Dans le Libé du jour, le retour de Marcela, la flamboyante, enfin:
« Etes-vous bobo ? Je parie que oui. Vous et vos amis et les amis de vos amis. Et sans doute vos ennemis sont eux aussi des bobos ou presque. Nous constituons une société dans la société.
Nous sommes de plus en plus nombreux à appartenir à cette minorité silencieuse aussi bien en France que dans les autres sociétés démocratiques. Et même si vous n’y avez jamais réfléchi vraiment, vous êtes comme persuadés que l’avenir sera bobo. Or, vous ignorez presque tout de ce groupe auquel vous appartenez.
Pour faire la lumière sur ce mystère, Laure Watrin et Thomas Legrand ont écrit la République bobo (Stock). Ce petit livre a l’air d’un fatras d’informations mal digérées, d’un ramassis de descriptions sans colonne vertébrale, comme si les auteurs avaient empilé des idées et des phrases sur un lit en se disant qu’ils allaient les ranger un jour. Néanmoins, dès qu’on met son nez dans ce chaos, on comprend à quel point ce livre était nécessaire. Plus encore. Qu’on l’attendait tel qu’il est, car il est construit, écrit, parfumé et assaisonné de la manière la plus bobo qui soit. Loin d’induire le lecteur d’une manière autoritaire à penser d’une certaine façon, ce livre fournit des outils pour que chaque bobo se fasse une idée à propos de sa condition.
Personnellement, j’ai découvert qu’être bobo signifie être de gauche tout en étant décrié et méprisé par les partis dits de gauche. Ces derniers sont trop autoritaires, nationalistes et ringards pour représenter la population bobo qui, elle, n’aime ni la violence de l’Etat, ni la xénophobie, ni les théories des révolutions violentes. Bref, cette gauche désuète est trop proche des valeurs de la droite et de l’extrême droite aux yeux des bobos qui, eux, ont définitivement tourné le dos à la France des années 30.
Et cette coupure, cette révolte, les bobos ne l’expriment pas sous forme de manifestes, de théories politiques alternatives, de déclarations des droits, de manifestations ou de grèves mais dans leur manière de vivre. Cela concerne aussi bien leurs façons de s’habiller, de consommer, de choisir un quartier, de décorer un appartement, de manger, de partir en vacances, de cohabiter, d’être homme et d’être femme, de communiquer avec les autres, de percevoir le proche et le lointain, l’humain et l’animal, de concevoir le sens même de l’existence.
C’est ainsi que le bobo fait sa révolution tranquille, sa révolution sans le savoir. De fait, les goûts, les pratiques, les croyances du bobo deviennent de plus en plus hégémoniques. Il suffit de regarder les dix dernières années pour comprendre comment certaines valeurs ont été intégrées par la majorité de la population et des partis politiques.
C’est pourquoi en dépit de sa gentillesse, de son ouverture et de sa non-violence, le bobo produit tant de haine chez les gardiens de l’ordre ancien. Ces derniers voient bien que le bobo est très fort. Et ils savent aussi que c’est par ce pouvoir de produire des valeurs culturelles hégémoniques qu’il finira par mettre en échec la gauche officielle mais aussi la droite, obligeant l’une et l’autre à repenser la politique. Dans quelques années, il n’y aura que l’extrême droite qui restera imperméable aux valeurs bobos avant d’être définitivement vaincue par elles.
Si le bobo est persécuté, c’est parce qu’il est le premier homme d’un nouveau stade de la démocratie permettant de s’approcher un peu plus de l’idéal inatteignable de liberté et d’égalité.
Le bobo prendra ainsi la place du citoyen universel, accaparée auparavant par le bourgeois au début du XIXe siècle à une époque où les démocraties étaient inégalitaires, autoritaires et violentes. Un jour peut-être, il y aura fusion entre la notion d’humain et de bobo, les deux mots devenant synonymes. Et la France sera encore une fois pionnière. On dira qu’ici on ne peut pas faire ceci ou cela parce qu’on n’est pas n’importe où, mais dans le pays des droits des bobos. »