William Henry Fox Talbot, Scène dans une bibliothèque(Planche VIII de l’ouvrage The Pencil of Nature, 1844).
William Henry Fox Talbot, The Pencil of Nature, 1844 :
«Dans ce petit ouvrage présenté aujourd’hui au public, j’ai entrepris de publier pour la première fois une série de planches -ou d’images- qui relèvent entièrement de ce nouvel art qu’est le dessin photogénique, c’est-à-dire des images où le crayon de l’artiste n’est intervenu en aucune façon.» in « Remarques d’introduction à l’ouvrage».
Chaque planche fait l’objet d’un cartel argumenté de l’auteur. Les 24 planches constituent un catalogue raisonné d’un œuvre photographique — la quintessence triviale même du médium transapparent à celle, triviale mais hiéroglyphiques des choses, nature, gravure, architecture….
Liste des 24 planches:
Pl.1. Vue d’une partie du Queen’s College, Oxford
Pl.2. Paris, vue sur les boulevards
Pl.3. Porcelaines de Chine
Pl.4. Objets en verre
Pl.5. Buste de Patrocle
Pl.6. La Porte ouverte
Pl.7. Feuillage
Pl.8. Scène dans une bibliothèque>
Pl.9. Fac-similé d’un ancien document imprimé
Pl.10. La Meule de foin
Pl.11. Copie d’une lithographie
Pl.12. Le Pont d’Orléans
Pl.13. Le Portail d’entrée de Queen’s College, Oxford
Pl.14. L’échelle
Pl.15. L’Abbaye de lacock à Wiltshire
Pl.16. La Chaire de l’abbaye de Lacock
Pl.17. Buste de Patocle
Pl.18. Portail de Christchurch
Pl.19. La Tour de l’abbaye de Lacock
Pl.20. Dentelle (en tel)
Pl.21. Monument aux martyrs
Pl.22. L’Abbaye de Westminster
Pl.23. Hagar dans le désert (fac-similé en tel d’une gravure)
Pl.24. Corbeille de fruits
Scène dans une bibliothèque [Texte de Fox Talbot]
«Parmi toutes des idées nouvelles que la découverte de la photographie a suggérées, il y a cette curieuse expérience ou hypothèse dont je vais parler. En réalité je ne l’ai jamais moi-même mise en pratique, et, à ma connaissance, personne d’autre ne l’a jamais ni tentée ni même proposée. Pourtant, je pense que c’est là une expérience qui, si elle est correctement conduite, ne peut manquer de réussir. Lorsqu’un rayon de lumière solaire est réfracté par un prisme et projeté sur un écran, il forme sur celui-ci cette merveilleuse bande colorée connue sous le nom de spectre solaire. Les expérimentateurs ont découvert que si l’on projette ce spectre sur une feuille de papier sensibilisé, c’est son extrémité violette qui produit l’effet le plus important; il est alors tout à fait remarquable de constater un effet similaire produit par certains rayons invisibles qui se trouvent au-delà du violet, c’est-à-dire au-delà des limites du spectre et dont l’existence nous est seulement révélée par l’action qu’ils exercent.
Je proposerais donc de séparer ces rayons invisibles des autres en les faisant passer dans une pièce attenant par une ouverture pratiquée dans le mur ou un écran de partition. Cette pièce se remplirait donc de rayons invisibles (nous ne pouvons pas dire qu’elle s’éclairerait) qui seraient diffusés dans toutes les directions par une lentille convexe placée derrière l’ouverture. Si des gens se trouvaient dans cette pièce, ils ne se verraient pas, et pourtant, si l’on pointait un appareil photographique dans la direction de n’importe laquelle de ces personnes, il prendrait son portrait et révélerait ce qu’elle est en train de faire. En effet, pour reprendre une métaphore que nous avons déjà utilisée, l’œil de l’appareil photographique verrait clairement là où l’œil humain ne verrait que ténèbres.
Mais hélas, cette spéculation est sans doute trop sophistiquée pour être employée avec profit dans la construction d’une intrigue ou d’un roman moderne. mais supposez que les secrets de la chambre obscure puissent être révélés par ce curieux témoignage!
La photographie démontrait que la lumière pouvait exercer une action […] suffisante pour produire des changements dans les corps matériels». cité par Rosalind Krauss, Le photographique, Pour une théorie des écarts, Macula, 1990, pp.27>30
Cet constat du caractère «spirite» du médium photo, la photographie Scène dans une bibliothèque le montre. Rosalind Krauss (p.29) pointe que la photographie représenterait les romans à venir, non encore écrits. On se trouve devant l’image comme devant le Card File de Robert Morris, on ne soulèvera pas les fiches de cette sculpture, comme on n’ouvrira pas les romans de la photo de l’étagère à livres. Ici les entrées sont des titres illisibles.
«La photographie des livres [dit R.K.] étant l’incarnation d’une projection spéculative, son rôle est, à un certain niveau, conceptuel. Mais ce rôle est totalement intégré au sujet de l’image en question. En tant que contenant du langage écrit, le livre est le lieu où résident des signes totalement culturels. Opérer avec le langage, c’est avoir la faculté de conceptualiser… »