Collection Arguments, éditions de minuit. L’étude paraît en 1922. Réédition en 1949, introduite par Karl Jaspers :«La philosophie n’a pas un champ d’étude qui lui soit propre, mais les recherches scientifiques concrètes deviennent philosophiques si elles remontent consciemment jusqu’aux limites et aux sources de notre être. […] cette analyse était simplement le moyen de trouver les points de vue où l’on doit se placer pour apercevoir les énigmes véritables et en prendre conscience.» C’est «l’originalité, le côté exceptionnel» du cerveau et de l’art de Van Gogh qui nous intéresse. [Les mots en rose signalent les débuts de paragraphe. Les mots en bleu, les mots et expressions que nous soulignons.]
Chapitre 5. pp. 220-229. D’UNE RELATION ENTRE LA SCHIZOPHRÉNIE ET L’ŒUVRE. Avant de rechercher quelle peut être la relation entre la schizophrénie et l’œuvre, il y a lieu de préciser quel sens nous donnons à cette idée très générale de relation. On peut se demander tout simplement si, chez des êtres d’exception, la schizophrénie peut être la cause ou l’une des causes de la création artistique. Le processus pathologique est-il un facteur, dans les profondeurs obscures et énigmatiques des corrélations physiologico-psychologiques, sans que l’œuvre acquière pour autant un caractère d’aliénation? Pourrait-on donc comparer en ce cas ses effets à cette ivresse légère que Bismarck pratiquait les jours où il devait parler en séance au Reichtag? Il avait remarqué qu’une certaine dose d’alcool facilitait son élocution, sans aller jusqu’à lui donner aucune nuance qui pût être attribuée à l’ébriété. Ainsi, la folie (avec une action plus durable et beaucoup plus importante sur la personnalité) serait pour l’œuvre une condition excitante sans être spécifique. En second lieu, on pourrait poser la question suivante: si l’on voit apparaître un changement dans le style d’un artiste avec la schizophrénie, n’y a-t-il pas quelque raison de voir en elle un agent spécifique de la production artistique? Dans ce cas, et puisque des effets semblables se produisent chez d’autres individus dans des conditions différentes, la schizophrénie serait-elle seule en jeu, et ne pourrait-on pas alléguer parfois la paralysie générale, une lésion cérébrale ou l’alcoolisme? Enfin, en troisième lieu, nous demanderons si l’on voit dans l’œuvre elle-même les traces de cette cause spécifique, autrement dit : l’œuvre peut-elle avoir des caractères spécifiquement schizophréniques? Traiter la seconde question, c’est sous-entendre que l’on a répondu affirmativement à la première et, de même, répondre à la troisième suppose la solution positive de la seconde. Ces réponses ne peuvent être qu’empiriques et, actuellement, étant donné le petit nombre de cas examinés, nous ne pourrons nous prononcer que provisoirement. La présente étude ne vise qu’à être une contribution et ne fait qu’entamer la discussion. Traitons nos trois questions à la lumière des faits. Lire la suite »