Arnauld Pierre. Notes sur l’art optico-cinétique

Retranscriptions de notes manuscrites prises lors de l’exposé d’Arnauld Pierre Notes, invité du séminaire d’Emanuele Quinz à l’Ensad. Photos d’images projetées lors de cet exposé. LT

Arnauld Pierre :
Les objets à comportement sont pour moi des objets qui induisent des comportements. Dans les années 50-60, les attitudes contemplatives sont mises en question. L’art optico-cinétique induit de nouveaux types de comportement.

Quatre sous-parties:
1. La manipulation
2. L’opticalité poussé jusqu’au vertige de l’hyper-opticalité
3. Un art qui concerne le corps du spectateur
4. La modélisation du comportement à travers la cybernétique

En avril 1955, Denise René ouvre une exposition intitulée Le Mouvement. Les antécédents sont Marcel Duchamp, Rotative plaques verre, 1920, les mobiles de Calder, 1932.
 Les artistes exposés sont Agam, Tinguely, Vasarely, Soto. L’art cinétique = mouvement. Le terme est mal choisi. L’art cinétique concerne le spectateur, et les nouveaux modes de comportement devant l’œuvre.

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Le manifeste jaune de Roger Bordier intitulée «L’œuvre transformable»

Ce manifeste est 
publié dans le catalogue dépliant «Le Mouvement», galerie Denise René, 1955 
:

« Nous voici donc devant l’œuvre transformable. Qu’il s’agisse de la mobilité de la pièce elle-même, du mouvement optique, de l’intervention du spectateur, en fait, l’œuvre d’art est devenue, de par sa propre substance, de part sa propre nature, constamment et peut-être indéfiniment recréable. Peinture ou sculpture —encore qu’il devienne ici de plus en plus difficile de l’apparenter à l’un ou à l’autre genre— elle s’est délivrée de son caractère immuable, de sa totale fixité, de cette contrainte de la composition définitive que nous nous plaisions à lui reconnaître. »

1. La manipulation

Arden Quin, Coplanal n° 1, 1945. Désacralisation de l’œuvre d’art en faisant participer le spectateur
http://issuu.com/miguelmanrique/docs/cat__logo_arden_quin_web
Gyula Kosice, Royï, 1944 http://www.malba.org.ar/wp-content/uploads/2014/04/Kosice.pdf
Gyula Kosice et l’art concret, au Centre Pompidou
https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/c5pA9eB/r6rdMxb

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Agam, avec Tactile sonore, 1960, lié à la musique concrète, est proche de Boulez. Il dépasse le visuel pour aller vers la polysensorialité. Le Cœur battant, oscille différemment selon l’endroit où on le touche, ce qui fait dire à l’artiste : « aux trois dimensions de l’espace, j’en ajoute une quatrième, celle du temps ».

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Pol Bury. Préface à 10 plaques mobiles, Galerie Apollo

«En construisant des plans mobiles, Pol Bury a poussé jusqu’à leurs plus extrêmes conséquences deux notions que l’art abstrait impliquait depuis quarante ans: la ruine de la pesanteur des formes et l’éclatement de leurs cadres.»
Pour Bury, le mouvement est un moyen et une conséquence. Il y a d’autres objectifs, offrir l’objet au manipulateur. Bury fait des sculptures cinétiques en 1954. Il connaît le groupe Madi. Puis il renie sa sculpture cinétique, conteste le toucher, stade infantile:
« En 1953, faire intervenir le spectateur était une idée idyllique. Lui qui, pendant des siècles, avait gardé ses distances, respectueux […] se trouvait tout à coup les brides sur le cou, ou presque. Fraternellement, l’auteur lui demandait de l’aider à opérer un choix parmi les propositions qui lui étaient faites, mais ce choix opéré, de retourner à son ancienne place et de redevenir le spectateur d’antan. Ce qui lui était à la fois trop et trop peu. […] La participation est devenue, par la suite, plus une bannière qu’un moyen. Dans son esprit, tout ce qui n’est plus un tableau est devenu palpable. A tout prix, il faut qu’il touche, intervienne. Beaucoup de regardeurs ont atteint ce stade infantile. N’iront-ils pas jusqu’à sucer les protubérances?»
 Si la participation du spectateur a révélé de nouvelles possibilités pour les arts visuels, elle en a aussi mesuré les limites. Par exemple, les rares propositions d’utilisation du toucher, qui est un sens comme un autre. Malgré l’impact, l’intérêt qu’elles ont pu susciter, il n’en reste rien.»

2. L’opticalité poussé jusqu’au vertige de l’hyper-opticalité

La vision plus noble de l’art optico-cinétique est la lumière.

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Soto, Structures cinétiques, 1956. Exposition à la Galerie Denise René

L’art optique de Soto, Spirale 55 est inspirée de Duchamp. Soto est fasciné par Rotative demi-sphère de Duchamp, 1925, mais est gêné par le moteur. L’effet de moire se renforce quand on passe devant l’œuvre. Il utilise «l’œil comme moteur», met le spectateur en mouvement.
 Vasarely participe à l’accrochage de l’exposition de 1956. Les structures sont alignées sur une bande noire, sollicitant le déplacement latéral du spectateur devant les œuvres.

Yvaral, Relief. Accélération optique, régime visiomoteur de l’art cinétique.
 Accélération optique, 1964, Interférence, 1966

Julio Le Parc. L’effet du mouvement le plus faible a un effet sidérant, donne un confort somesthésique au spectateur. Cercles fractionnés, 1965.

Victor Vasarely. Mur cinétique pour l’anneau de vitesse de Grenoble. Les cibles diffractées se mettent en phase avec la vitesse des patineurs.
Projet visiomoteur. Il s’agit d’engager le regard dans cette accélération, de se mettre en syntonie avec l’accélération du monde moderne.

Antonio Asis, 1965. Vibrations de couleurs
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Le groupe N à Padoue, 1964. Stuttura dinamica. Vertige optique. Forme d’inconfort. L’œuvre peut être mal reçuz par le public. Sorte d’agressivité, le moiré allant jusqu’au vertige.

3. Un art qui concerne le corps du spectateur

Gerald Oster et Yasunori Nishijima. Moiré Patterns, 1963. They are produced when figures with periodic rulings are made to overlap. A study of their basic properties reveals that they can illuminate many problems of scientific interest.
http://blogs.scientificamerican.com/sa-visual/2014/09/15/art-and-science-of-the-moire/

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The science of Moiré Patterns, 1964, Psychedelic Review n°7, 1966
Timothy Leary et Gerald Oster reprennent les effets de moiré interprétés du côté du psychédélisme. Film de Roger Corman, The Trip, 1967. Projection sur le corps. https://www.youtube.com/watch?v=iwuTEV2G1HU

La prisonnière d’Henri Georges Clouzot, 1968. Folie et hypnose dans un environnement artistique optico-cinétique.  Yvaral et Joël Stein y participent. Le film est tourné dans l’exposition Nouvelles tendances.

4. Modélisation du comportement à travers la cybernétique

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Grey Walter. Le Cerveau vivant, 1954. Actualité pédagogique et psychologique.

Brion Gysin, La Dream Machine se réfère à Grey Walter. Phase hallucinatoire. On bascule dans un régime sensoriel, dans un régime d’inconfort. On ne peut pas séparer l’œil du corps. L’instabilité que travaille le GRAV part de l’œil.
1961. Le GRAV. De l’instabilité visuelle. Le spectateur va être déséquilibré physiquement. Labyrinthe. Dalles mobiles. Une journée dans la rue. Parcours  à volume variable.

Gianni Colombo, Studio Marconi, Topostesia, 1965. Sensation du lieu, vocabulaire de l’architecture.
Claude Parent est l’artiste du Pavillon français à la biennale de Venise, 1970. Retour de l’architecture, la place du corps dans des environnements immersifs.
Pénétrables de Soto : pénétration dans la couleur vibrante, au Musée Guggenhein en 1974.

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James J. Gibson, Tilting room titling chair chair test, 1966, The Senses considered as perceptual systems.

Référence : H.A. Witkin, Psychological differentiation, studies of development. Psychologie antigestaltique.

Nicolas Schöffer
Cybernétique Spatio Dynamique, CySp 1, 1956.
«La sculpture spatiodynamique et cybernétique CYSP 1 est la première sculpture qui réalise dans sa totalité les principes du spatiodynamisme. Ce mouvement, que j’ai créé en 1948, a pour but la libération totale de la sculpture. Les conditions de cette libération sont :
 la suppression des volumes opaques et l’utilisation exclusive de l’ossature apparente contrepointée par les rythmes des éléments plans; l’utilisation de la couleur et des sons extraits par percussion de la sculpture même, enregistrés et diffusés électroniquement; et finalement, le mouvement autonome, organique, disons même intelligent, grâce à la cybernétique, qui permet à la sculpture d’offrir aux spectateurs un spectacle toujours varié et différent réalisant dans un seul objet une synthèse totale entre la sculpture, la peinture, la chorégraphie, la musique et le cinéma.»
Il travaille avec Philips. Ambiance programmée. La sculpture de Schöffer est conçue comme un acteur dans un cadre théâtral. http://www.olats.org/schoffer/archives/cyspf.htm

Le Lumino (élément des murs lumière de Schöffer) est une cellule luminocinétique.
Ce 
design de lumière crée une ambiance lumineuse intelligente et ouvre sur la domotique, la maison spatiodynamique. En 1953, il  juxtapose deux ambiances par une cloison sonore. Il y a une forme de fonctionnalisme, chez Schöffer qui veut transformer la vie, une forme d’esthétique éthique.