Mercredi 22 juillet 2009. Vals végétal.

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Un chèvrefeuille à taille humaine, courbé sur la clôture ordinaire d’un jardin peu entretenu d’une maison particulière du village de Vals. Trois séquences:
1.
«Le Jardin de Julie» dans La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, quatrième partie, lettre 11 (extrait):

«Je me mis à parcourir avec extase ce verger ainsi métamorphosé ; et si je ne trouvai point de plantes exotiques et de productions des Indes, je trouvai celles du pays disposées et réunies de manière à produire un effet plus riant et plus agréable. Le gazon verdoyant, mais court et serré, était mêlé de serpolet, de baume, de thym, de marjolaine, et d’autres herbes odorantes. On y voyait briller mille fleurs des champs, parmi lesquelles l’œil en démêlait avec surprise quelques-unes de jardin, qui semblaient croître naturellement avec les autres. Je rencontrais de temps en temps des touffes obscures, impénétrables aux rayons du soleil, comme dans la plus épaisse forêt ; ces touffes étaient formées des arbres du bois le plus flexible, dont on avait fait recourber les branches, pendre en terre, et prendre racine, par un art semblable à ce que font naturellement les mangles en Amérique. Dans les lieux plus découverts je voyais çà et là, sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses, de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de noisetier, de sureau, de seringa, de genêt, de trifolium, qui paraient la terre en lui donnant l’air d’être en friche. Je suivais des allées tortueuses et irrégulières bordées de ces bocages fleuris, et couvertes de mille guirlandes de vigne de Judée, de vigne vierge, de houblon, de liseron, de couleuvrée, de clématite, et d’autres plantes de cette espèce, parmi lesquelles le chèvrefeuille et le jasmin daignaient se confondre. Ces guirlandes semblaient jetées négligemment d’un arbre à l’autre, comme j’en avais remarqué quelquefois dans les forêts, et formaient sur nous des espèces de draperies qui nous garantissaient du soleil, tandis que nous avions sous nos pieds un marcher doux, commode et sec, sur une mousse fine, sans sable, sans herbe, et sans rejetons raboteux. Alors seulement je découvris, non sans surprise, que ces ombrages verts et touffus, qui m’en avaient tant imposé de loin, n’étaient formés que de ces plantes rampantes et parasites, qui, guidées le long des arbres, environnaient leurs têtes du plus épais feuillage, et leurs pieds d’ombre et de fraîcheur. J’observai même qu’au moyen d’une industrie assez simple on avait fait prendre racine sur les troncs des arbres à plusieurs de ces plantes, de sorte qu’elles s’étendaient davantage en faisant moins de chemin. Vous concevez bien que les fruits ne s’en trouvent pas mieux de toutes ces additions ; mais dans ce lieu seul on a sacrifié l’utile à l’agréable, et dans le reste des terres on a pris un tel soin des plants et des arbres, qu’avec ce verger de moins la récolte en fruits ne laisse pas d’être plus forte qu’auparavant. Si vous songez combien au fond d’un bois on est charmé quelquefois de voir un fruit sauvage et même de s’en rafraîchir, vous comprendrez le plaisir qu’on a de trouver dans ce désert artificiel des fruits excellents et mûrs, quoique clairsemés et de mauvaise mine ; ce qui donne encore le plaisir de la recherche et du choix.»

2.
Ce rapport de « personne à personne » avec ce chèvrefeuille très embaumant, là dans la rue, à Vals, renvoie à ce désir d’incorporation d’un parfum, commun à une belle personne et à une belle plante et, au-delà, à ce récit anthropologique symbolique originaire de Françoise Héritier, Une pensée en mouvement (3)  fondé sur le rapport de la personne au végétal et à l’alimentation même. (pp. 77-78)

«Il existait chez les bouddhistes, au Ve siècle ap. JC, une ascèse pour parvenir à l’état de bienheureux. Elle consistait à se priver progressivement de nourriture. Les jeunes enfants étaient privés de nourriture carnée, puis progressivement l’ascèse concernait les légumineuses, puis les « sept céréales », supprimant peu à peu toutes les nourritures végétales.
Après un certain nombre d’années marquées par ces étapes à franchir, l’individu ne se nourrissait plus que d’écorces, de gommes, de résines, de thym, de fleurs qui étaient censées le transformer en une jarre pleine d’encens. Son corps devenait alors un réceptacle d’huile parfumée. L’homme enfin prêt, se destinait à la crémation de son vivant pour devenir bienheureux et sauver le monde.
On construisait dans la montagne un immense bûcher. La foule venait en masse pour contempler ces hommes, généralement âgés d’une trentaine d’années, s’installer dans la position du lotus et exhaler tous les parfums de la terre en brûlant. Seuls les bras, les jambes et la tête étaient censées brûler. On retrouvait le tronc, tel un vase dispensateur de richesses.»

3.
Vals, vue générale

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Vals, les foins faits en famille: un corps à corps jardiniste et productif entre personnes et végétaux.

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Sur l’autre versant, des chalets-granges à foin. Les vaches sont invisibles, elles paissent plus en hauteur…