Robert Maggiori… Aby Warburg

« Peut être la maladie mentale avait-elle donné à Aby Warburg une capacité nouvelle de scruter les abîmes des états « primitifs » dominés par la nécessité de vaincre les peurs ancestrales connues des civilisations  comme de chaque individu*. Il était certain, en tout cas, qu’à les décrire, il aurait retrouvé son équilibre. S’est-il sauvé? A-t-il guéri miraculeusement de sa schizophrénie, ou plus certainement, de son « état mixte maniacodépressif? » Il sort de la clinique le 12 août 1924. À son frère  Max, il écrit : « voilà un symptôme clair que ma nature veut encore une fois se tirer elle-même de ce marécage. » Robert Maggiori

* Aby Warburg : « Parfois, il me semble que j’essaie, comme psycho-historien, de déceler la schizophrénie du monde occidental à partir de ses images, et comme dans un réflexe autobiographique : d’un côté la nymphe extatique (maniaque) et de l’autre le douloureux Dieu fluvial (dépressif), comme les pôles entre lesquels l’homme sensible, donnant fidèlement forme à ses impressions, cherche son propre style dans l’acte créateur. L’antique jeu de contraste entre vie active et vie contemplative. »
Aby Warburg, Miroirs de faille, à Rome, avec Giordano Bruno et Édouard Manet, 1928-1929, presses du réel, 2011, p. 109.

Hervé Mazurel : « L’histoire ne s’arrête pas à la surface de notre individualité, mais s’inscrit aux tréfonds. Enfants, nous intériorisons le monde social à travers ce que nos parents ou l’école nous inculquent : des interdits, des valeurs, des conduites, des façons de penser, d’agir et de sentir… Tous ces legs, ces habitus hérités nous lient à la longue chaîne des générations. Aby Warburg, immense historien de l’art, disait qu’on restait lié par notre gestuelle ou nos façons de nous émouvoir à des femmes et des hommes de siècles très reculés. Aby Warburg voyait affleurer dans la culture napolitaine contemporaine une part des gestuelles très anciennes de l’Antiquité gréco-romaine. Soit des gestes, de salutation, d’hospitalité ou de deuil hérités dans la très longue durée que nous apprenons, reproduisons et transformons lentement sans le savoir. C’est une très belle idée, celle d’une histoire lente et silencieuse, qui nous travaille obscurément. L’histoire ainsi se fait corps. » in Libé du 3 octobre 2021