasser à Magdebourg.

5.5.
La littérature.
Deux écrivains promeneurs solitaires.
 Rousseau, Walser. L’un comme l’autre, comme Le Corbusier, meurent en promenade pour Walser, qui s’éloigne pour une ultime marche dans la neige et s’y «noie» (image). Pour Rousseau, au retour d’une promenade dans son dernier refuge dans le Parc d’Ermenonville.
 L’un comme l‘autre utilisent la promenade à des fins d’écriture : Walser fait des récits de type entomologique des spécimens humaines qu’il rencontre. 
Rousseau choisit des sentiers de nature dans Paris, et la solitude, à des fins d’écriture philosophique, sur des dos de cartes à jouer : Ebauches des Rêveries du promeneur solitaire
 Jean-Jacques Rousseau. «Vingt sept cartes à jouer, sur lesquelles Rousseau avait pris des notes, furent trouvées après sa mort, dans ses papiers, par le marquis de Girardin qui les envoya ou les remit à Du Peyrou. Elles sont conservées à la Bibliothèque de Neuchâtel. Ces notes sont écrites à l’encre ou au crayon, ou au crayon repassé à l’encre; elles sont parfois d’un déchiffrement malaisé, les traits de crayon étant devenus de plus en plus pâles; on peut supposer qu’elles ont été prises par Rousseau au cours de ses promenades.» Leur texte figure dans le Tome 1 de la Pléiade des écrits autobiographiques de Jean-Jacques Rousseau.
image. Carte 24. p. 1171 (recto et verso) 
«Qu’on est puissant, qu’on est fort quand on n’espére plus rien des hommes. Je ris de la folle ineptie des méchans quand je songe que trente ans de soins, de travaux, de soucis, de peines ne leur ont servi qu’à me mettre pleinement au dessus d’eux.»

5.6.
Le jardin pictural et le vêtement au corps.
Passer du landscape au pur jardin pictural de Roberto Burle-Marx, de la cabane du Corbu aux vêtements, signe de notre condition immanente sociale, de Lygia Clark, artiste de la performance dans sa quintessence.
Lygia Clark fut l’élève de Roberto Burle-Marx : «elle a développé des recherches fondamentales sur la dimension corporelle et thérapeutique de l’expérience esthétique, conçue comme processus créatif impliquant totalement le spectateur, processus identifié à l’œuvre et à la vie elle-même.»

6.
Conclusion
Mais plus tristement et plus pragmatiquement, La revue scientifique Nature nous révèle que NOUS sommes la nature avec un grand N. 
Selon Tony Barnosky, paléo-écologiste, qui a coordonné les travaux de Nature :
«Si l’humanité continue comme elle l’a toujours fait, sans réaliser qu’elle est devenue une puissance géologique, au même titre qu’un volcan ou une météorite, elle va au-devant de très mauvaises surprises, comme des déstabilisations économiques et politiques qui dégraderont sensiblement notre qualité de vie. Toutefois, les humains sont assez intelligents, et si nous multiplions vite des actions nous pourrions peut-être inverser le cours des choses.»

Cette nouvelle donnée anthropologique devrait nous orienter vers un green art politique, comme peut-être, mais on peut en douter, ce projet
Alternative eating du Grizedale Arts** / Yangjiang Group, pour la Frieze London 2012, 11 au 14 octobre 2012, Grizedale Arts and Frieze Foundation host a programme of food-related performance, discussion, representation and retail. Including new commissions by artists Alistair Frost, juneau/projects, Nicolas Party, William Pope.L and Bedwyr Williams, talks by food historians and specialists, and unique dining opportunities, the project is enclosed in a bespoke structure built by Yangjiang Group. Modelled as a cross between a Roman amphitheatre and a cricket pavilion, it allows viewers to watch events unfold from the ground or a platform above. Around the circumference of the structure, artists, community groups and eccentrics present stalls selling home produce and proposing ideas for alternative eating.

*en forme de liste de mots-clés et de corpus d’étude, pour lancer la problématique.

** Deux artistes remarquables Laure Prouvost (Turner Price 2014) et Adam Chodzko, ont travaillé sur l’exposition Schwitters in Britain, avec cet organisme. On y découvre la Merz Barn.
http://www.grizedale.org/projects/schwitters-in-britain.1
http://www.tate.org.uk/whats-on/tate-britain/music-and-live-performance/adam-chodzko-ooze
http://www.littoral.org.uk/merzbarn.html

Documents de référence


Jean-Jacques Rousseau. Julie ou La Nouvelle Héloïse. Lettres de deux amants habitants d’une petite ville des Alpes. 1761
Quatrième partie Lettre XI de Saint-Preux à Milord Edouard [Le Jardin de Julie]


Mondrian, «Le Home, la rue, la Cité», paru dans le numéro 1 de la revue i10 (1927)