Bateson. Le double bind revisité par son auteur même

bateson-poulpe
in La nouvelle communication, textes recueillis et présentés par Yves Winkin: http://www.seuil.com/livre-9782020427845.htm

Page 43, le mot «poulpe», le soulignage des trois premières lignes et de la dernière ligne: «Il s’intéresse aux modes d’interaction chez les poulpes»* sont de la main de Jean-Louis, années 80 ou 90. Dans cette double page 42-43, deux citations de Bateson, —en vis-à-vis à peine décalé du fait de la longue note page 42 (très instructive de son domaine d’application forcée en psychiatrie)—, offrent les révisions, en forme de retournement, de son propre concept de «double contrainte» (1956), dix et vingt ans après sa création. La «double contrainte», cybernétique et logique, reine du feed-back, serait un «principe abstrait», le système de la relation en général: hypertextuelle** sous toutes ses formes, dans les différents domaines d’activité humaine, la conversation, le texte (glose et liens hypertextuels),  la création artistique et la relation esthétique, dont l’interactivité rendrait compte, à la manière et dans la suite de la glose littéraire.
Les intervenants d’un colloque sur Bateson pour le 50e anniversaire du concept, (2006) poursuivent cependant inexorablement l’application stricte du concept en psychiatrie, et paradoxalement c’est Roustang le plus bloqué dans cette attitude sectaire: «si la théorie de la double contrainte éclaire les contextes relationnels pouvant engendrer des troubles mentaux graves, comme la schizophrénie, elle ne paraît pas adéquate pour rendre compte de phénomènes tels que l’art, la poésie, l’humour, etc.» Roustang reprend, sans le dire, et  pour les contredire, les propos mêmes de Bateson teintés d’ironie  (p. 43) en 1977 («je concèderai même que la schizophrénie est autant une ‘maladie’ du ‘cerveau’ qu’une maladie de la ‘famille’, si le Dr Stevens [son interlocuteur] concède que l’humour et la religion, l’art et la poésie sont pareillement des ‘maladies’  du cerveau ou de la famille ou des deux.» La seule intervenante en rupture avec le discours dominant est Marie Catherine Bateson, la fille de Bateson et Mead qui tente une analyse «sur la relation entre la double contrainte et les conflits internationaux, les mésententes, les mouvements xénophobes et terroristes ainsi que l’augmentation probable de réactions hostiles au fur et à mesure que la mondialisation amène les nations à toujours plus d’interdépendance et d’inéluctable intimité.»

* On lit, dans l’entretien Bateson-Beels, en 1979, p.286,  à propos de l’étude de la communication non verbale, orientée loutres, poulpes et dauphins. «Beels : Comment, dans les années cinquante, en sommes-nous arrivés à nous intéresser à la distinction entre verbal et non-verbal? Bateson: Bon, je sais comment cela s’est passé en ce qui me concerne. J’essayais alors de comprendre comment penser la communication, et j’y suis parvenu par le biais des loutres. Vous savez que j’ai réalisé un film sur le jeu entre les loutres. Eh bien, le jour où nous sommes allés au zoo pour faire le film, nous avons découvert que les animaux classent leur comportement —qu’ils établissent une discontinuité entre le jeu et d’autres catégories de comportement. Etant donné que cette analyse s’appuyait sur des animaux, l’idée est apparue que la distinction entre les niveaux de communication pourrait dépendre du non-verbal. Mais il s’agissait là d’un simple accident: il se trouvait que nous étions en train d’étudier des animaux, et les animaux ne parlent pas.»
** Tout se ramenant au texte, (Mallarmé). http://www.arpla.fr/canal2/figureblog/?page_id=8434