Guerre en Ukraine : Zelensky craint « l’apocalypse » en Europe si le monde « ne parvient pas à stopper » Poutine

Guerre en Ukraine : Zelensky craint « l’apocalypse » en Europe si le monde « ne parvient pas à stopper » Poutine
Le président ukrainien appelle les alliés de son pays à « fermer le ciel » ou à livrer à Kiev des avions de combat. Il se redit prêt à des négociations sans conditions avec Moscou
Par Rémy Ourdan (Kiev, envoyé spécial) Article réservé aux abonnés

Volodymyr Zelensky, en conférence de presse à la résidence présidentielle du palais Mariinsky, à Kiev, le 3 mars 2022. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE »

Volodymyr Zelensky, ces jours-ci l’homme le plus menacé de la planète, sourit. « La vie est comme elle est. Je suis vivant et le sentiment d’être important pour d’autres, c’est bien. Le moral est bon, l’équipe travaille, personne n’est parti. » Le dirigeant ukrainien, dont la chute ou l’assassinat est un des objectifs de guerre de Moscou, reconnaît être « un être humain comme un autre, qui a envie de vivre ». « Je pense tout le temps à la vie de nos soldats. Je pense aux membres de ma famille. En revanche, en tant que président, je n’ai pas le droit d’avoir peur pour moi-même. »

M. Zelensky est « président de guerre » depuis une semaine lorsqu’il rencontre pour la première fois, jeudi 3 mars, un groupe de journalistes internationaux, dont Le Monde, pour une conférence de presse restreinte. Son équipe a aménagé une salle anonyme et « bunkerisée » dans une aile du palais Mariinskyi, la présidence ukrainienne, dans le centre-ville de Kiev. Comme lorsqu’il diffuse chaque jour des messages vidéo à l’attention de ses compatriotes, M. Zelensky tient à mettre en scène un chef d’Etat au travail dans son lieu habituel, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il y travaille ou y vive en permanence.

Alors que Moscou intensifie son offensive militaire contre l’Ukraine en dépit d’une réprobation mondiale et d’appels incessants à un cessez-le-feu, et que Kiev craint un encerclement imminent, M. Zelensky veut faire passer quelques messages. On dirait que ce président, traqué et par ailleurs exténué, qui dit avoir une quinzaine de conversations par jour avec des chefs d’Etat ou de gouvernement, lance ses dernières bouteilles à la mer avant ce qu’il pense être « l’apocalypse ».

« Fermez le ciel ! »

Le premier message, très concret, concerne l’écrasante supériorité aérienne de la Russie dans cette guerre. Même si l’Ukraine ralentit tant bien que mal certaines offensives terrestres et se prépare à des actions de guérilla dans les villes, il sait que son pays n’a aucune chance de survivre face à l’aviation russe. Il évoque donc l’éventualité d’une « no-fly zone », une zone d’exclusion aérienne. Les alliés de l’Ukraine ont déjà exclu cette hypothèse car, en Europe, seule l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pourrait mettre en œuvre une telle mesure, comme l’Alliance atlantique l’avait fait dans le ciel d’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Or il est, cette fois, hors de question d’engager directement l’OTAN dans un conflit avec la Russie, puissance nucléaire hostile.

« Si vous n’avez pas la force de fermer le ciel, alors donnez-moi des avions !, s’exclame M. Zelensky. Si vous ne le faites pas maintenant, alors dites-nous combien d’Ukrainiens ont besoin d’être tués, combien de mains, de jambes, de têtes ont besoin de s’envoler pour que vous nous entendiez ! Dites-moi, et j’attendrai ce moment… » Il précise qu’il ne souhaite « pas du tout » que l’OTAN entre en guerre contre la Russie, mais qu’il estime que l’Alliance dirigée par les Etats-Unis « a le pouvoir d’empêcher des guerres » par sa force de dissuasion. « Fermez le ciel ! répète-t-il. Le ciel nous tue !  »

L’autre message du président Zelensky est que cette guerre ne concerne pas seulement l’Ukraine mais l’Europe entière, voire l’humanité. « Si nous disparaissons, que Dieu nous protège, ensuite ce sera la Géorgie, la Moldavie, les pays baltes, la Pologne… Ils iront jusqu’au mur de Berlin, croyez-moi », dit-il, évoquant sa conviction que le président russe, Vladimir Poutine, aurait pour objectif de recréer la sphère d’influence passée de l’Union soviétique.

Au-delà de la menace politique et militaire qui pèserait sur l’Europe, M. Zelensky estime que l’Ukraine, qui fait selon lui face à « des actes de génocide et de nazisme », est engagée dans un combat de « défense de la civilisation » face à une menace qui concerne « le monde entier ». « C’est la fin du monde, la fin de ce monde-ci, si nous ne parvenons à stopper » ce qu’il décrit par ailleurs comme « le Mal ».

Prêt à des négociations sans conditions

Rappelant qu’il ne souhaite que « la paix en Ukraine », le président Zelensky se dit prêt à des négociations à tout moment et sans conditions avec le chef de l’Etat russe. « Ce n’est pas que je veux parler à Poutine, mais je dois parler à Poutine. Le monde doit parler à Poutine. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter cette guerre. Il faut parler sans conditions, sans rancœur, comme des hommes. »

A un autre moment de la conversation, il s’emporte contre la Russie. « Bon Dieu, que voulez-vous de nous ? Quittez notre terre ! » Puis évoque l’hypothèse d’une rencontre avec M. Poutine. « Si tu ne veux pas quitter notre terre, assieds-toi avec moi et parle. Mais pas à trente mètres comme avec Macron ou Scholz. Nous sommes des voisins, parle-moi ! Je suis un gars normal, je ne mords pas ! De quoi as-tu peur ? ! »

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La conférence de presse sous haute sécurité de Volodymyr Zelensky, donnée à plusieurs médias internationaux, dont « Le Monde », au palais Mariinsky, à Kiev, le 3 mars 2022. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE »

Même si la situation de l’Ukraine paraît désespérée face à l’attaque russe, M. Zelensky affirme encore croire aux vertus de la diplomatie, notamment en référence aux deux rencontres ayant eu lieu entre des émissaires des deux pays à la frontière biélorusse. « Chaque parole est plus importante qu’un tir », pense-t-il.

Evoquant ses conversations avec les dirigeants étrangers, le président ukrainien se dit heureux qu’avec beaucoup d’entre eux, il n’ait plus besoin « des conneries du protocole diplomatique », répétant que « des gens meurent, là », et qu’il serait indécent de perdre du temps pendant que l’Ukraine sombre. « On est en contact. Avec WhatsApp on s’appelle, on se parle, on s’envoie des messages. »

S’il dit « regretter » de ne pas avoir eu d’échanges personnels plus nourris avec le président américain avant la guerre, il évoque « un dialogue désormais très bon » avec Joe Biden. Il rend surtout hommage aux dirigeants européens. On sait qu’il maintient un dialogue permanent avec le président français, Emmanuel Macron, ou le premier ministre britannique, Boris Johnson. Il évoque avec émotion « les appels quotidiens » du premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, qui dirige le pays voisin qui reçoit le plus de réfugiés ukrainiens et qui ne cesse de lui proposer l’aide de la Pologne à différents niveaux.

« Les Ukrainiens ne se défilent pas »

Interrogé par un documentariste israélien sur ses liens avec Israël, M. Zelensky, qui n’évoque presque jamais publiquement ses racines juives ou le judaïsme, ne manie pas la langue de bois. Disant avoir été « très frappé » par une photographie de religieux juifs priant devant le mur des Lamentations le corps enroulé dans des drapeaux ukrainiens, en signe de solidarité avec son pays, il affirme qu’en dépit de « bonne relations » avec Israël en temps normal, cette semaine d’attaque russe est « le moment qui définit tout », et qu’il doit s’avouer déçu par Israël, qui maintient un dialogue étroit avec Moscou. « Je n’ai pas l’impression, dit-il, que [le premier ministre israélien Naftali Bennett] soit enroulé dans le drapeau ukrainien. »

La discussion dure. Les gardes du corps du président ukrainien commencent à se murmurer les uns aux autres dans leurs oreillettes qu’il serait peut-être temps d’emmener le président. Les journalistes ont été priés de respecter un embargo de dix minutes après la fin de la conférence de presse avant de diffuser dépêches ou tweets, afin de permettre à M. Zelensky de quitter les lieux.

Le « chef de guerre » malgré lui évoque son pays. « Je ne suis fort que grâce à notre armée et à ce peuple extraordinaire », a-t-il dit en arrivant dans la pièce. « Nous avons survécu deux guerres mondiales, trois famines, l’Holocauste, l’explosion de Tchernobyl, l’occupation de la Crimée, la guerre dans l’est du pays… On a essayé de nous détruire à maintes reprises, mais ce ne fut pas le cas, raconte-t-il. Alors si quiconque croit qu’après avoir surmonté tout cela, les Ukrainiens vont être brisés et capituler, c’est qu’il ne connaît pas l’Ukraine et n’a rien compris aux Ukrainiens. » M. Zelensky conclut que « les Ukrainiens ne se défilent pas face aux épreuves et aux défis ».

M. Zelensky finit par partir d’un pas pressé. Les hommes de sa sécurité rapprochée l’emmènent le long d’un couloir sombre, où l’on avance à la lumière de lampes de poche. Dans certains recoins de cette aile de la présidence, des soldats montent des remparts de sacs de sable. Ils se préparent pour une bataille, pour un siège, pour quoi que ce soit qui va frapper Kiev si la guerre ne s’arrête pas. Conseillers du président comme combattants sont calmes. Ils paraissent sereins, en dépit du désastre qui s’abat sur l’Ukraine. »