Francois Roustang : Installez-vous dans votre statut d’organisme vivant

Hors champs de Laure Adler avec François Roustang, hypnothérapeute. 9 janvier 2012.
http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-francois-roustang-2012-01-09 [Ceci est une retranscription partielle des seuls propos de FR, pour mémoire. FR s’est débarrassé de toute croyance religieuse par la psychanalyse, et par elle, il est arrivé à l’hypnose. Tout est dit sur FR in http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Roustang. Il y a quelques vidéos sur dailymotion. L’hypnose semble un peu périlleuse mais paradoxalement innovante au regard de la pratique psychiatrique ordinaire.]

François Roustan:
[Confession à la chrétienne et analyse psychanalytique]: «Dans les deux cas, il y a dialogue mais dans la confession, on s’accuse de fautes qu’on a faites, en psychanalyse, on dit tout et n’importe quoi, c’est ça qui peut être efficace —Foucault s’est trompé en les comparant— quand on est à confesse, on trie les choses et on choisit ce qu’on a envie de dire; en psychanalyse, on ne choisit pas, on parle comme on déparle sans aucune retenue, ça n’a rien à voir et les effets ne sont pas les mêmes non plus. On ne s’adresse pas à une puissance supérieure en psychanalyse, alors qu’en confession, on ne s’adresse pas au prêtre, on s’adresse à Dieu. En psychanalyse, espérons qu’on ne s’adresse pas à soi-même. On parle à la cantonade. On ne sait pas ce que l’on dit, on ne sait pas à qui l’on parle. Si c’était un moi, alors là on tournerait en rond. Si c’était un ‘il’ qui parle, alors là il y aurait une possibilité de délivrance. On parle n’importe qui et en un sens, on ne parle pas. Le secret de la psychanalyse, c’est de parler un langage que personne ne comprend, on déparle.
 Déparler en français, ça veut dire parler sans interruption mais on peut en donner un autre sens, déparler, ça veut dire défaire le langage de tout sens, pour moi, c’est ça qui est fondamental en psychanalyse, c’est qu’on ne sait plus ce que l’on dit et que le langage n’a pas de sens. C’est dans cette ligne-là que j’ai pratiqué l’hypnose. On ne cherche pas un sens. L’erreur de base, c’est de vouloir comprendre alors qu’il ne s’agit pas du tout de comprendre, il s’agit d’emporter le langage de telle sorte qu’il fasse apparaître autre chose que lui-même. C’est ça qui est fondamental. […]
Ce n’est pas tellement la parole qui a marqué un tournant dans ma vie, ça a été au cours de l’analyse, une explosion de vitalité. C’est ça pour moi, l’analyse, au bout de 2 ans d’analyse [avec Serge Leclaire], j’ai fait le tour et j’ai changé de vie.
[…] Tout ce qui est décision d’être psychanalyste, ou la forme que l’on peut adopter comme psychanalyste, cela relève de l’individu lui-même. C’est une affirmation. Aujourd’hui, j’affirme que je suis un homme libre. C’est le point le plus important. Quand je décide quelque chose, je décide quelque chose, quitte, l’instant d’après, à me poser des questions sur cette décision que j’ai prise. Je n’ai pas arrêté, comme psychanalyste, à me poser des questions sur ce que je faisais et sur l’efficacité de mon travail. C’est pour ça que j’ai bifurqué après un certain nombre d’années. On peut à la fois affirmer: ‘Je suis là, voilà ce que je fais et je le fais entièrement et en même temps dans l’instant d’après et même dans cet instant-là, dire: ‘est-ce que je me trompe’. ‘Un psychanalyste ne s’autorise que de lui-même’ disait Lacan [rappelle LA) et là je suis en accord avec ça et Lacan a eu tout cet aspect-là de libérer le psychanalyste de toute soumission quelconque, y compris à sa doctrine ou à sa théorie.
[…] Je participe à des formations de thérapeute, récemment je leur ai dit: ‘Il y a une qualité que doit avoir un thérapeute, c’est d’acquérir une sensibilité, pas une sentimentalité, mais une sensorialité, c’est le mot de Keats ‘Délivrez-nous des idées, donnez-nous des sensations’. Si la formation consistait à apprendre à percevoir, apprendre à soupçonner, apprendre à sentir, ce serait suffisant, parce que c’est à travers ça que l’on peut aider quelqu’un même parfois lui dévoiler là où il en est, parce que très souvent, la personne croit qu’elle vit telle et telle chose, alors qu’elle est en train de vivre toute autre chose et c’est au thérapeute d’éveiller en elle une autre forme de sensorialité.
[Savoir attendre: pour que la vie change, titre d’un livre de FR.]
Ce qui est fondamental, c’est que nous vivons sur deux registres différents, un registre où nous sommes conscients de ce que nous faisons et où nous agissons dans notre vie, dans la société, par rapport aux autres. Et puis un autre domaine où nous sommes amenés à percevoir une multitude de choses que la plupart du temps nous ne percevons pas. C’est en vivant à travers ces deux registres ou en apprenant à vivre sur cet autre registre qu’une vie peut se transformer. J’ai envie de dire que ce sont les créateurs, les vrais peintres, les vrais musiciens, les vrais sculpteurs, ce sont eux qui comprennent d’entrée de jeu comment on peut vivre sur deux niveaux différents, et comment la vie peut être transformée dès lors qu’on se laisse aller à soupçonner et à sentir les choses les plus subtiles qui sont autour de nous et en nous. 
La personne qui vient me voir se sent disponible pour un changement. Elle sait que la solution est là. Installez-vous dans ce lieu où vous avez trouvé la solution.
 Le thérapeute fait remarquer à quelqu’un qu’il sent lui-même sa force vitale, mais il ne prend pas la place de l’autre.
[…] Je suis venu à l’hypnose par l’intermédiaire de la psychanalyse. Je suis venu à l’hypnose parce que j’ai découvert le transfert, la dimension certainement hypnotique du transfert, dont on ne sort pas facilement et puis dans la cure même. J’ai écrit un article ‘Suggestion au long cours’, dans la Nouvelle Revue de psychanalyse. […] Puis je me suis initié avec Milton Erickson aux Etats-Unis. […]

[Psychanalyste versus hypnothérapeute]

Je pense que l’anamnèse, —que quelqu’un raconte son histoire—, ça n’a aucun intérêt, aucune efficacité, que le langage peut être mis de côté et que tout l’effort, si on se met à parler dans une psychothérapie, c’est, à un moment, pour se taire. C’est ça qui est efficace, parce que pour moi, ça se résume de façon très très simple à une chose: ‘Vous voulez guérir / Oubliez que vous êtes un humain / Devenez un animal’.

« L’arbre de Monlési », 15 août 2007, de 17h à 18h. La route s’élargit pour que les voitures — ou les tracteurs — puissent se croiser.

A des gens qui viennent me voir je dis :
‘Est-ce que vous souhaitez vraiment aller mieux, vous transformer, eh bien oubliez vos pensées, oubliez que vous avez un vouloir à votre disposition, et tout simplement installez-vous dans votre statut d’organisme vivant’. ‘La guérison n’est pas un but, elle vient par surcroît’, disait Lacan. Elle vient dans la mesure où précisément je change complètement de visée, je ne cherche pas à guérir, je cherche à me mettre dans la position d’un organisme vivant qui se laisse influencer par son environnement. Et pour ça, je dois oublier même d’une certaine façon que je suis là, je dois me laisser être là comme une souche ou comme une pierre, comme un rocher. Si je peux faire ça, oublier que je suis un humain, alors fatalement, je vais trouver une solution. […] Vous participez, vous êtes un morceau d’univers, vous êtes vivant, ça suffit. Si vous vous installez là-dedans, vous êtes libre, comme un organisme vivant est libre. Il n’y a pas de soumission. Je me soumets à quelque chose en moi que j’ignore. Quand quelqu’un a peur de l’hypnose, c’est un bon signe, parce qu’il est proche de faire le saut. Ce n’est pas une aliénation. Je suis là comme un être vivant et c’est ça qui est ma liberté. Je ratifie cette position que j’ai dans le monde et dans ma vie […] A un moment il y a soumission quand je dis à quelqu’un, cet homme qui est venu me voir: ‘vous aviez senti que vous étiez libre, il y a eu un lieu en vous où vous êtes un homme libre et vous n’êtes plus dans le ressentiment. De fait, je fais acte d’autorité en lui disant: ‘Arrêtez-vous-là, prenez le temps qu’il faut pour être tout entier l’homme qui est en paix avec lui-même et qui n’a plus besoin de cette femme [dont il s’était séparé].

[A la question de LA: comment faites-vous pour rester si jeune?]:  http://lantb.net/figure/?p=2772
‘Être là où je suis et n’avoir plus aucune illusion sur moi-même’.

Trouvé dans le livre de François Roustang, La Fin de la plainte: la conduite automobile, ou «quand le corps pense», ou quand «la secondarité structurelle de la parole et de la pensée se prouve encore par les impératifs de l’action». pp. 136-137

«Une jeune fille vient d’apprendre à conduire. Elle dit l’angoisse qu’elle ressent à la perspective de n’avoir plus bientôt à détailler ses gestes et de devoir se laisser aller aux automatismes. Comment va-t-elle réussir à ne plus savoir ce qu’elle fait? Et pourtant il est clair que la perte de la conscience de ce qu’elle fait va seule lui permettre d’être vigilante à l’égard de sa route, des obstacles éventuels, des autres véhicules. Bref l’attention à ce qui se passe alentour est conditionnée par l’aisance inconsciente du corps à manier le véhicule. Et même cette attention portée sur l’extérieur aura tout intérêt à se faire oublier, le corps pouvant en intégrer toutes les données sans que la conscience ait à s’en mêler. Pour agir, le corps doit faire taire la parole et l’explication consciente. Mais cela ne signifie pas que l’esprit a disparu. Il est devenu corps vivant, car le corps est esprit et c’est pour cela qu’il pense à bon escient.»

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