Philippe Jeammet. Boris Cyrulnik

1.
Philippe Jeammet pédopsychiatre (citations)

«Je crois que nous avons la chance d’arriver à un moment, à un tournant dans notre conception des maladies mentales du fait de l’accumulation des connaissances».
«Paradoxalement je verrais les troubles psychiatriques comme  des conduites adaptatives; des conduites adaptatives à des difficultés émotionnelles.»
«Avec l’adolescent et surtout l’adolescent en difficulté, on a un double miroir grossissant, comme une sorte d’expérimentation involontaire de ce qui est le destin humain.»
«L’adolescence est liée à la puberté. Or la puberté vous oblige à vous positionner au niveau de votre personnalité, c’est-à-dire de votre territoire, d’une façon nouvelle et différente de celle de l’adulte. Il y a un partage du territoire –ce qui se passe aussi pour les animaux– et de partage des objets sexuels. Ce qui fait de la puberté ce moment de réappropriation de notre héritage, mais aussi des difficultés que nous pouvons avoir à l’intérieur de nous, des peurs, des angoisses, des incertitudes, de l’estime de soi. Tout cela va être mis à l’épreuve. »
«Le problème n’est pas tant celui de l’interdit que celui de la sécurité intérieure…, le doute sur les capacités à faire face à la nouveauté et à s’imposer… La liberté c’est une mise à l’épreuve de nos ressources.»
«Ce qui caractérise l’homme par rapport à l’animal et qui est autant de sources d’émotions: c’est la conscience d’être conscient de soi, c’est le désir de comprendre pourquoi on est sur terre, c’est la conscience que l’on peut mourir et tout perdre, et c’est la conscience qu’il faut se nourrir des autres. Donc autant de sources de troubles émotionnels. Par exemple: comment être indifférent si je ne fais que de me nourrir de l’autre? C’est la question de l’obéissance, de la soumission aux parents qui va apparaître et que l’adolescent fait exploser. Et vous le savez, plus on a besoin de l’autre, plus on va ressentir ce besoin comme un pouvoir de l’autre sur nous. Au point que cela va vous prendre la tête.»
«Qu’est-ce que tu vaux? Est-ce que tu comptes pour quelqu’un? C’est ce miroir qui correspond à la quête réflexive. On ne peut y échapper parce que c’est elle qui est touchée directement par les maladies dites mentales.»
«Les troubles dits psychiques sont des réponses non voulues, non choisies, à une menace contre notre homéostasie psychique [en médecine: capacité d’autorégulation pour la conservation de l’équilibre]: un sentiment de malaise, un sentiment de pression contre lequel nous sommes programmés comme les animaux, pour réagir activement, pour apaiser cette tension. On peut l’apaiser d’une manière créative. C’est ce que l’on va trouver à l’adolescence, c’est la passion, c’est se jeter à corps perdu dans des activités pour essayer de se revaloriser. Derrière cette passion, il y a une quête de valorisation, une recherche de soi avec son côté positif que la passion permet de découvrir.»
«L’on peut voir les troubles dits psychiques comme des conduites adaptatives. Mais le problème des troubles mentaux c’est qu’ils vont toucher un des trois domaines nécessaires à la vie: —nourrir son corps, —développer ses compétences au sens large, —la sociabilité.»

[Foucault dit plus finement dans «La Folie et la société», Dits et Ecrits, p.997 «En gros, les domaines des activités humaines peuvent être divisés en ces quatre catégories: —travail ou production économique; —sexualité, famille, c’est-à-dire reproduction de la société; —langage, parole; —activités ludiques, comme jeux et fêtes» et ajoute que «que dans toutes les sociétés, il y a des personnes qui ont des comportements différents des autres, échappant aux règles communément  définies dans ces quatre domaines, bref, ce qu’on appelle des individus marginaux.»]

«Dès que l’on va mal, tous autant que l’on est, on se ferme dans au moins une de ces trois nécessités pour se donner un peu de temps pour se protéger. Mais si cela devient un enfermement qui vous empêche de vous valoriser, de vous ressourcer dans l’échange et qui vous ampute d’une partie de vos potentialités, c’est le cercle vicieux. Moins je me sens de compétences, moins j’ai confiance en moi, plus j’ai peur des autres, plus je me protège en m’enfermant dans mon monde. Un cercle vicieux hautement pathogène. La maladie mentale, c’est l’enfermement dans le comportement que l’on n’a pas choisi, qui s’est imposé à nous, mais auquel on adhère parce qu’il donne le sentiment d’un rôle actif et plus on va mal, plus on s’y agrippe, parce que tout le reste fout le camp!»
«La maladie mentale, c’est une contrainte émotionnelle, une contrainte que vous ne choisissez pas. Un des enjeux qui touche la question anthropologique et philosophique profonde est bien: qu’est-ce qui fait que l’on voit le verre à demi-plein ou à demi-vide? On n’a jamais pu répondre à cette question et pourtant l’ambiance que l’on va mettre autour de soi va en dépendre. Il va falloir débattre autrement qu’en parlant en termes de maladies mentales, mais en discutant plus largement du poids de la contrainte émotionnelle qui est la partie la plus animale, la plus biologique; celle dont on ne peut pas se passer.»

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2.
Boris Cyrulnik neuropsychiatre, éthologue et psychanalyste (abstract)
La maladie psychiatrique dans la société
C’est ainsi que se pose le problème… Ce qui pose beaucoup de problèmes.
L’objet de la sciences théoriquement, est hors de nous et le scientifique met au point des méthodes pour observer comment il est constitué et comment il fonctionne. Et pourtant, le choix de l’objet de science parle quand même de l’observateur.
L’objet de la psychiatrie n’est pas hors de nous. Parfois, il est scientifique. Il décrit un cerveau abîmé ou des fonctionnements altérés. Même ainsi, l’objet psychiatrique déclenche des réactions de l’entourage familial et culturel qui aggravent le tableau de l’atténuement des symptômes.
Certaines sociétés provoquent des troubles alors que les développements de la personne sont sains. Et tout se complique quand on découvre que certaines cultures considèrent comme maladies des comportements que d’autres cultures valorisent.
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