Michael Mann: «I’m interested in extreme conflict».

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2 juillet 2009. Interview pour le Guardian à propos de Public Enemies.

Conversation avec Jean-François Richet (auteur de Mesrine), dans la revue Première. Extraits des paroles de Michael Mann à propos de Dillinger.

[…] «John Dillinger était l’un de ces hommes crucifiés par la modernité, comme les personnages de La Horde sauvage . Ils sont réellement grands mais n’ont plus leur place dans leur époque. Si sa vision des choses avait été inspirée par Marx, Hegel, Freud ou Jung, il aurait pensé: «Je peux influer sur les circonstances et les conditions de mon existence, et le résultat s’en trouvera changé.» Mais lui et ses amis gangsters ne pensaient pas du tout comme ça. Tels des calvinistes sans dieu, ils ne croyaient qu’au destin. D’où ce genre de phrase: « Il y a une balle avec ton nom dessus. » Ou: « Lorsque ton temps est fini, ton temps est fini. » C’est ce fatalisme qui m’a attiré. Je me suis alors demandé comment raconter cette histoire. C’est un enjeu d’écriture. La réponse passe d’abord par une immersion du spectateur dans la pensée de Dillinger, inébranlable quel que soit le contexte. D’autre part, il fallait rendre la brièveté de sa vie et de celle de ses complices. Ils volaient une banque, se planquaient dix jours en attendant que leurs blessures guérissent et repartaient braquer une autre banque à mille kilomètres de là. En tout, l’équipée de Dillinger aura duré treize mois. Pour exprimer un peu de cette brièveté, j’ai adopté une cadence narrative intense et rapide mais j’ai par ailleurs essayé autant que possible de faire partager aux spectateurs la vie des personnages, leurs sentiments, ce qu’ils comprenaient. Généralement, les deux ne vont pas ensemble: une intrigue événementielle d’un côté, un parcours intérieur de l’autre. C’est pourquoi beaucoup de choses sont exprimées sans mots. À cet égard, j’espère avoir transmis ce que pense Purvis (Christian Bale), l’agent fédéral qui poursuit Dillinger. Son sentiment de vide et de n’être pas à sa place.»
[…] «Il fallait évidemment oublier la légende [de Dillinger] et coller à la réalité. Pour y arriver, j’ai fait énormément de recherches avec mon équipe à partir de l’excellent livre de Bryan Burrough, puis nous avons enquêté par nous-mêmes au fil de l’écriture. Il se trouve que ces gangsters ont formé les meilleures équipes de vol à main armée de l’histoire des États-Unis. Ils avaient adopté les méthodes d’un certain Herman K. Lamm, un ancien soldat prussien qui avait appliqué les tactiques militaires aux attaques de banques en inventant un système où chacun avait son poste et sa mission, comme dans une petite unité de commando. Les butins étaient énormes: 74 000 dollars en 1933, ce qui est l’équivalent de 14 millions de dollars actuels. À titre de comparaison, l’homme de la rue gagnait à l’époque 500 dollars par an s’il avait la chance d’avoir un emploi –le taux de chômage atteignait 40 %. Ces types vivaient au jour le jour, sans penser au lendemain. Avec ce qu’ils avaient amassé (600 000 dollars), ils auraient pu partir à Manille, Rio, Hong Kong. Mais rien. Aucun plan. C’est fascinant. Je me suis aussi demandé ce qu’ils pouvaient penser pendant les hold-up. Pour ça, je me suis documenté auprès d’un ancien braqueur qui m’a appris que le pic d’anxiété survient quand il faut quitter les lieux»
[…] «Pour moi, il y a toujours une nouvelle limite à dépasser, une technique inédite à maîtriser ou une façon de détailler plus profondément un personnage. Récemment, je me suis intéressé au degré d’intensité qu’il est possible d’obtenir en ne coupant pas les scènes. Certaines de mes séquences préférées dans Public Enemies sont celles qui sont le moins coupées. Par exemple, pour filmer Marion Cotillard s’échappant de son appartement, nous avons élaboré des mouvements de caméra compliqués, mais la séquence est composée de seulement trois plans. D’autres séquences n’ont pas fonctionné aussi bien, et nous avons dû y renoncer dans la salle de montage.»

Des films de référence pour Michael Mann: La rue sans joie (Pabst), Faust (Murnau), Le Cuirassé Potemkine (Eisenstein), La Passion de Jeanne d’Arc (Dreyer), Citizen Kane (Welles), L’Année dernière à Marienbad (Resnais), Dr. Folamour (Kubrick), La Poursuite infernale (Ford), Raging Bull (Martin Scorsese), La Horde sauvage (Peckinpah), Apocalypse Now (Coppola).

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