Palerme, pré Manifesta 12

De Casablanca à Palerme, itinéraire de Kamal Karkouri, porte-voix de ses « frères » exilés
Par Antoine Harari (contributeur Le Monde Afrique, Palerme). Le 19 mars 2018 à 18h02

Chronique de la Méditerranée. Après avoir été vendeur à la sauvette durant dix ans, le jeune Marocain a trouvé sa vocation en devenant médiateur culturel. Kamal Karkouri, 28 ans, aujourd’hui médiateur culturel au sein de l’association Porco Rosso, à Palerme.

Kamal Karkouri, 28 ans, aujourd’hui médiateur culturel au sein de l’association Porco Rosso, à Palerme. / Francesco Bellina/Cesura

Chronique de la Méditerranée. Le Monde Afrique se propose de raconter le parcours de migrants africains qui ont pris la route de l’Europe et tentent de construire une vie nouvelle, avec ou sans papiers.

Le centre historique de Palerme se résume à deux axes parallèles, la rue de Rome et la rue Maqueda. Tout autour, de petites allées traversent les deux artères. Ces ruelles sombres et étroites, Kamal Karkouri, 28 ans, les connaît par cœur. C’est là qu’il a vendu illégalement pendant près de dix ans des sacs à main contrefaits comme d’autres ambulanti (marchands ambulants) de la capitale sicilienne.

« Il y a encore deux ans, je vendais des sacs achetés aux Chinois dans un magasin derrière la gare », raconte-t-il. Le jeune Marocain ne cache pourtant pas son inquiétude pour les nouveaux venus. « Avant, c’était le premier travail que tu faisais en arrivant. Il n’y avait même pas besoin de parler la langue. Aujourd’hui, il n’y a plus assez de demande », dit-il dans un italien presque parfait.

« Personne ne nous protège »

A l’entendre, la plupart des nouveaux arrivants ne travaillent pas, ou peu. Lors de la saison des récoltes, ils vont à Caltabellotta (dans le sud-ouest de la Sicile) pour cueillir des olives et dans la région de Catane (sur la côte est) pour les oranges. Selon lui, le durcissement de la réglementation a réduit la solidarité entre migrants. « Chacun s’occupe de ses propres intérêts. Du coup, c’est plus dur pour les nouveaux », résume-t-il, évoquant aussi la montée du racisme : « Les ambulanti sont les premiers à le subir. Comme personne ne nous protège, tout le monde s’attaque à nous. »

Kamal continue à dire « nous ». Pourtant, à la différence de son père, qu’il a rejoint en 2005 depuis Casablanca, il a quitté ce métier qui vous pousse « dans les rues de 9 heures à minuit » pour un revenu maximum de 600 euros par mois. Il y a un peu plus d’un an, le jeune homme est devenu médiateur culturel et a fondé une association pour défendre les droits de ces vendeurs en situation précaire.

« En 2013, le maire a fait passer une décision interdisant de travailler dans le centre historique. Il y a plus de 600 vendeurs ambulants à Palerme et derrière chacun d’eux une famille. Tout à un coup, ils n’avaient plus aucun revenu. » Avec ceux qu’il appelle ses « frères » – pour la plupart originaires du Bangladesh, du Sénégal ou, comme lui, du Maghreb –, ils ont organisé des manifestations. « Nous avons créé cette association pour pouvoir défendre nos droits face à la commune. Et nous avons réussi à trouver un compromis. Comme ils paient les taxes, les magasins sont prioritaires. Du coup, nous travaillons après leur fermeture. » De fait, dès 20 heures, les marchands ambulants envahissent les rues principales du centre de Palerme.

Plus qu’un travail, le soutien aux nouveaux arrivants semble être une vocation. « C’est en moi depuis que je suis petit. Depuis que je suis arrivé, j’essaie d’aider mes compatriotes qui ont des difficultés à s’exprimer ou qui souhaitent voir un avocat. » Employé par l’association Porco Rosso, il accompagne désormais des migrants chaque mercredi à l’hôpital pour des contrôles de santé ou les épaule dans l’obtention d’une assistance juridique.

Vexations policières

Sicilien d’adoption, Kamal Karkouri ne se voit pourtant pas finir ses jours sur l’île. Une altercation avec la police municipale, en 2011, lui a laissé un souvenir amer. « Alors que j’étais dans un marché, une équipe m’a confisqué mon matériel et m’a frappé. » Il se souvient aussi de Noureddine Adnane, un de ses compatriotes qui, la même année, avait fini par s’immoler par le feu après de multiples vexations policières.

Pourtant, comme de nombreux migrants venus en rêvant de connaître une meilleure fortune, il n’imagine pas rentrer au pays. « Avec mon salaire, je fais vivre mon père mais aussi ma famille à Casablanca. J’ai beaucoup d’amis ici, et Palerme est une ville magnifique. Mais il n’y a pas d’avenir pour nous ici. Un jour, je reprendrai la route. »

Antoine Harari (contributeur Le Monde Afrique, Palerme)
Le 20 mars 2018 à 06h43

Mots clés :