Yuji Yoshimura. Le concept de « ma », une philosophie

Yuji Yoshimura, est architecte, urbaniste et informaticien, spécialiste de l’utilisation de mégadonnées (big data) pour créer des espaces plus conviviaux, s’entretient avec Marc-Olivier Wahler, directeur du MAH de Genève,  sur le potentiel de l’apprentissage statistique (machine learning) in « Le musée du futur. Quant les métadonnées profitent à l’expérience du visiteur » MAGMAH no 6 2024

extrait à propos du concept de ma

Yuji Yoshimura : « En japonais, le concept de ma correspond à l’espace vide, mais rempli. Lorsque vous allez d’un point A à un point B, l’espace entre les deux est considéré comme négatif. Or, au Japon, nous essayons de donner plus d’importance à cet espace «vide» qu’à l’origine ou à la destination. Dans le cadre d’une précédente recherche, j’ai utilisé pour représenter un musée la science des réseaux, selon laquelle une salle correspond à un sommet, tandis qu’un couloir, qui relie les salles, correspond à une arête (ou une ligne). En analysant ce réseau, j’ai identifié des salles qui accueillaient beaucoup de monde, car les visiteurs étaient forcés de les traverser. Ces salles se trouvaient entre le point d’origine et la destination, et nous pouvions les traduire de manière mathématique. Alors pourquoi ne pas utiliser ces espaces pour exposer et promouvoir des artistes débutants ou inconnus, que les visiteurs verront « inconsciemment »?

Marx-Olivier Walter :  Y a-t-il d’autres chercheurs qui utilisent les mégadonnées de cette manière ?

YY : Très peu mènent ce genre de recherche. Les informaticiens sont ceux qui, actuellement, rassemblent le plus de don-nées, mais la plupart d’entre eux semblent ne s’intéresser qu’à l’optimisation de ces données. La culture, l’art ou les musées n’ont pas vocation à être optimisés. Grâce à ma formation en architecture, je comprends l’importance du contexte, des visiteurs et de l’espace. Ma façon d’analyser les données est très différente d’une simple optimisation. Je m’en sers pour améliorer la culture, l’art et l’expérience des visiteurs au musée.

MOW : Comment faites-vous pour récupérer ces données?

YY : Dans le cas du Louvre, on a pu les récupérer via les bornes Bluetooth. C’était en 2010, et de plus en plus de gens utilisaient des téléphones portables ou des smartphones dotés de signal Bluetooth. J’ai conçu des capteurs que j’ai placés à côté de plusieurs chefs-d’œuvre. J’ai ainsi constaté que 8,2 % des visiteurs avaient enclenché le signal Bluetooth de leur téléphone, ce qui constitue un échantillon suffisant. Depuis, nous avons réfléchi à des manières de récolter ces données tout en respectant la vie privée des visiteurs – en passant par le Wi-Fi par exemple. Nous proposons parfois des entretiens ou des questionnaires, la forme la plus simple de données. Nous combinons des données qualitatives et quantitatives pour améliorer l’expérience de visite.

MOW : Si nous utilisons les mégadonnées pour construire ou rénover un musée, n’y a-t-il pas un risque d’uniformisation?

YY : Bien sûr, notre monde est devenu très homogène. Nous appelons cela la « Disneylandisation». Encore une fois, les urbanistes et les architectes comprennent l’importance du contexte, de la culture, de la société. Nous considérons le caractère unique de chaque bâtiment, chaque quartier; nous étudions la communauté et ses caractéristiques se reflètent dans nos conceptions. C’est ainsi que l’uniformisation peut être évitée.

MOW : Comment trouver l’équilibre entre le pouvoir des mégadonnées, que l’on pourrait considérer comme de la science dure, et l’expérience émotionnelle d’un lieu?

YY : À l’heure actuelle, je cherche à quantifier les émotions des gens – leur bonheur, leur plaisir et leur sens esthétique. Aussi importantes soient-elles dans nos vies, elles sont difficiles à quantifier. Dans mon domaine – architecture et urbanisme -, nous menons des enquêtes à petite échelle, en interrogeant entre 50 à 100 personnes. Si l’on élargit cette procédure en interrogeant 10000 à 20000 personnes, on obtient des méga-données. La quantité modifie la qualité. Le défi est donc d’extraire une information qualitative (les émotions) à partir d’une information quantitative (les mégadonnées). »