Toutes les Copies, 1985, une installation vivante dans Les Immatériaux. Texte et mode d’emploi

Le texte qui suit a été établi par moi, sous forme d’une suite de paragraphes citationnels, à partir de la retranscription de la communication de Jean-Louis Boissier «Toutes les copies» dans Les Immatériaux, 1985, Colloque Xérographie-Artistes femmes, 1965-1990, INHA, Paris, 18 et 19 novembre 202, Session 4/4, Pratiques curatoriales. Modération : Julie Jones, Centre Georges Pompidou (à paraître) que l’on peut retrouver ici:  http://lantb.net/figure/?p=7412

« En 1985, l’exposition du Centre Pompidou, Les Immatériaux, a pu contenir une installation vivante, dédiée à la photocopie, comme technique, nouveau média et vecteur de création. Le site Toutes les copies a présenté la particularité d’une expérience collective propre à explorer une forme artistique performative et relationnelle, initié par une convention avec l’université Paris 8 « modalités émergentes de l’image dans l’art contemporain »: le multiple, la diffusion, portées par la photographie et la sérigraphie, le copy art,  ouvert vers le réseau et la base de données, le relationnel programmé, l’interactif. 

Le site Toutes les copies est « un cube transparent et suspendu, comme un bocal où vivent l’opérateur avec parfois un visiteur, des plantes, de petits animaux, entourés d’un grand nombre de matériaux, d’objets et d’images. Tous ces éléments, y compris le corps des manipulateurs, entrent en relation au même titre avec le petit copieur dit personnel, installé en son centre. Cette accumulation hétéroclite mais ordonnée par les choix de la copigénie peut apparaître comme une image globale, comme une collection à transformer selon un projet rationnel. Mais les copies contestent ces deux versions : elles sont des images toujours renouvelées et différentes. Faites à la demande, feuilles volantes, elles glissent depuis la fente du copieur, jusqu’au sol, hors du cube, en laissant son contenu intact, inchangé. » 

« Comme son appareil copieur, le dispositif Toutes les copies, s’articule autour d’une vitre. Cette vitre est-elle vraiment transparente ? Le passage d’un côté à l’autre ne peut se faire que par une fente, avec une mise à plat. Cette dimension perdue, la profondeur, se réinvestit dans la durée. Ces deux caractères s’identifient à ceux de la feuille de papier : planéité et permanence. […] La photocopie confronte l’image à son modèle, sa matrice est l’apparence des choses elle-même. En copiant des objets, on en révèle le caractère de matériau pictural et d’image potentielle, de mise en écriture indéchiffrable, [la photocopie c’est du texte], alors que les images issues du copieur avouent leur existence d’objets. » 

« Ce qui est installé, c’est plus que l’appareil et les objets, c’est une somme de savoir-faire, de procédures. Le choix des matériaux, et objets, et images, est le résultat d’un ensemble d’expériences. Une invention oriente ce travail : les objets ont un volume, le copieur n’a donc pas de couvercle, et le fond de l’image est clair malgré tout car un éclairage est placé au-dessus de la machine. » 

« Les photocopies sont regroupées en quatre catégories, selon le mode de passage inframince qui se joue à la vitre-miroir. 

1. Le plan est un support pour la disposition la mise à plat ;
2. Le plan est un support pour le développement;
3. Les choses sont déjà planes;
4. Les choses sont déjà des images.» 

La photocopie, estampe électrographique, présente la caractéristique d’agir par monotypes : la copie va chercher sur l’original les paramètres de sa constitution. Pour se répéter, elle ne peut que s’y référer de nouveau. À la différence des procédés de gravure, […] la matrice se détruit à chaque transfert et doit se reconstituer à la source de l’original. La plaque photo électrique n’est qu’une matrice transitoire, c’est l’objet la véritable matrice. » 

Exception dans Les Immatériaux, à l’adresse des visiteurs, il y a une notice : « Mode d’emploi du cube, avril 1985. Cinquante des objets, matériaux et images enfermés dans ce cube ont été photocopiés sur le petit copieur placé au centre de la nacelle, débarrassé de son couvercle et dans la plupart des cas éclairé par une lampe suspendue à la verticale du peigne de fibres optiques qui se trouve à fleur de la fente que vous apercevez à travers le plateau vitré mobile du copieur. Les cinquante photocopies obtenues sont affichées, face au cube. Mais ces copies d’objets et bien d’autres encore, peuvent aussi vous être fournies à la demande pendant les heures de fonctionnement du site par des démonstrateurs, étudiantes et étudiants en arts plastiques de Paris 8 : André Bénard, Denise Carel, Nanou Cauche, Christine Chabot, Christian Challier, Martine Delage, Brigitte Eymann, Françoise Fabian, Gaston Faihun, Fernando Gomez, Christian Laroche, Carole Lévêque, Hélène Munoz, Monique Petit, Catherine Savary, Viviane Soyer.

 » 

Donnons un aperçu des matériaux et objets présents [avril 1985]. Le plateau découpé d’un cercle où se trouvent le copieur et la personne est recouvert de sable; un oreiller chinois en forme de bébé y est couché ; une boucharde, rouleau destiné à imprimer un sol en ciment ; une taloche lisseuse ; un tamis ; un rabot et des bois taillés ; une peau de chamois ; un piège à souris ; des ressorts ; de la limaille de fer et des aimants ; des ampoules ; des épingles de sûreté ; des hameçons ; un herbier ; une icône grecque ; une photo de mariage ; des boîtes de Pétri avec des fossiles, des cailloux, des écorces, des lichens, des clous, des rivets, des bonbons et des dragées ; un bocal d’accessoires vestimentaires, tricot d’enfant, bavoir, gants ; un bocal de plumes ; un estampage chinois ; une fougère en pot ; de petites tortues vivantes ; deux marionnettes de théâtre d’ombres ; un boomerang ; un gruyère coupé ; un jambon suspendu ; des produits comme : aspirine, lait, thé, grenadine, encre de Chine, gouache blanche, glycérine, huile, liquide vaisselle, farine, eau ; etc. 

« Matériau : ce sur quoi s’inscrit un message : son support. Il résiste. Il faut savoir le prendre, le vaincre. C’était le métier, faire une table avec un arbre. Qu’arrive-t-il si l’on conçoit, simule et réalise le matériau selon la nature du projet ? Toute résistance au projet d’inscrire un message serait vaincue. Le message ne rencontre pas son support, il l’invente. Le travail n’affronte pas son objet, il le calcule et le déduit. Évolution des métiers vers la conception et l’ingénierie informatique. Déclin de la valeur attachée au travail, à l’expérience, à la volonté, à l’émancipation. Essor de l’imagination combinatoire, de l’expérimentation, de l’essai. La question pressante : avec la perte du matériau, la destinée en chômage ? » 

Un rapprochement vers la fiche « surface introuvable », qui est aussi classée dans « matière », sous le terme « profondeur simulée », apporte notre phrase de prédilection pour les copies : 

« La perception d’une surface comme plane dépend de l’échelle d’observation. La représentation bi-dimensionnelle est conventionnelle. Dans toute surface se cache le relief de son matériau. » 

Nous sommes dans l’une des 26 zones sonores attribuée aux sites, la zone sonore numéro 9 pour « Peinture luminescente », « Peinture sans corps », « Toutes les copies ». Le visiteur, le regardeur et éventuel « client » entend donc dans son casque des citations de Maurice Blanchot, d’Octavio Paz, d’Henri Michaux. 

La présence d’une personne comme « pilote », et parfois d’une deuxième, « copilote », permet des comptes rendus hebdomadaires qui sont à part entière parties de la performance. Si la manifestation est une œuvre d’art, l’installation, et peut-être avant tout le cours qui la fait vivre, est une œuvre. 

« Toutes les copies était le dernier site du premier parcours de l’exposition, situé à proximité de l’entrée du Labyrinthe du langage. Parallèlement, il fait partie de la zone audio numéro 9, avec les autres sites […] qui abordent […] les questions de paternité et de production automatique […] des images. Mais alors que d’autres sites de cette voie, dont « Infra-Mince », posaient ces questions à propos d’œuvres d’art, dans Toutes les copies l’arbitraire des objets photocopiés témoignait du fait que les images n’ont pas besoin d’être des objets d’art pour manifester l’insaisissable : « Tout peut être photocopié. […] Il peut en résulter quelque chose de méconnaissable », écrit Lyotard dans l‘Inventaire. […] En l’absence de tout jugement sur l’objet copié, la lumière est capable […] sans acte créateur, sans auteur, sans référent métaphysique, de produire une image […]. » « En contraste avec ces considérations conceptuelles se dressait le cadre plutôt banal du site […]. La rencontre directe avec une personne manipulant le photocopieur, était la seule occasion de toute l’exposition où l’isolement du visiteur était rompu. […] Ici, une véritable interaction était possible, même limitée par la vitre du cube. En contrepoint d’une production d’images […] automatisée, elle marquait un espace de rencontre et de jeu […]. »  dit Antonia Wunderlich, Der Philosoph im Museum. Die Ausstellung Les Immatériaux von Jean-François Lyotard, Bielefeld, Transcript, 2008. Traduit de l’allemand par nous.

Devant le cube vitrine de « Toutes les copies », on demande une copie mais pas la chose. Mieux, processus déictique, on désigne la chose-matrice par son nom pour l’avoir imprimée, c’est-à-dire traduite. »