Jiro Yoshihara. Deuxième exposition en plein air de Gutai (2/4)

Deuxième exposition en plein air du groupe Gutai, 1956. Ecrit par Jiro Yoshihara en juillet 1957
In http://articide.com.pagesperso-orange.fr/gutai/fr/expo57.htm

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KANAYAMA Akira, Ashiato, 1956

« Lors de la 2e exposition Gutaï qui s’est tenue l’été dernier dans la pinède d’Ashiya, près de Kôbe, KANAYAMA Akira présenta une œuvre qui avait pour sujet la forme d’une empreinte de pied. Elle était constituée d’une bande blanche en vinyle avec des empreintes de pieds noires. La bande mesurait plus 100 m de long. Elle serpentait sur toute l’exposition et, pour finir, grimpait dans un pin.

TANAKA Atsuko présenta 7 silhouettes humaines gigantesques, qui étaient toutes très simples et d’une forme semblable. Elles n’exprimaient aucun sentiment humain. Etranges et même sinistres, elles contenaient un chapelet d’ampoules tubulaires, qui figuraient un squelette. Ces ampoules étaient éclairées automatiquement à intervalles réguliers et le courant lumineux évoquait la circulation sanguine.

Ces deux œuvres sont tout à fait inhabituelles pour des artistes Gutai qui ont renié toute forme naturelle. Il est cependant très intéressant que ces artistes aient traité la forme de la façon la plus simple et la plus sèche. Il ne fait aucun doute que c’est la forme qui, ici, nous sollicite mais, au-delà de cette dispute, ces œuvres sont ambitieuses et audacieuses et tout à fait réussies, étant donné les conditions particulières de cette exposition en plein air. L’œuvre de KANAYAMA, ces centaines de pieds sur une bande blanche, n’était pas ennuyeuse pour les spectateurs. La bande en vinyle pouvait être étirée facilement dans toutes les directions et le génie de l’artiste, qui avait fait grimper la bande dans un pin, nous donna une impression poétique .

Une autre œuvre de KANAYAMA était le signal d’alarme d’un passage à niveau. Il l’avait emprunté à une compagnie ferroviaire. Deux signaux lumineux rouges s’éclairaient alternativement et la sonnerie retentissait tout le temps. Le rythme de la sonnerie coïncidait avec celui du signal lumineux et le site était empli d’une étrange atmosphère.

L’œuvre de TANAKA, le groupe des 7 silhouettes, était intitulée « costumes de scène », ce que je trouvais difficile à expliquer. L’œuvre était directement inspirée d’une autre silhouette humaine, présentée à une exposition patronnée par la « Shinko Press » à Kobe. Depuis le mois d’avril au cours duquel un journaliste de Life était venu faire un reportage sur les artistes du groupe Gutai, TANAKA s’était intéressée à une série de costumes du monde entier parmi les plus étranges et ceci apparaît en partie dans les photos de son œuvre, prises par Life. Son idée s’inspirait de mon propre projet d’organiser une exposition artistique sur la scène d’un théâtre. Elle voulait présenter un certain nombre de costumes, faits par elle, qu’elle porterait à tour de rôle. Quelques uns comportaient un grand nombre d’ampoules électriques. Elle en présenta deux à l’exposition en plein air. L’une, avec des ampoules dans le corps, rendait tout son effet quand elle était placée à côté des 7 silhouettes. L’autre, avec une quantité d’ampoules ordinaires disposées en forme de croix, clignotant toutes lentement et simultanément, était très vivante. L’objet de son œuvre était le costume et non la forme humaine. Cependant elle tira de cette forme humaine un effet particulier, pour cette exposition, et ce fut vraiment un succès, vu le sentiment de fraîcheur que nous avons ressenti.

SHIMAMOTO Shozo de son côté peignit son œuvre sur un carré de 30 pieds de vinyle rouge. Plus exactement: il prit un canon, le remplit d’émail de diverses couleurs, et le fit exploser contre le tissu de vinyle. De toutes les œuvres expérimentales produites au moyen de forces mécaniques afin de dépasser la rapidité des brosses manuelles, c’était certainement l’une des plus représentatives de l’ardeur de l’artiste.

SHIRAGA Kazuo présenta une œuvre très différente de celle de l’an dernier. Comme la précédente, elle était faite avec de la boue. Il couvrit la boue d’une enveloppe de vinyle transparente dont la forme nous rappela l’une de ces sucreries que l’on déguste en été au Japon, appelées « Kuzumanju ». Son désir premier d’action se transformait en une volonté de créer quelque chose de fou. Cela ressemblait à un énorme poisson gélatineux. Il y avait deux œuvres et l’une portait une chevelure faite de cordes de chanvre peintes en vert. De toute manière, elles ressemblaient trop à des choses vivantes.

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YAMAZAKI Tsuruko, Work (Red Cube), 1956, wood, vinyl, lightbulbs
YAMAZAKI Tsuruko dressa une toile en vinyle rigide, rouge écarlate, telle une moustiquaire. Cela donnait l’impression qu’elle ne voulait rien montrer d’autre que la « qualité » et la « masse ». Cela reflétait de façon admirable l’équilibre entre l’esprit de l’artiste et la matière.

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Version muséale, Gutai, splendid playground, Musée Guggenheim, 2013

MURAKAMI Saburo fit une étrange installation [Work (Sky) 1956], où l’on était convié à pénétrer et d’où l’on pouvait entrevoir le ciel. C’était une tente ronde en toile, sur laquelle était placé un cylindre en zinc. L’intérieur du cylindre était peint en rose et, quand nous pénétrions dans la tente, nous pouvions voir à travers le cylindre rose le ciel bleu de l’été. L’œuvre était comme une trappe destinée à saisir la nature elle-même. Je découvris en MURAKAMI un poète mais j’étais en même temps charmé de ce que l’installation ne suscitât aucun sentiment artistique.

Comme d’habitude, MOTONAGA Sadamasa avait introduit l’eau dans son œuvre. Ses sacs remplis d’eau colorée étaient devenus plus complexes. Son autre travail se composait d’un bac étroit et oblong; à la surface de l’eau flottaient des lanternes de cellophane. Le souffle du vent leur imprimait un mouvement fantastique. Toute la beauté des traditionnelles lanternes japonaises flottant par une nuit d’été revivait dans cette œuvre. On pourrait dire la même chose du cerf-volant de SHIBATA Takeshi.

Bien des œuvres à cette exposition traitaient de la lumière et leur effet, la nuit, était splendide. La moustiquaire de YAMASAKI, par exemple, devenait dans obscurité une énorme lanterne rouge.

Au milieu de toutes ces pièces de grande taille, celles de YOSHIHARA Michio étaient impressionnantes parce qu’elles étaient toutes petites : toutes trois étaient des trous, d’un pied de profondeur, dans la terre, et au fond de chacun brillait une lumière sur 3 pouces de diamètre.

SUMI Yasuo exposait presque la même œuvre que l’année dernière, mais elle était devenue plus compréhensible et plus riche.

TYOSHIDA Toshio présenta un tableau dans lequel étaient incorporés des fragments de miroir et qui s’avéra la meilleure de toutes les œuvres de cette série. Lorsque la moustiquaire de YAMASAKI Tsuruko, placée à côté, était agitée par le vent, le miroir étincelait d’un éclat fantastique.

J’ai parlé d’un certain nombre d’œuvres présentées à notre exposition en plein air; comme il y avait beaucoup de nouveaux venus, l’exposition était donc plus importante que l’an dernier.

Il est nécessaire, dans une exposition en plein air, de tenir particulièrement compte de la lumière et du temps, mais nous pouvons y agir plus librement et résister avec succès à l’art de salon ce qui est impossible intramuros. Voilà pourquoi nous organiserons périodiquement ce genre d’expositions. » Traduction française, Robho.


Gutai, Splendid Playground, au Guggenheim, February 15–May 8, 2013
http://www.guggenheim.org/new-york/exhibitions/past/exhibit/4495

Gutai, Painting with time and space, Museo Cantonale d’Arte, Lugano
http://www.nipponlugano.ch/en/gutai-multimedia/index.html