Philippe Descola. La composition des collectifs : formes d’hybridation

1er cours : https://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2018-01-31-14h00.htm
Citation de Marcel Mauss, reprise de La Composition des mondes,par Philippe Descola, Pierre Charbonnier
« Ph. D. — Il est vrai que le terme « ontologie » a fait florès, notamment dans le monde anglophone après que Par-delà nature et culture eut été traduit. De sorte que l’on a fait de moi, avec Bruno Latour et Eduardo Viveiros de Castro, l’un des acteurs d’un « tournant ontologique » qui suscite pas mal de débats chez les anthropologues et les philosophes, comme entre ces deux communautés. Pour moi, l’expression la plus juste pour parler des différentes formes de composition du monde, c’est-à-dire de l’architecture de ces rapports de continuité et de discontinuité entre les êtres que je décrivais il y a un instant, est « mode d’identification ». C’est en réalité une terminologie que j’ai empruntée à Marcel Mauss, quand il écrit que « l’homme s’identifie aux choses et identifie les choses à lui-même en ayant à la fois le sens des différences et des ressemblances qu’il établit ». En faisant varier les modalités de ces identifications élémentaires structurant le rapport à soi et à l’autre, j’ai essayé de décliner l’économie fondamentale des interactions avec le monde. C’est à travers ces processus que les humains s’identifient en tant que tels, comme une classe d’être spécifique, en mettant l’accent sur diverses formes de ressemblance ou de dissemblance avec d’autres êtres, dont l’opposition entre nature et culture n’est que l’une des variantes possibles. Une ontologie, pour moi, c’est simplement le résultat institué d’un mode d’identification, la forme particulière, repérable dans des discours et des images, que prend à telle ou telle époque et dans telle ou telle région du monde l’un des quatre régimes de continuité et discontinuité. Pour prendre un exemple, il y a bien de multiples différences entre l’ontologie de la Chine classique et l’ontologie de la Grèce ancienne, c’est-à-dire dans le nombre et la nature des êtres identifiés, dans les formes de relation qu’ils entretiennent, dans les types de réseaux qu’ils constituent, dans les clés qui les rendent interopérables; mais les principes mêmes de constitution de ces ontologies sont réductibles au même mode d’identification, que j’ai appelé l’analogisme. »