La pension de famille (devenue Musée) à Sils où Nietzsche séjourne sept étés, à partir de 1881 jusqu’en 1888.
Lecture des Lettres choisies de Nietzsche, au bord du lac de Sils ou de la difficulté d’appréhender trois concepts-clés de Nietzsche.
Genèse géolocalisée des trois concepts associés, —la «volonté de puissance», l’«éternel retour», «la conversion des valeurs»—, à travers la chronologie et les notes de Marc de Launay, associées aux Lettres de Nietzsche écrites à Sils, et à Gênes.
p. 339.
«Durant l’automne 1880, Nietzsche note les premières ébauches de sa théorie des instincts: la « volonté de puissance ».»
p. 386.
Note 3 de la lettre 55 — A Heinrich Köselitz (p. 189)
«la première esquisse de l’idée d’éternel retour date du début août « à Sils-Maria, 6 000 pieds au-dessus de la mer et bien plus haut encore au-dessus des affaires humaines! […] Dans l’œuvre publiée, on en trouvera une expression dans l’avant-dernier aphorisme de la première édition du Gai Savoir (1882), § 341.»
p. 193.
Lettre 59 — A Heinrich Köselitz, Sils-Maria, le 14 août 1881
«Le soleil d’août brille sur nos têtes, l’année s’écoule, tout devient plus calme et paisible sur les montagnes et dans les forêts. Des idées ont surgi à mon horizon, telles que je n’en avais jamais eu de pareilles —mais je ne veux rien en dire et m’en tenir moi-même à un calme inébranlable.» (1)
Note 1, p. 386-387.
«Nietzsche vient de parvenir à l’apogée de sa pensée philosophique: le couplage de la « volonté de puissance » et de l' »éternel retour » qui en est la conséquence logique. Dans Humain, trop humain, § 136, il exigeait déjà que la « science » (c’est-à-dire une psychologie doublée d’une critique historique des mobiles) soit une « imitation de la nature »; mais il n’avait pas encore élaboré sa propre conception de la « nature ». Désormais, la « nature » est ce que nous percevons des manifestations de la dynamique des instincts, et cette dynamique, commandée par la « loi » du plus grand épanchement (la « décharge ») et limitée par le postulat d’une quantité immuablement fixe d’énergie, débouche nécessairement sur la répétition de configurations pulsionnelles, sinon en tout point identiques, du moins similaires et comparables. D’autre part, cette répétition se fonde sur la présence, en toute configuration, d’une part d’énergie qui ne trouve pas à s’épancher et qui va entraîner une relance de la dynamique des pulsions: l’éternel retour est d’abord logiquement déduit de la volonté de puissance avant de se muer peu à peu en une conception du temps, puis pour finir, de l’histoire (la succession des « conversions de valeurs »). Nietzsche n’a jamais parlé à quiconque ouvertement de l’éternel retour, à l’exception d’une seule personne Lou Salomé.»
p. 202.
Lettre 59 — A Heinrich Köselitz, Gênes, le 25 janvier 1882
Note 2, p. 392.
«amor fati, autre expression de l’éternel retour, Le Gai Savoir, § 276.»
Note 6, p. 393.
«L’idée de l’éternel retour, Nietzsche l’expose, pour la première fois, à l’aphorisme 341 du Gai Savoir, l’avant-dernier du dernier livre de l’édition de 1882, en annonçant, à l’aphorisme 342, la « venue » de Zarathoustra —qui est consacré, précisément, à l’exposé du chemin suivi par Nietzsche de la « volonté de puissance » à l’éternel retour et à l’amor fati.»
p. 314.
Lettre 125 — A Meta von Salis, Sils, le 7 septembre 1888
«[…] le 3 septembre fut un jour remarquable. J’ai écrit, tôt le matin, mon avant-propos à ma Conversion de toutes les valeurs, l’avant-propos le plus fier qui ait sans doute jamais été écrit (1). Après, je suis sorti —et quoi? La plus belle journée que j’ai vue en Engadine— une puissance lumineuse de toutes les couleurs, un bleu sur le lac et dans le ciel, une clarté de l’air, absolument inouï… Ce n’était pas simplement ma propre appréciation… Les montagnes blanches jusqu’en bas —car nous avons eu de vraies journées hivernales— accentuaient en tout cas l’intensité de la lumière. […]
L’après-midi, j’ai fait le tour du lac de Silvaplana: cette journée restera vraisemblablement dans ma mémoire. […]
L’année prochaine, je vais me décider à faire imprimer ma Conversion de toutes les valeurs (5), le livre le plus indépendant qui soit… Non sans hésitation! Le premier livre, par exemple, s’intitule L’Antéchrist.»
Note 1, p. 440.
[…] «Nietzsche a abandonné le projet en quatre livres de l’ouvrage sur la « volonté de puissance; s’y substitue, désormais, l’autre projet, celui de la « conversion des valeurs », également en quatre livres: L’Antéchrist (critique du christianisme), L’Esprit libre (« critique de la philosophie comme mouvement nihiliste »), L’Immoraliste (« critique de la morale »), et Dionysos (« philosophie de l’éternel retour »).
Note 5, p. 441.
«[…] la « conversion des valeurs » est achevée avec ces deux livres que sont le Crépuscule des idoles et L’Antéchrist; « L’Immoraliste et « Dionysos » ne sont plus nécessaires et leur fonction est assurée par Aurore, Le Gai Savoir, Pour une généalogie de la morale, d’une part, Ainsi parlait Zarathoustra et Par delà bien et mal, d’autre part. Le 26 novembre, Nietzsche écrira à Paul Deussen que sa « conversion des valeurs est achevée avec L’Antéchrist« .»