Arnauld Pierre sur Christian Floquet. Engager la peinture

p. 30, ed Mamco, 2013

«  »Je peins comme si je peignais un mur » , disait déjà Floquet au début de sa carrière – on s’en souvient. L’affirmation désignait aussi l’architecture comme paradigme possible d’une peinture imposant sa présence physique dans l’espace avec la même évidence que le bâti: non pas tant peindre un mur que construire ce mur, édifier devant le regard une paroi opaque qui redouble celle du mur, ou qui s’y identifie. Floquet apprécie en effet dans l’architecture – cet art beaucoup moins ambigu et plus empirique que la peinture – sa capacité à faire intrusion, à se faire admettre au prix éventuel d’une certaine brutalisation de son environnement direct. Le mur de peinture édifié par l’artiste cherche de même à imposer l’indépassable présence physique du tableau. Par la peinture imposer le tableau dans l’espace réel comme l’architecture y impose le mur, sans craindre même d’y faire violence: que le tableau fasse obstacle, que l’on ne puisse s’y dérober. Cette affirmation s’accompagne en outre d’une stratégie consistant à environner l’œuvre d’une certaine qualité de silence, plutôt que de la construire à  travers le discours. « Après l’abandon de toute expressivité, le silence théorique permet peut-être, pour une fois encore, de laisser voir la peinture », écrit Christian Besson dès la fin des années 1980, alors qu’il est l’un des tout premiers à relever ce « grand silence » de la peinture de Floquet. Cette position auto-suffisante et littéraliste est bien celle que promouvaient, après Frank Stella, les mentors de Floquet au milieu des années 1980, lorsque Armleder déclarait qu’avant tout « ce qui s’impose à nous, c’est une peinture et sa démonstration formelle » et que Mosset renchérissait : « On peut toujours dire ceci ou cela, mais le travail c’est quelque chose qui se regarde, qui se voit et c’est ce que c’est. » Ce grand mutisme qui laisse voir la peinture dans la seule apparence visuelle est un indice supplémentaire de l’appartenance de Floquet, par-delà des jeux conceptuels du néo-géo, à une tradition de l’abstraction où l’on s’est toujours fait la même haute idée du tableau, comme lieu à la fois de concentration et d’engagement d’une subjectivité sans pathos, sans geste déplacé, presque distante. « Je peins comme si je peignais un mur »: un mur de silence, donc.  »

Le texte intégral  et des images sur le site http://www.bernardceysson.com/fr-artiste-christian-floquet.html

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