Vu le film comme un opéra dont il faut connaître le livret (le texte Film Socialisme, POL) avant d’y aller ou d’y retourner. Le meilleur article est dans L’Hebdo
+ cette citation inaugurant la première partie et le film tout entier
«Tout déplacement sur une surface plane qui n’est
Pas dicté par une nécessité physique est une forme
Spatiale d’affirmation de soi qu’il s’agisse de bâtir
Un empire ou de faire du tourisme»
Toute la première partie se passe en mer sur un bateau de croisière et pourrait appeler cette citation (Laurence Weiner inspiré de Poussin ou de Mallarmé)
«EVER WIDENING CIRCLES OF REMORSE
ET IN ARCADIO EGO
AFLOAT AT THE MERCY OF THE WAVES
WE ARE SHIPS AT SEA
NO DUCKS ON A POND»
en l’occurrence, le touriste serait un canard mais dans la dimension arcadienne de la mer se substituant à la campagne italienne telle qu’évoquée par le Et in Arcadia ego (ego = la mort), le tableau ainsi nommé de Poussin et le mieux appréhendé par Nietzsche dans sa teneur épicurienne — la mort y fut-elle présente— qu’a un peu la vie à bord du navire de croisière en Méditerranée, entre ciel et mer, filmée par Godard. Le texte Der Wanderer und sein Schatten (1879) intitulé «In Arcadia ego», dit :
«Tout cela était tranquille, dans la paix du crépuscule prochain. […] Deux êtres humains à la peau brunie [ils sont sur le navire], d’origine bergamasque, étaient les bergers du troupeau: la jeune fille presque vêtue comme un garçon. […] — tout cela était grand, calme et lumineux. La beauté toute entière amenait un frisson, et c’était l’adoration muette du moment de sa révélation. Involontairement, comme s’il n’y avait là rien de plus naturel, on était tenté de placer des héros grecs dans ce monde de lumière aux contours aigus (de ce monde qui n’avait rien de l’inquiétude et du désir, de l’attente et des regrets); il fallait sentir comme Poussin et ses élèves: à la fois d’une façon héroïque et idyllique— Et c’est ainsi que certains hommes ont vécu, c’est ainsi que sans cesse ils ont évoqué le sens du monde, en eux-mêmes et hors d’eux-mêmes; et ce fut surtout l’un d’entre eux, un des plus grands hommes qui soient, inventeur d’une façon de philosopher héroïque et idyllique à la fois: Epicure.»
Le biographe et ami de Poussin, Felibien, à propos de l’inscription Et in Arcadia ego sur la tombe qui figure dans le tableau, écrit: «Par cette inscription on a voulu marquer que celui qui est dans cette sépulture a vécu en Arcadie, et que la mort se rencontre parmi les plus grandes félicités». Il n’y a rien de tragique là-dedans. On peut aussi voir la jeune femme qui, la main posée sur l’épaule du jeune berger qui la regarde, semble lui lire la phrase, ou lui dire simplement de venir avec elle, comme on le voit de manière plus post-expressionniste dans un autoportrait de Kathe Kollwitz. Nous sommes des morts vivants a dit Jankélévitch: l’idée même de temps (texte de 1959)…
Là où il y a beaucoup de lumière, il y a aussi beaucoup d’ombre, à la tombée du jour les ombres s’allongent, est-il dit dans les Bucoliques de Virgile. C’est l’une des phrases inversée dans le film : «A cause de quoi la lumière? – A cause de l’obscurité». A rapprocher aussi de la scène dans la Profession de foi du Vicaire savoyard de Rousseau: la géométrie du paysage révélée par son ombre même.