Une matinée, entourée par un bruit assez violent, je sors pour prendre les affaires que j’avais oubliées dans la voiture. Les branches au sol, il y avait pas mal de volume. L’arbre est grand et fort. Tu ne peux pas l’arracher. Tu ne peux pas le couper d’un coup. Tu n’es pas assez fort pour le faire. Tu le coupes petit à petit. Tu te dépêches parce que tu n’entends rien à part le bruit que tu crées. Tu te dépêches parce que tu sens qu’il t’accepte. L’arbre ne dit rien de toute façon. C’est la raison pour laquelle tu ne veux pas te trainer sur ses branches. Tu te demandes si l’on se rappelle sa présence. Peut-être oui, peut-être non. L’arbre ne dit rien de toute façon. Tu te rappelleras de lui? Oui, par ce bruit, la friction, la vibration, l’écrasement, la disparition, par cette mémoire sonore.
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Dans la croyance shintô, apparue au VIIIe siècle, la notion « ujigami » nous intéresserait. À l’origine, « ujigami » – « uji » (le clan, le nom de famille) et « gami » (kami, dieu) – signifient les esprits des ancêtres qui descendent d’un clan. Ma famille venant du Sud du Japon (Préfecture de Kagoshima, Kyushu), s’est installée à Kotoni ensuite à Shinkotoni, comme une des premières troupes de « Tondenhei » (colonie de peuplement militaire, créée par le nouveau Gouvernement du Japon après la Restauration de Meiji). Ces troupes étaient envoyées pour le développement des défenses à Hokkaido face aux pays étrangers notamment à l’Empire russe. Depuis 1874, les « Tondenhei » ont été successivement envoyés pour défendre le pays contre les ennemis. Ma famille « okubo », lorsqu’elle vint à Hokkaido, apporta un plant, qui a fini sa vie plus de 120 ans plus tard dans un terrain « étranger ». L’ujigami de ma famille était celui-ci. Je me rappelle que lorsque j’étais enfant ma tante m’a demandé de lui offrir du riz et de l’eau. Cet arbre se situait derrière de la maison actuelle de mes parents. Je me rappelle également du moment où j’ai appris sa disparition. Je pensais à la famille de moineaux qui était nourrie par du riz offert. C’était un automne où j’étais lycéenne.
Le nom peut être quelque chose à entendre, à voir et à donner le sens à la vie d’une personne qui le possède. La figure d’un nom est donc l’entité auditive, visuelle et significative. Parlons des exemples concrets. Mon nom apparait sur la carte, le passe qui me permet d’entrer dans Grand Palais en tant que musicien. (J’y ai joué dans un concert lors d’un salon professionnel.) Le nom, comme on le considère en général, est un « signe officiel » qui identifie une personne. Le nom devra être marqué correctement par une seule façon comme il est « enregistré » par le collectif social. Toutefois, heureusement (pour moi), il reste « figuratif ». Il est toujours culturel, répétitif et banal (moins au Japon qu’à l’Occident, il me semble), sémiotique et vague. Mon nom est 大久保美紀, il est enregistré comme cela. Selon les alphabets latins, ce nom devrait marquée comme « Miki Okubo », cette écriture se trouve dans mon passeport, dans tous mes papiers que j’ai fait dans les pays où l’alphabet latin est utilisé comme une des langues « officielles ». Toutefois, sémantiquement ce n’est pas du tout la même nom. L’écriture « 大久保美紀 » possède une/des signification(s) compréhensibles mais pas « Miki Okubo », alors c’est phonétique. Ce passe me marquant Miky Okubo n’est alors pour moi pas faux. Je n’ignore ici la différence sonore entre y et i, bien entendu, ce n’est pas la même chose, mais c’est pour dire que pour moi soit Miky Okubo, Miki, Mickey, Mikki… il fonctionne en tant qu’un son pour m’appeler et c’est ce qui est d’essentiel dans une condition où ce qui est figuré ne possède plus d’un sens mais qui est exactement « phonétique » bien qu’il porte une importance comme l’un des moyens d’identifications dans notre société.
Tranquille, sous le ciel dégagé, avec peu de monde dans les rues, pas couverte, juste les gants bien chauds, en baskets vert et noir, je cours pour mettre le rythme de ma respiration en ordre. La note : une blanche pour respirer suffisamment, deux noires pour expirer rapidement (la mesure première), deux noires pour respirer et expirer. Pas très fort mais sans s’arrêter. Pas trop profondément mais en envoyant l’oxygène à toutes les cellules musculaires. On peut essayer. Le cœur bat, le poumon se remplit, le muscle s’étire et se contracte. Je ne vois pas le paysage du soleil du matin. Les lunettes de soleil ne vont pas bien au mouvement de jogging bien que certains les mettent trop bien au niveau de leur look. Je n’aimerais pas. J’aime transpirer dans le froid. J’aime quand je me déshabille de mes gants, de mon blouson, de mon écharpe dans la rue en regardant des chiens qui ont l’air gelé. J’aime sentir mon métabolisme quand je me sens bien comme quand je ne me sens pas forcément bien.
Depuis longtemps, je prends beaucoup de photos d’arbres, de plantes, de paysages, peut-être moins de portraits, mais beaucoup d’images architecturales et urbaines aussi. Ce qui m’attire souvent, c’est leur couleur. Leur figure bien sûr, sinon c’est la composition intéressante et distanciée dans le cadre que j’imagine en avance de la prise des images. À propos de la couleur et de la figure, mon intérêt se situe à leur nature non-universelle parmi les êtres vivants : chez des différents vivants, la perception des couleurs et des figures peut être différente. Ce que je trouve beau, comme couleur ou composition n’est pas valable, c’est effrayant. Ce qu’un être humain décrit, écrit, apprécie, admire, ce qui le fascine, le frappe, l’impressionne, le fait défaillir, n’est peut-être pas forcément significatif pour les autres. Cette sensation de « non-existence de l’absolu » est forte car on peut se sentir être au monde sans le sol où s’appuyer, on peut se retrouver dans une situation complètement en suspens. C’est aussi une opportunité de pouvoir imaginer différentes perceptions. Cela nous permet d’échapper à notre cellule saisissable, agréable, rassurante mais déjà éclairée et reconnue.
Une image floue, prise dans un après-midi, froid et nuageux, pression assez basse, dans un quartier bourgeois. La tenue des deux femmes a attiré mon attention. Habillées en plein de couleurs, en plein de matières différentes : cuir, laine, polyester, fourrure, feutre, et d’autres peut-être. Les cheveux teints bizarrement. Des lunettes de marque certainement, mais je ne suis pas capable de dire de quelles marques elles étaient, en tout cas des lunettes très stylées, esthétiques ou alors originales. Ce genre de femmes qui marchent assez vite, caquettent entre elles, savent que les gens dans la rue les regardent, regards curieux, regards moqueurs, regards étranges. Les femmes s’habillant de couleurs vives dans un paysage urbain, avec plein de matières différentes, souvent plus vieilles que leur silhouette de dos peut le suggérer, semblent peu naturelles. Pourtant les hommes s’habillant en couleurs vives à la mode africaine ou dans un style bien articulé, apparaissent juste « biens » et « beaux ». Dans la nature, ce sont des mâles qui s’habillent de manière voyante pour leur appel à but biologique, mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle ces femmes me semblaient étranges. C’est le paysage urbain qui détourne la signification des figures. Le paysage est puissant face à tout ce qui est éphémère, car des êtres éphémères comme nous n’arriveront jamais à sentir le temps qui passe comme un paysage qui lui vit dans son temps long.
Faire de la route, surtout faire beaucoup de route c’est un acte non-écologiste. On en parle : trop de pollution, trop de conducteurs qui prennent leur voiture seuls, il faut faire du covoiturage, il faut prendre une voiture électrique, il faut voyager en train… Faire la route, surtout faire beaucoup de route, ce n’est pas un acte raisonnable. On part en vacances assez courtes, on conduit toute la journée pour arriver dans une ville après des heures de route, pour repartir ensuite quelques heures ou quelques jours plus tard. Si je parle d’histoires personnelles, je fais beaucoup de route, non seulement pour les vacances, mais aussi dans la vie quotidienne, un peu depuis toujours. La voiture est un deuxième appartement en quelque sorte. On prend beaucoup de risques, on perd beaucoup de temps dans les embouteillages. C’est un choix de vie, un choix temporaire, même hasardeux. Seules des vues marquantes à travers le pare-brise représentent comme une récompense.
Les toiles d’araignée ornées de la rosée du matin, la beauté éphémère mais absolue. On essaie de la décrire: comme des perles, des larmes, des bijoux, d’une manière poétique. On essaie de la capturer dans le cadre photographique: nettement, minutieusement, microscopiquement, sur un mode expressionniste. Quand on pense à l’art, tout en essayant de faire un acte artistique ou d’attendre une conséquence artistique, on est artificiel, on ne fera pas cette toile magnifiquement ornée, mais on la décalera gravement du départ. La beauté de la nature qui apparaît sous nos yeux, par n’importe quels organes sensoriels, n’est pas censée être « la beauté » considérée artistiquement et artificiellement. Elle est là pour la survie, pour la fonction, pour la nécessité, pour la vie. Une histoire sur les toiles d’araignée ornées de la rosée du matin que je trouve toutes belles.
« Le dessin parfait ». Un dessin peut-il être « parfait »? De quel point de vue? Qui juge? À quel moment est-il achevé en tant qu’œuvre? L’être humain dessine. Les animaux dessinent aussi. La nature est un grand dessinateur. Devant elle, que dessinons-nous? Comment? Pourquoi? Si la nature réalise les meilleures peintures tout avant que les êtres humains apprennent à dessiner et à peindre. La recherche de l’objectif de l’art. Non une consolation de l’esprit, non un moyen juste pour se détendre, non une imitation de la nature qui sait très bien nous montrer toute la forme possible. Y-a-il encore des choses à faire? Nous poserons toutes ces questions. Alors, nous ne pourrions passer la vie sans dessiner, sans créer, sans peindre, sans chanter et sans écrire? Non. Voilà. Les dessins « parfaits » nous hallucinent, nous fascinent et nous découragent. Toutefois nous n’avons qu’un seul choix devant toutes ces questions: nous faisons cela en tant que la nature. Bien sûr.
Une forme ou un grain. Une forme décomposable ou des formes décomposées. L’ensemble des formes décomposables ou non-décomposables. La société parle de la mort et de la vie. La science en parle aussi mais d’une autre façon. L’art et la littérature en parlent, absolument et même toujours. Dans un monde sous vision soit micro soit macro, elles se mêlent d’une manière précaire mais parfaite. Soit dans une dimension soit spatiale soit temporelle ou même dans les deux: l’espace-temps, je ne vois que le paysage comme ensemble de formes décomposables et décomposées, et certains éléments qui restent non-décomposables. Sans avoir peur d’être mal comprise, en effet je ne distingue guère la mort et la vie, mais plutôt je les vois comme une seule image multicolore dans laquelle chacun de nous est un grain visible/invisible constituant ce paysage.