Gaël Masquet. OpenStreetMap. France

In Libération
Conquistador du Data territoire. Portrait de Gaël Masquet
CE DÉFENSEUR DU LIBRE VEUT FAIRE GRANDIR LA CARTOGRAPHIE OPEN SOURCE.
Par GABRIEL SIMÉON

« De retour au Numa après une tournée aux Antilles, Gaël Musquet serre des mains, plaisante dans les couloirs. Dans cette place forte du numérique parisien, cet adepte du logiciel libre et de l’open data est chez lui parmi les développeurs, start-uper et autres graphistes free-lance. Sa casquette de président de la communauté française d’OpenStreetMap (OSM), la carte numérique libre et collaborative lancée par le Britannique Steve Coast en 2004, l’a rendu incontournable. «J’ai un rêve : voir émerger l’Airbus de la cartographie en ligne pour faire face au Boeing qu’est Google Maps», lance-t-il, tel un Martin Luther King de la donnée libre.

CYCLISTES. Malgré les «sollicitations permanentes» à quelques semaines de lâcher les rênes de l’antenne française d’OpenStreetMap pour se consacrer à des projets «plus concrets toujours au sein d’OSM», ce Guadeloupéen de 33 ans reste zen : «La première force d’OSM, ce sont les hommes et les femmes qui y contribuent, qui vérifient, ajoutent, corrigent.» Ils seraient plus de 3 000 bénévoles actifs en France, geeks, cyclistes, randonneurs ou moines, traçant chaque jour plus de 1 000 kilomètres de routes, chemins et autres limites d’évêchés sur le modèle de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Résultat : une carte mondiale, dans l’ensemble précise, riche et actualisée. Et surtout libre d’accès et d’utilisation.
«Cette démarche citoyenne change le rapport au territoire, estime Gaël Musquet. Certains tentent de renseigner la présence de passages piétons, d’installations sportives ou de défibrillateurs, de relier les noms de rues à leurs fiches Wikipédia.» Car ce qui se joue derrière cette réalisation va bien au-delà de la recherche d’itinéraire. «C’est un devoir de redonner toutes ces informations au citoyen, l’Etat et Google ne doivent pas en avoir le monopole. Sans logiciel libre, pas d’Internet ; sans données libres, pas de GPS, rappelle-t-il. Une carte ouverte favorise aussi l’émergence d’un écosystème d’innovation. Industriels et start-up peuvent récupérer ces données pour créer de nouveaux services et parfois améliorer la carte. C’est un cercle vertueux.» Le média social américain Foursquare a déjà basculé une partie de ses services sur OpenStreetMap. La SNCF, en plein recensement cartographique des 300 gares d’Ile-de-France, serait «fan». Le service a aussi démontré son utilité dans la gestion des crises humanitaires en mobilisant des communautés afin de faire ressortir les zones en manque de vivres ou de matériels.
Pour comprendre l’origine de l’engagement de Gaël Musquet en faveur de l’open data et de la cartographie, il faut revenir en 1989, l’année où sa Guadeloupe natale est ravagée par le cyclone Hugo. Arrachée à la colline voisine par de terribles rafales, une énorme cuve termine son vol sur la façade de la maison familiale. Sans faire de victimes mais causant suffisamment de dégâts pour marquer le gamin. « Le ciel avait une couleur rougeâtre apocalyptique. J’ai vu l’œil du cyclone.» Il se jure de tout faire pour améliorer la vie des insulaires. Au lycée il est comblé lorsqu’il accède enfin à ses premiers « Data », des relevés infrarouges des cyclones approchant les côtes. Il opte pour la météorologie et veut la faire rimer avec redistribution: à 16 ans, il crée des scripts pour récupérer automatiquement les corrigés d’exercices sur l’ordi de son prof de «méca» (ensuite partagés avec la classe); à 21 ans, il met au point des capteurs permettant d’évaluer la hauteur des nuages. «J’échangeais des mails avec les ingénieurs du Goddard Space Flight Center [l’agence météo de la Nasa] mais j’étais loin d’avoir la même relation avec les météorologues français.
Après des passages en école d’ingénieurs et à la fac sur le Vieux Continent, il décroche un poste de chargé d’étude pour le compte du ministère de l’Ecologie dans un centre près d’Aix-en-Provence. C’est là qu’il découvre OpenStreetMap : «J’avais besoin de fonds cartographiques pour valider des scénarios d’implantation de giratoires dans des zones d’activité, mais ceux qui m’intéressaient n’étaient pas à jour sur OSM, l’IGN et encore moins sur Google Maps.» Avec ses deux enfants, il s’amuse alors à dessiner lui-même des bouts de carte. L’association d’entreprises parisiennes Silicon Sentier le repère et lui propose d’œuvrer à structurer la communauté naissante des « open cartographes » français. […]