Takuma Nakahira

Vu au Bal, dans l’expo Provoke, les photos de Nakahira, « classique-moderne » :  « Le photographe, théoricien et critique Takuma Nakahira (1938-2015) est, avec Koji Taki (1928-2011), responsable de l’armature discursive de Provoke. Diplômé en Études espagnoles, grand connaisseur des mouvements d’indépendance latino-américains, Nakahira devient responsable éditorial de la revue culturelle de gauche Gendai no me (l’Oeil contemporain) entre 1964 et 1965. En 1968, il est un des quatre fondateurs de Provoke. Nakahira ne considère pas la photographie comme le moyen d’expression d’un artiste photographe, mais comme la simple capture mécanique d’une perception subjective. En 1970, il édite Kitarubeki kotoba no tame ni (Pour un langage à venir) son livre-manifeste,  suite d’images non-linéaire et sans hiérarchie, évoquant des scènes imaginaires et post-apocalyptiques. »

https://youtu.be/X_N75LZOxvU

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Deux doubles pages de For a Language to Come, « described as « a masterpiece of reductionism. » Parr and Badger include it in the first volume of their photobook history. Up through its publication in 1970, Nakahira had been well versed in the style are, bure, boke (rough, blurred, and out of focus). In 1973, he published Why an Illustrated Botanical Dictionary (Naze, shokubutsu zukan ka), shifting away from the style of are, bure, boke (brut, flou et granuleux) and instead moving towards a type of catalog photography stripped of the sentimentality of handheld photography, a photography resembling the illustrations of reference books. »

For a Language to Come, exposé  au Bal, en mode dépliant faisant panoramique horizontalimg_4880 img_4881

A Alep, tous les habitants se sont mis à l’agriculture

Libération a choisi de donner régulièrement la parole aux habitants de la ville syrienne. Ils racontent leur quotidien dans un pays enlisé dans une guerre sans fin. Aujourd’hui, Brita Haji Hassan, ingénieur, président élu du Conseil local d’Alep-est (l’équivalent du conseil municipal), de passage en France. «Dès que le risque d’un encerclement des quartiers d’Alep-Est a commencé à se profiler au début de cette année, le Conseil local a commencé à mettre en place le projet de planter des potagers dans les petites surfaces. Des ingénieurs agronomes d’Alep, soutenus notamment par une ONG allemande ont commencé à distribuer des graines aux habitants et à les former à leur culture. «Chaque espace possible dans les jardins publics, les cours et les balcons des maisons a été semé. Des petites serres sous plastique ont été aménagées dans certains coins de la ville. Quelques semaines plus tard, des tomates, des aubergines, des haricots verts, des pommes de terre, des courgettes, etc. ont poussé partout. «D’abord sceptiques, les habitants d’Alep, traditionnellement artisans et commerçants, ont fini par se mettre à l’agriculture. Ils ont été convaincus de l’intérêt de l’opération quand ils ont vu les premiers résultats concrets. Les mères de famille ont notamment été très motivées et se sont impliquées dans les travaux de jardinage quotidiens. «Depuis que le siège est devenu total il y a deux mois et que pas un produit ne peut arriver dans Alep-Est, beaucoup de familles réalisent combien l’initiative est précieuse. Même si ces productions sont loin de satisfaire les besoins de tous les habitants, pouvoir faire une salade ou ajouter quelques légumes verts dans le riz ou les pâtes en ces jours de pénurie totale est très appréciable.» Hala Kodmani

lien> https://theconversation.com/a-alep-un-patrimoine-scientifique-dans-la-tourmente-67278

Un appui approximatif

Un vieil escalier est fondé sur un appui approximatif. L’appui également vieux comme l’escalier. Le pilier en pierre devenu fin, érodé au fil du temps, fissuré, a perdu une partie de lui-même. On ne sait pas s’il est fragilisé du point de vue de la sécurité ou si cela ne peut pas changer sa puissance. Les choses qui nous sont présentées sont souvent comme un appui fissuré. Ce que nous voyons, nous sentons, nous écoutons et nous vivons n’est pas plus qu’une partie ou qu’un aspect de l’entité des choses. Toutefois, nous ne pouvons pas chercher à avoir un appui « parfait » pour le remplacer successivement et immédiatement. Accepter la situation telle quelle et pouvoir marcher sur ce pilier me paraissent importants.

Photographie ratée

Une image que je considère toujours comme ma meilleure photographie prise lors d’un voyage en train de Frankfort à Paris, revient parfois à mon esprit en regardant la gradation des couleurs du crépuscule. À vrai dire, c’était à l’aube. Une image absolument bien composée avec le ciel flou, les arbres de loin, les champs mêlés avec l’air, le paysage dans le brouillard. Il m’arrive quelques fois de faire allusion à ce paysage inoubliable et j’essaie de photographier ce que je vois sous mes yeux sans n’avoir plus jamais le résultat souhaité. Le paysage qui nous marque ne nécessite pas d’être enregistré ni reproduit. Notre mémoire réalise toujours une meilleure présentation irréprochable. Voici une des images que j’ai faites en pensant à ma photographie préférée, par conséquent ratée.

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Paysage médiatique selon Richard Serra. 1973


Televison Delivers People pris sur Youtube mais l’original est exposé sur Ubuweb http://www.ubu.com/film/serra_television.html. Sous-titrage sur Ubuweb : « Television Delivers People is a seminal work in the now well-established critique of popular media as an instrument of social control that asserts itself subtly on the populace through « entertainments, » for the benefit of those in power-the corporations that mantain and profit from the status quo. While canned Muzak plays, a scrolling text denounces the corporate masquerade of commercial television to reveal the structure of profit that greases the wheels of the media industry. Television emerges as little more than a insidious sponsor for the corporate engines of the world. By appropriating the medium he is criticizing-using television, in effect, against itself-Serra employs a characteristic strategy of early, counter-corporate video collectives-a strategy that remains integral to video artists committed to a critical dismantling of the media’s political and ideological stranglehold. » Traduction possible sur le site du crac Languedoc Roussillon. Deliver peut vouloir dire libérer, mais l’adjonction d’un complément d’attribution en donne le sens d’offrir à, comme dans le 3e statement : Televison delivers people to an advertiser > La télévision offre les gens à un annonceur. Circonstances de son exposition en 1973, décrites par William Kaisen : « Given Television Delivers People‘s strident criticism of the medium’s connection to commerce, it’s remarkable (and exceptional) that it was shown on a commercial channel. But despite its gloomy tone, when taken whole, it produced exactly the kind of oppositional voice that its content seemed to deem impossible. It rerouted the mass distribution that broadcasting affords by welling up from within commercial television in opposition to the usual network fare. The alienation effects it used —including the collision between the soundtrack and the image, and the focus on television as a space for reading as opposed to watching— turned the piece into something completely unlike the typical television program or advertisement of the day. By forgoing imagery, Serra et Schoolman transformed a primarily iconic medium into a symbolic one, converting distracted television watching into an act of textual contemplation. In so doing, they increased the audience’s understanding, by comparaison, of how television usually delivers people into the hands of an advertiser on an endless flow of hypnagogic pictures. By stopping the flow of images, they broke with television’s lulling effect, which the Musak’s ironic counterpoint only heightened. Airing their work as the station sign-off, Serra and Schoolman had the last word for the night. Instead of sending viewers to sleep with patriotic clichés, Television Delivers People offered a jolt of critical analysis before bed. It suggested to viewers that television might yet be capable of delivering the people somewhere beyond the constraints of the new media state. »

Bruno Latour. Un bel épouvantable été 2016

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In Le Monde du jour. « C’est un bel été, il n’y a pas à dire ; tout le monde est bronzé. Et pourtant je suis taraudé par la difficulté de dire : « j’ai passé un magnifique été », alors qu’on m’assure, par ailleurs, que c’est le plus chaud depuis qu’on mesure le temps qu’il fait. La difficulté est nouvelle, avouez-le. Mon père, mon grand-père pouvaient prendre leur retraite, vieillir tranquillement, mourir en paix : les étés de leur enfance et ceux de leurs petits-enfants pouvaient se ressembler. Bien sûr, le climat fluctuait, mais il n’accompagnait pas le vieillissement d’une génération, comme il accompagne la mienne, celle des baby boomers. Moi, je ne peux pas prendre ma retraite, vieillir et mourir en léguant à mes petits-enfants un mois d’août détachable de l’histoire de ma génération. Ce fichu climat s’accroche à mes basques. Il s’obstine à me suivre comme un chien rencontré en cours de promenade et qui vous adopte stupidement. Un nouveau couplage« Va-t-en ! Fiche le camp ! Ne t’occupe pas de moi ! ­Retourne chez ton maître ! » Mais il s’obstine, ce crétin. Et ce n’est pas un chien mais un troupeau de bestioles de plus en plus énormes qui m’ont choisi comme maître et responsable… Que faire de ce nouveau couplage entre les mois qui passent dans mon histoire personnelle et les mois de l’histoire du système Terre (c’est le nom savant de cette grosse bête qui nous a pris en affection) ? Tout se passe comme si l’histoire humaine et l’histoire géologique embrayaient l’une sur l’autre. Ça veut dire quoi se prendre pour un humain maintenant que je ne peux plus mourir en paix, assuré que la planète restera toujours indifférente à ma petite vie ? Que faire si le beau mois d’août de l’histoire humaine devient le pire mois d’août de l’histoire climatique – avant le suivant ? Le philosophe Günther Anders (1902-1992) avait posé une question semblable : qu’est-ce qu’être humain sous la menace de l’Holocauste nucléaire ? Et pourtant la guerre atomique restait une affaire anthropocentrique. On s’exterminait massivement mais à l’ancienne, entre humains ; le système Terre n’y était pas impliqué. Une fois passé l’hiver nucléaire, il y aurait toujours des mois d’août chauds ou pluvieux, indifférents à notre ­ histoire. Risquer le ridiculeEt puis c’était virtuel. Mais avec ces mois chaque fois les plus chauds qui nous collent par-derrière, l’événement a déjà eu lieu. Le système Terre se trouve irrémédiablement engagé. On ne rendra plus la planète indifférente à nos actions. On peut démanteler l’armement atomique (la chose est peu probable, la menace reste d’ailleurs intacte, bien que virtuelle), on ne peut plus découpler les deux histoires. Comme Anders l’avait bien vu, se poser de telles questions, c’est risquer le ridicule. J’aurais l’air d’un croque-mitaine si je demandais à mes amis de retour de vacances : « Quel épouvantable mois d’août avez-vous passé ? » Je sens bien que je gêne quand je regarde par-dessus mon épaule si le troupeau de bestioles continue à nous suivre pas à pas en occupant l’espace. On fait comme si de rien n’était, à la manière des Dupondt dans Le Lotus bleu : « Ne te retourne pas tout de suite, j’ai l’impression que quelqu’un nous suit. » Ce n’est quand même pas la fin du monde ? Non, mais ça commence à y ressembler si nous ne sommes pas capables de faire quelque chose de ce couplage imposé par notre désinvolture. Comment ferez-vous pour dire à vos petits-enfants : « Tu vois ce beau mois d’août 2016 tout rouge sur la carte des climatologues ? Eh bien c’est moi, c’est ma génération qui l’a fait ! »  Continuer la lecture de Bruno Latour. Un bel épouvantable été 2016

Ipomées from Paris to Saint-Égrève

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[Les graines des ipomées viennent du 93 bis rue de Montreuil, Paris 11e, offertes par F.] Elles adorent le jardin de la maison de Saint-Égrève, mais sont très éphémères, près de fleurs de lin issues, elles, de graines données…
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Square Louis XIII – Place des Vosges à Paris, le 26 mai 2016, par les organisateurs de l’exposition UltraLin (26 mai-5 juin 2016) conçue par le designer Philippe Nigro, et assortie d’une très longue plantation en jardinière éphémère installée à même la rue, le long du square, pendant la durée de la manifestation (détail ci-dessus et en plan large dans la rue, ci-dessous)
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Mathieu Lindon. Où les psychotiques sont les employés les plus qualifiés…

« J. P. Zooey, signé Bonnie and Skype » par Mathieu Lindon
Ils s’appellent Bonnie et Clyde, c’est manifestement sous ces noms qu’ils se sont rencontrés sur Internet et ils sont à la base d’une sorte de mélange d’Attrape-cœurs et d’Ecume des jours post-postmoderne. D’ailleurs, l’auteur de Te quiero (suivi dans l’édition française d’une nouvelle où Bonnie et Clyde apparaissent marginalement) a choisi le pseudonyme (même s’il préfère le mot «présence» comme on l’apprend dans la postface de Leandro Avalos Blacha) de Zooey qui évoque J. D. Salinger, Boris Vian apparaît dans le roman (et même «un Boris Vian espagnol») et le postmodernisme y est vivement combattu et débattu. D’autres personnages s’appellent «Gros Marxxx», «Moe !» et «AbjectSensori». L’auteur est né en 1973 à Buenos Aires, Bonnie et Clyde sont jeunes, argentins et amoureux, mais c’est compliqué, l’amour. Chacun a un chat aussi. «Miaou», dit Bonnie quand Clyde théorise trop. Ils ont plein de projets : «cambrioler la bijouterie de l’hôtel Plaza», «kidnapper un lièvre de Patagonie au zoo pour le relâcher dans les bois de Palermo», «cambrioler un magasin de jouets». Le roman les décrit toujours partant enthousiastes vers ces tâches originales mais se montre elliptique quant à leur réalisation effective. L’imagination semble un carburant suffisant pour contenter les deux jeunes gens, quoiqu’elle ne les contente jamais durablement. «A cet instant, Bonnie lui demanda s’il avait peur de mourir. Clyde répondit qu’il avait davantage peur d’exister.» Le jeune homme, qui a reçu une bourse d’écriture, travaille sur un monde futuriste où les hallucinations circuleraient entre les êtres et où «les psychotiques sont les employés les plus qualifiés car les principaux outils des entreprises sont désormais l’imagination et le délire». Clyde étudie le stylisme mais gagne plutôt sa vie dans un pressing. Exemple de dialogue : «- Pourquoi tu compares toujours mes désirs à ceux d’un mollusque flottant ?, dit Bonnie/ Clyde lui répondit qu’il n’avait jamais employé cette métaphore./ – Et pourquoi tu ne l’as pas fait ? dit-elle.» Au demeurant, les désirs sont parfois assouvis, quoique ce soit un érotisme original dans son extrême simplicité littéraire. «Bonnie s’approcha et se mit à frotter son nez dans le cou de Clyde. Ensuite, ils firent des choses avec leurs parties génitales.» Ou, plus loin : «Clyde éteignit la lumière et commença à faire des trucs avec sa langue dans le vagin de Bonnie.» Les personnages essaient en fait de manifester leur humeur à chaque instant tout au long du roman. Bonnie : «J’ai très sommeil et très faim, je pourrais manger mon pied.» Plus loin : «Bonjour Clyde, aujourd’hui j’aimerais me pencher à une fenêtre imaginaire.» Il y a une élection présidentielle. «Si tu étais candidat à la présidentielle, tu choisirais quelle odeur pour le métro, toi ?» «C’est ce qui s’appelle du communisme», pense de son côté Clyde quand il demande «une enveloppe plus grande» pour voter et qu’on lui répond qu’elles sont «toutes pareilles». Clyde toujours : «Je me sens comme un oisillon en pleine nuit, au fond de son nid et pourtant désorienté.» «Il pensa à Bonnie et se sentit très triste ; il essaya de se changer les idées pour ne pas se suicider ce soir-là mais rien ne lui venait.» Ne serait-il pas en outre poursuivi par «un psychopathe postmoderne» ? «Je sens mon cœur qui mousse», écrit Bonnie (ils échangent beaucoup par Internet) qui annonce aussi à Clyde qu’elle voudrait «faire la planche dans une piscine olympique pleine de mozzarella light tiède». Comment s’engager durablement (dans une relation, un roman, en politique) quand la mobilité est la vie même, quand le dynamisme et l’apathie se succèdent selon un rythme aussi imprévisible qu’inéluctable ? Clyde imagine un hold-up avec le fric duquel ils pourraient «distribuer du yaourt glacé à tout le monde pendant un an», mais Bonnie voit encore plus loin, «une boutique qui puisse se transformer» : «Si je me lève un dimanche matin avec une envie de fabriquer des gnocchis, alors on vendrait des gnocchis. Si un autre jour, j’ai envie de réparer des choses, que ça devienne un atelier de réparation de vélos.» Elle y revient quelques pages plus loin : «Bonnie écrivit sur Skype qu’elle avait réfléchi à cette histoire de commerce qui changerait tous les jours d’enseigne. Un jour, j’aimerais bien être plombière pour fabriquer des trucs en mastic. Des chevaux et des rongeurs. Clyde dit qu’il pourrait l’aider en remplissant de mastic toutes les fissures de la vie.» «On peut s’arrêter là» est la dernière phrase du roman. Puisqu’il n’y a pas de fin, puisque ça change tout le temps.
J. P. Zooey Te quiero suivi de Tom et Guirnaldo Traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud. Asphalte, 140 pp., 15 €.

Jean-Jacques Rousseau. Une promenade à la porte de sa maison

«Que fera donc l’homme de goût qui vit pour vivre, qui sait jouir de lui-même, qui cherche les plaisirs vrais et simples, et qui veut se faire une promenade à la porte de sa maison ? Il la fera si commode et si agréable qu’il s’y puisse plaire à toutes les heures de la journée, et pourtant si simple et si naturelle qu’il semble n’avoir rien fait. Il rassemblera l’eau, la verdure, l’ombre et la fraîcheur, car la nature aussi rassemble toutes ces choses.» La Nouvelle Héloïse «même la pluie et le froid prennent une valeur positive — Tim Ingold parle de «wayfaring» «in the weather world»». Karen O’Rourke. Retour de workshop de Jeremy Wood, pape de la  GPS-promenade, parc de la Villette, avec Andrea, Karin, Sabrina et Julien, fin du colloque La Fin des cartes. « Je ne connaissais presque rien à la nature. Pourtant, je savais qu’on respirait mieux dans la nature et je me disais je devrais y aller. Mais je ne savais pas où. » Chantal Akerman, Ma mère rit, p. 45