«Rousseau est le philosophe du farniente, qui consiste à prendre congé de la réalité elle-même. Le but est de n’avoir aucune activité, de ne penser à rien, mais d’habiter pleinement le présent, sans se dissiper au dehors, ni se sentir écartelé entre souvenirs du passé et appréhension du futur. Le temps devient alors lui-même vacance, une sorte de parenthèse où l’on jouit avec délice du simple fait d’être en vie, sans désir ni crainte. Et «tant que cet état dure, celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux» (Rêveries du promeneur solitaire). Bulle existentielle, bonheur amniotique, le farniente n’est rien d’autre que le plaisir d’être tout à soi.» in Philosophie magazine, n°91, été 2015, p. 74
«Quand le soir approchait je descendais des cimes de l’île et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac sur la grève dans quelque asile caché ; là le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l’instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m’offrait l’image : mais bientôt ces impressions légères s’effaçaient dans l’uniformité du mouvement continu qui me berçait, et qui sans aucun concours actif de mon âme ne laissait pas de m’attacher au point qu’appelé par l’heure et par le signal convenu je ne pouvais m’arracher de là sans effort.» Rousseau, Cinquième promenade.