septembre 2015

Vous consultez actuellement les archives mensuelles pour septembre 2015.

«Je voudrais faire un livre sur Qu’est-ce que la philosophie?* À condition qu’il soit court. Et aussi, Guattari et moi, nous voudrions reprendre notre travail commun, une sorte de philosophie de la Nature, au moment où toute différence s’estompe entre la nature et l’artifice. De tels projets suffisent à une vieillesse heureuse.» Gilles Deleuze in Magazine littéraire, n° 257, septembre 1988, « entretien avec Raymond Bellour et François Ewald ». Et dans Pourparlers, 1990, p. 212

* Gilles Deleuze Félix Guattari  Qu’est-ce que la philosophie? Minuit, 1991 http://www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2024

Guattari meurt en août 1992, à 62 ans. Deleuze en novembre 1995, à 70 ans.

image
Guattari et Deleuze, début des années 70 sans doute…

 

«Entretien 1980». Propos recueillis par Catherine Clément. L’Arc, «Deleuze», n° 49, 1980

Question : — Quelle différence existe entre l’œuvre de 1972, l’Anti-Œdipe, et celle de 1980, Mille plateaux ?

Gilles Deleuze : — La situation de l’Anti-Œdipe était relativement simple. L’Anti-Œdipe traitait d’un domaine familier, reconnu: l’inconscient. Il proposait de remplacer le modèle théâtral ou familial de l’inconscient par un modèle plus politique: l’usine, au lieu du théâtre. C’était une sorte de «constructivisme» à la russe. D’où l’idée de production désirante de machines désirantes. Tandis que Mille Plateaux est plus compliqué, parce qu’il essaie d’inventer ses domaines. Les domaines ne préexistent plus, ils sont tracés par les parties du livre. C’est la suite de l’Anti-Œdipe, mais la suite en air libre, «in vivo». Par exemple, le devenir animal de l’homme, et son enchaînement avec la musique…



Q. — Est-ce qu’il n’y a pas aussi des différences circonstancielles entre les deux livres ?

G. D. — Certainement. L’Anti-Œdipe est après 68 : c’était une époque de bouillonnement, de recherche. Aujourd’hui il y a une très forte réaction. C’est toute une économie du livre, une nouvelle politique, qui impose le conformisme actuel. Il y a une crise du travail, une crise organisée, délibérée, au niveau des livres comme à d’autres niveaux. Le journalisme a pris de plus en plus de pouvoir en littérature. Et puis, une masse de romans redécouvrent le thème familial le plus plat, et développent à l’infini tout un papa-maman: c’est inquiétant quand on se trouve un roman tout fait, préfabriqué, dans la famille qu’on a. C’est vraiment l’année du patrimoine, à cet égard l’Anti-Œdipe a été un échec complet. Ce serait long à analyser, mais la situation actuelle est très difficile et étouffante pour les écrivains jeunes. Je ne peux pas dire pourquoi j’ai tant de mauvais pressentiments.



Q.— Soit, ce sera pour une autre fois. Mais Mille Plateaux est-il de la littérature ? Il y a une diversité de domaines abordés, ethnologie, éthologie, politique, musique etc., dans quel genre pourrait rentrer ce livre?

G. D. — Philosophie, rien que de la philosophie, au sens traditionnel du mot. Quand on demande ce qu’est la peinture, la réponse est relativement simple. Un peintre, c’est quelqu’un qui crée dans l’ordre des lignes et les couleurs (bien que les lignes et les couleurs existent dans la nature). Eh bien un philosophe, c’est pareil, c’est quelqu’un qui crée dans l’ordre des concepts, quelqu’un qui invente de nouveaux concepts. Là encore, il y a évidemment de la pensée en dehors de la philosophie, mais pas sous cette forme spéciale des concepts. Les concepts, ce sont des singularités qui réagissent sur la vie ordinaire, sur les flux de pensée ordinaires ou quotidiens. Il y a beaucoup d’essais de concepts dans Mille Plateaux : rhizome, espace lisse, hecceité, devenir-animal, machine abstraite, diagramme, etc. Guattari invente beaucoup de concepts, et j’ai la même conception de la philosophie.

Q. — Mais quelle serait l’unité de Mille Plateaux, puisqu’il n’y a plus de référence à un domaine de base ?

G. D. — Ce serait peut-être la notion d’agencement (qui remplace les machines désirantes). Il y a toutes sortes d’agencements, et de composantes d’agencements. D’une part, nous essayons de substituer cette notion à celle de comportement: d’où l’importance de l’éthologie dans Mille Plateaux, et l’analyse des agencements animaux, par exemple des agencements territoriaux. Un chapitre comme celui de la Ritournelle considère à la fois des agencements animaux et des agencements proprement musicaux: c’est ce que nous appelons un «plateau», qui met en continuité les ritournelles d’oiseau et des ritournelles comme celle de Schumann. D’autre part l’analyse des agencements, pris dans leurs diverses composantes, nous ouvre sur une logique générale: nous n’avons fait que l’esquisser, et ce sera sans doute la suite de notre travail, faire cette logique, ce que Guattari appelle «diagrammatisme». Dans les agencements, il y a des états de choses, des corps, des mélanges de corps, des alliages, il y aussi des énoncés, des modes d’énonciation, des régimes de signes. Les rapports entre les deux sont très complexes. Par exemple, une société ne se définit pas par des forces productives et de l’idéologie, mais plutôt par ses «alliages» et ses «verdicts». Les alliages, ce sont les mélanges de corps pratiqués, connus, permis (il y a des mélanges de corps interdits, ainsi l’inceste). Les verdicts, ce sont les énoncés collectifs, c’est-à-dire les transformations incorporelles, instantanées, qui ont cours dans une société (par exemple, «à partir de tel moment tu n’es plus un enfant»…)

Q. — Ces agencements, vous les décrivez, mais ils ne sont pas, me semble-t-il, exempts de jugement de valeur. Mille Plateaux, est-ce que ce n’est pas aussi un livre de morale?

G. D. — Les agencements existent, mais ils ont en effet des composantes qui leur servent de critère et permettent de les qualifier. Les agencements sont des ensembles de lignes, un peu comme dans une peinture. Or, il y a toutes sortes de lignes. Il y a des lignes segmentaires, segmentarisées; il y en a qui s’enlisent, ou tombent dans des «trous noirs»; il y en a qui sont destructrices, qui dessinent la mort; il y en a enfin qui sont vitales et créatrices. Ces dernières ouvrent un agencement, au lieu de le fermer. La notion d’abstrait est une notion très compliquée : une ligne peut ne rien représenter, être purement géométrique, elle n’est pas encore vraiment abstraite, tant qu’elle fait contour. La ligne abstraite, c’est la ligne qui ne fait pas contour, qui passe entre les choses, une ligne mutante. On l’a dit à propos de la ligne de Pollock. En ce sens, la ligne abstraite, ce n’est pas du tout la ligne géométrique, c’est la ligne la plus vivante, la plus créatrice. L’abstraction réelle, c’est une vie non-organique. L’idée d’une vie non organique est constante dans Mille Plateaux, et justement c’est la vie du concept. Un agencement est emporté par ses lignes abstraites, quand il est capable d’en avoir ou d’en tracer. Aujourd’hui on assiste à quelque chose de très curieux : la revanche du Silicium. Mais la vie des machines modernes passe par le silicium : c’est une vie non-organique, distincte de la vie organique du carbone. On parlera en ce sens d’un agencement-silicium. Dans les domaines les plus divers, on doit considérer les composantes d’agencement, la nature des lignes, les modes de vie et d’énoncé...

Q. — On peut avoir l’impression, en vous lisant, que les coupures reconnues comme les plus importantes ont disparu: la coupure culture-nature, d’une part; la coupure espistémologique d’autre part.

G. D. — Il y a deux manières de supprimer ou d’atténuer la coupure nature-culture. L’une consiste à rapprocher comportement animal et comportement humain (Lorenz l’a fait, avec des conséquences politiques inquiétantes). Nous, nous disons que la notion d’agencement peut remplacer celle de comportement, et que, par rapport à cette notion, la distinction nature-culture n’est plus pertinente. Un comportement, d’une certaine manière, c’est encore un contour. Tandis qu’un agencement, c’est d’abord, ce qui fait tenir ensemble des éléments très hétérogènes, un son, une couleur, un geste, une position, etc., des natures et des artifices: c’est un problème de «consistance» qui précède les comportements. La consistance, c’est une relation très spéciale, encore plus physique que logique ou mathématique. Comment les choses prennent-elles de la consistance? Entre des choses très différentes, il peut y avoir une continuité intensive. Quand nous empruntons à Bateson le mot de «plateau», c’est justement pour désigner ces zones de continuité intensive. 



Q. — D’où est venue cette notion d’intensité qui régit le «plateau» ?

G. D. — C’est Pierre Klossowski qui a redonné récemment aux intensités un statut très profond, philosophique et même théologique. Il en a tiré toute une sémiologie. C’était une notion très vivace dans la physique et la philosophie du Moyen Age. Elle a été plus ou moins recouverte par le privilège donné aux quantités extensives et à la géométrie de l’étendue. Mais la physique n’a pas cessé de retrouver à sa manière les paradoxes des quantités intensives, les mathématiques ont affronté les espaces non étendus, la biologie, l’embryologie, la génétique ont découvert tout un domaine de «gradients». Et là encore il n’y a pas lieu d’isoler des démarches qui seraient scientifiques ou épistémologiques. Les intensités, c’est l’affaire de modes de vie, et de prudence pratique expérimentale. C’est elles qui constituent la vie non-organique.

Q. — Cela ne sera peut-être pas toujours facile, lire Mille Plateaux?

G. D. — C’est un livre qui nous a demandé beaucoup de travail, et qui en demande beaucoup au lecteur. Mais telle partie, qui nous paraît difficile, peut paraître très facile à quelqu’un d’autre. Et inversement. Indépendamment de la qualité ou non de ce livre, c’est ce genre de livre qui est en question aujourd’hui. Nous avons donc l’impression de faire de la politique, même quand nous parlons de musique, d’arbres ou de visages. Pour tout écrivain, la question est de savoir si d’autres gens ont, si peu que ce soit, usage à faire de son travail, dans leur travail à eux, dans leur vie ou leurs projets.

http://www.cpw.org/current/mine-yours-ours/

Exhibition

MINE.YOURS.OURS. The Center for photography at Woodstock http://www.cpw.org

June 27-September 7, 2015

curated by Rachel Adams

featuring William Lamson, Melanie Schiff, Barry Stone, Richard T. Walker, and Letha Wilson with works by Aaron Siskind, Edward Weston, and Minor White

“A picture of a field can be simply a picture of a field; its significance can only be materialized by human experience.” – Tim Cresswell

Can we truly represent a place? Scores of artists, both professional and amateur, continuously attempt to answer this question. While many succeed, with our rapidly changing landscape and the overflow of natural imagery, one could argue that the significance of place has dissolved over the years. Yet landscape is closely linked to our notions of identity, history, cultural and personal memory and experience, and the artists in this exhibition capture place in new ways that reference what we once thought and still think the American landscape (truly) is.

Untitled (Mylar) from william lamson on Vimeo.