Jean François de Troy. La lecture de Molière


La lecture de Molière, Jean François de Troy,* vers 1728, Oil on canvas, 72.4 x 90.8 cm; Collection late Marchioness of Cholmondeley, Houghton. Les salons littéraires parisiens. On est dans la thématique de l’article d’Anne Querrien «Affleurements de la subjectivité rebelle» (ci-dessus-dessus).

Anne Querrien «Affleurements de la subjectivité rebelle», paru dans Multitudes, n°39, 4, 2009 >
«L’auteur de cet article a choisi de croiser une reprise de la question de l’espace public d’Habermas à Negt, avec une réflexion sur une pratique nouant expérience de vie (de cité) et et quête du vivre ensemble. Pour cela, elle déambule entre période révolutionnaire et mode de vie urbain, l’angle de vue est ainsi d’une grande proximité avec la pensée de Negt.» http://www.cairn.info/revue-multitudes-2009-4-page-212.htm
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* citation extraite du texte:

«La notion de maître ou de maîtresse de maison, d’activation de la mise en espace public, est fondamentale, car le rassemblement d’hétérogénéités est au mieux indifférence mais le plus souvent conflit ouvert, voire violent, dès lors que la situation n’est pas instituée, mise en perspective, formée. Habermas l’explique très bien dans le cas de l’espace public bourgeois naissant en France au XVIIIe siècle. Dans l’espace public au sens classique du terme, l’espace non privé, visible de tous, le frayage commun entre personnes de l’aristocratie ou du clergé avec des personnes du Tiers État était interdit par le roi. Ce n’est que dans des espaces privés, chez quelqu’un invitant nominativement ses amis, que cet interdit royal de fréquentation pouvait être levé. L’espace public bourgeois prérévolutionnaire, la fusion des trois ordres en un seul corps constituant, ne pouvait être anticipé, rendu visible, concret, qu’en privé, dans un salon. Ce salon était en général tenu par une femme, qui en avait d’autant plus la capacité qu’elle n’était pas pensée par ces Messieurs comme pouvant être citoyenne. Cette capacité féminine est fondée sur des compétences tout à fait hétérogènes à ce qui va faire l’objet de l’espace public – la discussion d’œuvres littéraires et politiques – comme l’achat des victuailles et de boissons, l’art de mettre la table, de disposer les fauteuils, bref de tout faire ce qui peut faire advenir quelque chose chez les autres.
Autre élément de l’espace public habermassien bourgeois et prévolutionnaire français : ces personnes des trois ordres qui enfreignent l’interdit royal le font pour venir discuter d’œuvres non encore publiées, à l’état de brouillons, et qui veulent toutes remettre aussi en cause l’ordre existant. Il est proposé d’y apporter à chacun sa petite pierre par des corrections marginales, de participer au grand œuvre intellectuel des Lumières. Les petits fours se chargent de parfums conspirateurs, si comme l’ont dit les Italiens à Bologne en 1977, « Conspirer c’est respirer ensemble ». On conspire, on respire ensemble l’air du commun, à peu de frais, et on valide ceux qui configurent ce commun par leurs écrits. Il s’agit de la constitution d’une subjectivité rebelle, de la production d’un « espace public oppositionnel », qui va être catapulté dans la révolution, dans la transformation des États généraux en Assemblée constituante, et transformer ses membres en aspirants à gouverner. C’est à ce moment du passage à la fonction gouvernementale que s’accroche Habermas : l’espace public aux contours indéfinis, même s’il était limité pratiquement à quelques salons, devient brutalement l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, une arène à laquelle ne peuvent participer que des hommes sélectionnés par l’élection et ayant témoigné pour cela d’une fortune et d’une culture certaines. L’espace public bascule dans l’espace de l’homogénéité bourgeoise, quelle que soit la diversité des partis politiques appelés à discuter ensemble.»