De plus en plus de jeux vidéo misent sur l’intelligence collective pour résoudre les maux de l’humanité.Par MORGANE TUAL
Vous culpabilisez de passer des jours et des nuits sur des jeux vidéo ? Rassurez-vous : d’ici à 2020, jouer sera considéré comme une bonne action. D’un clic, un mouvement de manette ou un tapotement sur votre mobile, vous pourrez défendre l’environnement, nourrir des enfants démunis et même faire progresser la recherche. Des mondes virtuels au monde réel, il n’y a qu’un pas que les jeux vidéo commencent déjà à franchir. Avec un impact inattendu.
La preuve avec Foldit, une sorte de puzzle en 3D permettant de modéliser des molécules lancé en 2008. Ludique et addictif – contrairement aux apparences -, il a séduit des milliers de joueurs à travers le monde qui, en moins de deux semaines, ont réussi à modéliser la structure d’une enzyme liée au sida sur laquelle les chercheurs se cassaient le nez depuis quinze ans ! Un vrai coup de pouce à la recherche sur le VIH qui contribuera à la conception de futurs traitements.
Chaton.
Si Foldit met à profit l’intelligence collective de ses joueurs, d’autres, plus terre à terre, font appel à leur portefeuille pour changer le monde. World of Warcraft, jeu au succès planétaire, a ainsi mis en vente un chaton virtuel à 10 dollars au profit de la Croix-Rouge américaine. Et ça valait le coup : 2,3 millions de dollars (1,7 million d’euros) ont ainsi été récoltés.
Les plus fauchés peuvent se rabattre sur WeTopia, un jeu Facebook permettant de donner à des associations caritatives sans débourser un centime. Le but est de construire un village responsable et de récolter des «points de joie» convertibles en dons, bien réels, financés par les annonceurs du jeu.
Le simple fait de passer du temps à jouer peut donc permettre de soutenir de bonnes actions. Le potentiel est immense quand on sait que, chaque semaine, trois milliards d’heures sont passées devant des jeux vidéo… Un chiffre en constante augmentation. Mais insuffisant, si l’on en croit Jane McGonigal, chercheuse à l’Institute for the Future : «Si nous voulons résoudre des problèmes comme la faim, la pauvreté, le changement climatique, la guerre ou l’obésité, il faudrait atteindre vingt-et-un milliards d’heures par semaine d’ici la fin de la décennie», a-t-elle déclaré sans ciller face aux rires de son auditoire lors d’une conférence TED en mai 2012, rencontre annuelle de «propagateurs d’idées» organisée en Californie.
Car, en plus de lever de l’argent, les jeux vidéo amènent le joueur à réfléchir, progresser et innover. «On participe, on essaie, on échoue, on répète, on se dépasse : on prend plaisir à surmonter des obstacles. Le tout avec une récompense immédiate, ce qui est extrêmement gratifiant», explique Julian Alvarez, responsable de LudoScience, un laboratoire de recherche sur les jeux vidéo. Une énergie dont s’est emparée l’ONU : après avoir lancé Freerice, un quiz basique permettant de «récolter» des grains de riz pour les plus démunis, les Nations unies utilisent désormais le jeu de construction Minecraft pour aider les habitants des bidonvilles à s’impliquer dans l’aménagment du territoire en leur permettant de reconstruire leur quartier virtuellement.
Handicapé.
Le divertissement n’est donc plus l’unique objectif, en témoigne la multiplication des serious games, conçus pour sensibiliser le public à une cause. Spent, lancé par une ONG américaine, place le joueur dans la peau d’un parent célibataire expulsé de son logement avec 1 000 dollars en poche. Objectif : finir le mois. Un pari bien plus complexe qu’il n’y paraît, amenant à prendre des décisions difficiles. Et, in fine, à mieux comprendre la spirale de la pauvreté. Même démarche du côté d’Ubisoft, qui a développé Handigo avec Handicap International. Le joueur se met dans la situation d’un handicapé moteur qui doit affronter les obstacles du quotidien. «Nous pensons que le jeu vidéo est un média et qu’il peut contribuer à faire passer des messages», affirme-t-on chez le studio français.
Et pourquoi pas à sauver des vies ? C’est en tout cas le pari des autorités américaines qui viennent de lancer Disaster Hero, un jeu pour apprendre à réagir face à des catastrophes naturelles comme Katrina ou Sandy. Et qui sait combien de morts seront évitées grâce à Freedom HIV-AIDS, jeu pour mobiles consacré à la prévention du sida, téléchargé par des millions d’Indiens ?
Avec l’essor des téléphones portables, notamment dans les pays en développement, la planète comptera en 2020 plus d’1,5 milliard de joueurs réguliers. De quoi sauver plus que des mondes virtuels.»