Marcela Iacub, un couple seul au monde. Marc Augé, mariage et bouffonnerie.

Trop forte, Marcela. Foin donc, par effet boule de neige, (de saison), de la comédie de remariage selon Stanley Cavell (in A la recherche du bonheur: Hollywood et la comédie de remariage). Tant pis pour les couples hollywoodiens mythiques encore jeunes voire vieillissants de New-York Miami ou de Adam’s Rib. Il en est question dans L’ordinaire et le mariage, thème d’une émission de FC du 24 novembre 2011, ou à écouter ici
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Marcela Iacub. Un couple seul au monde *

«S’il y a bien un phénomène étonnant dans les sociétés contemporaines, c’est celui de la survie du couple. Non pas du couple rigide et stable d’autrefois, certes, mais d’un autre, souple et précaire, fondé en principe sur le désir chaque jour renouvelé par les partenaires d’être ensemble. On dira que cette différence est si importante qu’entre les couples actuels et ceux de nos arrière-grands-parents, le seul point commun est celui des mots. Or, pour faire une telle affirmation, on doit présupposer que cette institution est une donnée immuable, qu’elle est le seul cadre susceptible d’organiser la vie privée. Tandis que si nous étions prêts à relativiser cette donnée, nous nous apercevrions de l’extraordinaire continuité du couple et notamment de la transformation des contraintes juridiques anciennes en des désirs et des règles que les partenaires se donnent aujourd’hui «librement».
En effet, la promotion de la volonté et des désirs des individus pour organiser la vie privée qui a accompagné la révolution des mœurs des années 70 aurait pu donner lieu à des formes multiples d’alliances, parmi lesquelles le couple d’aujourd’hui ne serait qu’une possibilité parmi d’autres et favoriser l’émergence d’émotions, d’attachements, de désirs et de plaisirs nouveaux et inconnus des générations qui nous ont précédés. Le despotisme du «deux» aurait pu s’assouplir et s’enrichir grâce au fleurissement d’associations à plusieurs, fondées sur des accords de solidarité économique et personnelle individualisés. Et il aurait pu en être de même lors de la venue au monde des enfants, élevés alors dans des cadres plus collectifs, sans être pour autant étatiques, qui leur auraient donné plus de chances de s’épanouir que les structures de couples fermés d’aujourd’hui.
Pourtant, non seulement cette idée n’a été revendiquée par aucun mouvement politique important, mais surtout elle a été éliminée comme possibilité sociale par le droit lui-même : ce type d’accords est soit illicite, soit dépourvu de valeur juridique. Qui plus est, les groupes comme les homosexuels, qui avaient construit jadis des formes de vie multiples, se sont empressés de rentrer eux aussi dans le moule du couple.
D’un point de vue psychique et social, ce modèle semble à tel point imprégner les représentations et les idées que l’on se fait de la normalité et du bonheur individuels, que l’on ose très rarement se demander si les frustrations et les impossibilités que l’on peut ressentir à son endroit ne sont pas liées au monopole tyrannique de cette institution précaire et artificielle comme toutes les constructions historiques. Non pas dans le sens où elle serait mauvaise en elle-même, mais dans celui qu’elle est censée convenir à tous en dépit de la variété de nos désirs, de nos passions et de nos aspirations personnelles.
Cette emprise monopolistique du couple sur d’autres formes possibles d’association fait que la seule alternative pour ceux qui n’arrivent pas à s’y adapter est la solitude. La question que l’on peut se poser est de savoir comment nos sociétés se débrouillent pour contenir l’imagination sociale, que les frustrations savent pourtant si bien produire, afin que ce monopole ne soit pas mis en cause. Quels sont les mécanismes dont elles se servent pour déclencher notre adhésion au couple en dépit de tout le malheur privé qu’il suscite ? On pourrait penser que l’un des principaux ressorts de l’anéantissement de notre imagination révolutionnaire nous vient du cinéma populaire et notamment *des comédies sentimentales dont nos contemporains sont si friands. Non pas que les autres formes de propagande pro-couple ne soient pas, elles aussi, puissantes.
Mais c’est sans doute dans ces comédies que le public transforme de la manière la plus efficace la contrainte du couple en désir personnel et universel grâce à son identification avec la beauté ou la sympathie des personnages aux prises avec une histoire étonnante qui leur arrache des rires et des larmes.
Un exemple paradigmatique des fonctions idéologiques de ce type de films est L’amour dure trois ans, de Frédéric Beigbeder. Marc, le personnage principal, doute de la capacité du couple à faire durer l’amour à la suite d’un divorce douloureux, et il écrit un ouvrage pour livrer au public sa théorie désenchantée. Mais voici qu’entre-temps, il rencontre la ravissante Alice et qu’il comprend que ce n’était pas le couple qui lui posait, en tant que tel, des problèmes. En vérité, il n’avait pas trouvé la bonne personne.
Ainsi, au lieu de souligner les misères du couple contemporain en vue de nous donner l’énergie ou les outils pour changer nos vies et le monde, ce film, fidèle à son genre, nous pousse à les accepter et à attendre que le bonheur promis arrive un jour grâce à une rencontre miraculeuse, tout comme les pauvres espèrent devenir riches en achetant le bon numéro du loto. Pourtant dans une société organisée autour de l’intérêt du plus grand nombre, le bonheur privé devrait être aussi accessible à chacun, au même titre que le toit, la nourriture et les soins. Et comme toutes les nécessités vitales, il ne devrait jamais être suspendu à cette forme de mort à crédit qu’est l’espérance

* Marc Augé. Mariage et bouffonnerie in Libération, jeudi 23 février 2012

Dans la bouche du candidat sortant, les valeurs et la devise du régime de Vichy – Travail, Famille, Patrie – se substituent tout naturellement à celles de la République. Le candidat sortant avait abondamment parlé du travail comme valeur essentielle. Dans son discours de Marseille, il a chanté la France sur tous les tons. Mais a-t-on suffisamment prêté attention au passage qu’il y a consacré au volet central du triptyque vichyssois ? Je le cite : «La famille, le mariage restent des repères, restent des références profondément ancrées dans notre conscience collective, et qui font partie de notre identité. Nous ne voulons pas que l’on sacrifie notre identité à la mode du moment.» Ce passage, martelé avec force, est un véritable morceau d’anthologie qui appelle au moins trois remarques.

1- Sous l’apparence de l’unanimité fusionnelle et du rassemblement («notre conscience collective», «notre identité»), c’est un langage qui exclut et stigmatise.

2- Ceux qu’il stigmatise sont ceux qui sacrifient notre identité «à la mode du moment». Si ces mots ont un sens, ils s’appliquent bien évidemment à tous ceux qui ne se marient pas : aux célibataires, aux pacsés, aux partisans de l’union libre et aux homosexuels. «Nous» voulons une France identitaire et mariée. L’intrusion dans la vie privée, le langage des valeurs appliqué aux rapports entre les sexes et aux formes qu’ils devraient prendre sont toujours la marque du totalitarisme, aujourd’hui comme hier. A quand un référendum sur le mariage obligatoire ?

3- Le propos du candidat sortant, littéralement réactionnaire, devrait donc, si on le prenait au sérieux, réveiller le souvenir d’une des périodes les plus nauséabondes de notre histoire. Il se concevrait, à la rigueur, dans la bouche d’un traditionaliste convaincu, nostalgique d’une morale pétainiste, chef de famille et monogame invétéré, d’un personnage déplaisant, certes, mais cohérent. Le candidat sortant est loin de présenter ce profil. A la suite d’un feuilleton sentimental complaisamment évoqué dans les médias et la presse people, il forme avec sa nouvelle femme un couple au passé tumultueux et ostensiblement libéré des préjugés anciens, c’est le moins qu’on puisse dire, un couple «à la mode», justement, et d’autant plus à la mode qu’il appartient au monde médiatisé de l’oligarchie consumériste.

Autrement dit, cet appel à la «conscience collective», à la famille et au mariage, est un mensonge et une bouffonnerie. Le candidat veut-il inviter tel ou tel de ses concurrents à passer par la mairie, voire par l’église, pour régulariser la situation de son couple ? Etrange préoccupation ! Veut-il caricaturer la France des «élites» en laissant entendre qu’elles sont en proie à l’immoralité et trahissent les vraies valeurs de la France ? Etrange et dangereuse tartufferie.

En vérité, le candidat sortant est nu ; il ne sait plus quel personnage jouer, quel costume revêtir ; sa garde-robe est vide ; et sa détresse est perceptible jusque dans les égarements des plumes qui écrivent les mots qu’il s’applique à réciter.